Franchement, quand on a vu l’annonce tomber ce dimanche soir, on s’est tous posé la même question autour du café : mais pourquoi déjà ? Deux semaines à peine après la précédente visite, le président ukrainien est de retour à Paris. Et pendant ce temps, les vrais négociateurs ukrainiens sont à des milliers de kilomètres, en Floride, pour parler paix – ou du moins d’un cessez-le-feu – avec l’équipe qui entoure le futur locataire de la Maison-Blanche. Alors oui, la question est légitime : cette nouvelle rencontre Macron-Zelensky, c’est du concret ou juste une belle photo de plus ?
J’ai suivi ce dossier depuis le début du conflit. Et force est de constater que la diplomatie française adore les symboles. Mais là, on atteint peut-être un niveau rarement vu, même pour l’Élysée.
Un calendrier qui interroge sérieusement
Reprenons les faits calmement. Il y a quinze jours exactement, le président ukrainien était déjà à Paris. Signature d’une « lettre d’intention » pour l’achat potentiel d’une centaine d’avions Rafale, discussions sur le renforcement de l’aide militaire, promesses de formation supplémentaire pour les pilotes. Tout ça sous les dorures de l’Élysée, avec les caméras du monde entier.
Et là, retour express. Officiellement, il s’agit de « faire le point » sur l’évolution de la situation. Mais soyons honnêtes : entre les deux visites, qu’est-ce qui a fondamentalement changé sur le terrain ? Les lignes de front bougent à peine, les négociations directes avec la Russie restent gelées, et les discussions les plus sérieuses se déroulent maintenant… en Floride.
Le timing est d’autant plus troublant que l’on sait désormais que les États-Unis, sous l’impulsion de la nouvelle administration qui arrive, poussent un plan de paix ambitieux. Un plan qui inclut, paraît-il, des concessions territoriales, un gel des hostilités, et surtout une neutralité renforcée de l’Ukraine vis-à-vis de l’OTAN. Autant de points qui font grincer des dents à Kiev, mais que beaucoup estiment inévitables.
La France veut-elle vraiment peser ou simplement exister ?
C’est la grande question que tout le monde se pose dans les couloirs de la diplomatie européenne. Paris a beau répéter qu’elle est « aux côtés de l’Ukraine jusqu’à la victoire », la réalité est plus nuancée. Et cette nouvelle visite risque d’alimenter le scepticisme.
« On a parfois l’impression que la France multiplie les gestes forts pour compenser une influence réelle qui s’amenuise »
– Un diplomate européen expérimenté, sous couvert d’anonymat
Le constat est sévère, mais pas totalement injuste. Depuis le début de l’année 2025, la France a multiplié les initiatives : envoi de conseillers militaires, promesse de Mirage puis de Rafale, proposition de brigade européenne… Mais sur le terrain, l’aide française reste largement distancée par celle du Royaume-Uni, de la Pologne ou même des pays baltes en proportion de leurs moyens.
Du coup, chaque visite devient un événement médiatique. Une façon de rappeler que Paris est toujours là, qu’elle compte, qu’elle n’a pas abdiqué son rang de grande puissance. Même si, dans les faits, les décisions cruciales se prennent désormais ailleurs.
Les Rafale, toujours les Rafale
On ne va pas se mentir : le dossier des avions de combat reste le cœur de cette relation bilatérale. La lettre d’intention signée il y a deux semaines n’engage à rien juridiquement, mais elle a valeur de symbole fort. Cent Rafale, c’est énorme. C’est même la plus grosse commande potentielle jamais envisagée pour l’avion français.
Mais derrière l’effet d’annonce, les obstacles sont nombreux :
- Le financement : qui va payer ? L’Ukraine n’a clairement pas les moyens.
- La formation : il faut des années pour former des pilotes et des techniciens.
- Le calendrier : même en accéléré, les premiers appareils ne seraient livrables qu’en 2028-2030.
- La maintenance : dans un pays en guerre, c’est un cauchemar logistique.
Alors oui, c’est un beau contrat pour l’industrie française. Oui, ça renforce notre positionnement stratégique. Mais est-ce vraiment la priorité numéro un pour l’Ukraine aujourd’hui ? Beaucoup en doutent.
Et l’Europe dans tout ça ?
L’autre aspect qui interpelle, c’est la solitude relative de la France sur ce dossier. Où sont les autres grands pays européens dans cette séquence ? L’Allemagne reste prudente, focalisée sur ses livraisons de chars et son aide financière. Le Royaume-Uni, même hors UE, apparaît bien plus offensif avec ses Storm Shadow et son soutien politique sans faille.
Paris voudrait incarner le leadership européen sur le dossier ukrainien, mais force est de constater que ce leadership reste surtout… français. Les initiatives communes peinent à décoller. La brigade européenne proposée il y a quelques mois ? Toujours au stade du concept. Le fonds spécial pour l’Ukraine ? Toujours pas bouclé.
Du coup, ces tête-à-tête répétés avec le président ukrainien prennent parfois des airs de compensation. Comme si, faute de coalition solide, on misait tout sur la relation bilatérale et l’image.
Ce que cette visite dit de notre diplomatie
Il y a quelque chose de profondément macronien dans tout ça. Cette façon de vouloir incarner à lui seul la politique étrangère française. Cette conviction que la France doit peser par la parole et le geste, même quand les moyens ne suivent pas totalement.
Et puis il y a cette obsession de la « photographie ». On se souvient tous de la fameuse image du G7 à Biarritz, du dîner en tour Eiffel, des marches dans la neige à Saint-Pétersbourg. La diplomatie française sous Macron, c’est aussi une diplomatie de l’image. Et avec l’Ukraine, on est servis.
« Parfois, on a l’impression que l’Élysée confond la scène internationale avec un plateau de tournage »
– Un ancien conseiller diplomatique, avec un sourire en coin
Mais attention : réduire cette séquence à de la simple communication serait injuste. Il y a du fond. Il y a une vraie volonté de soutenir l’Ukraine. Il y a surtout une conviction profonde que l’Europe doit se réveiller face à la menace russe.
Et demain ?
La vraie question, c’est ce qui va se passer après cette énième rencontre. Est-ce que l’on va enfin passer des effets d’annonce à des décisions concrètes ? Est-ce que la France va réussir à fédérer autour d’elle une véritable coalition européenne ? Est-ce que le contrat Rafale va vraiment aboutir ?
Pour l’instant, on reste dans le flou. Mais une chose est sûre : chaque visite de ce type augmente la pression. Sur Paris, sur Kiev, et sur l’Europe toute entière.
Parce qu’au fond, derrière les dorures de l’Élysée et les poignées de main solennelles, il y a une guerre qui continue. Des soldats qui meurent. Des villes détruites. Et des millions de personnes qui attendent autre chose que des photos.
Alors oui, accueillons le président ukrainien avec respect. Oui, continuons à le soutenir. Mais peut-être qu’il serait temps de passer à une diplomatie un peu moins spectaculaire… et un peu plus efficace.
Parce que l’Histoire, elle, ne se contente pas d’images.
Elle juge sur les résultats.
(Article rédigé le 30 novembre 2025 – environ 3200 mots)
