Vous arrivez à la mairie d’un petit village de montagne, vous poussez la porte et on vous répond, avec le sourire gêné : « Le maire ? Il est à Tahiti depuis l’été… et on n’a aucune nouvelle. » On se croirait dans un scénario de film absurde, et pourtant c’est la réalité quotidienne des habitants de Formiguères, 500 âmes nichées dans le Capcir, dans les Pyrénées-Orientales. Cinq mois que l’édile a plié bagage direction l’autre bout du monde, laissant derrière lui une équipe réduite à peau de chagrin et des dossiers qui s’empilent.
Franchement, quand j’ai lu ça, j’ai d’abord cru à une blague. Et puis non. C’est bien réel, et ça pose des questions vertigineuses sur la responsabilité des élus dans nos petites communes.
Un départ sans tambour ni trompette
Tout commence début juillet. Le maire annonce qu’il part « quelques semaines » en Polynésie. Personne ne s’inquiète vraiment : après tout, tout le monde a droit à des vacances. Sauf que les semaines deviennent des mois, et que plus personne n’a de nouvelles. Ni coup de fil, ni mail, ni même un petit message WhatsApp pour dire « ça va, le lagon est beau ».
Serge Vaills, le premier adjoint, se retrouve propulsé malgré lui aux commandes. Il raconte qu’au début, il pensait que le maire allait monter une activité d’accrobranche là-bas, un projet perso, pourquoi pas. Mais cinq mois après ? Le silence radio commence à peser lourd.
« Je pensais qu’il partait seulement quelques semaines, mais non. Il serait parti monter une activité d’accrobranche. De notre côté, on se débrouille, on fait tourner la boutique… »
Serge Vaills, premier adjoint de Formiguères
Une mairie qui tourne… avec les moyens du bord
Imaginez la scène : 500 habitants, une station de ski à gérer, la saison qui approche, et plus de maire. L’équipe municipale est passée de onze à six membres : démissions en cascade, lassitude, burn-out. Ceux qui restent font ce qu’ils peuvent.
Mais le vrai problème, c’est que certains actes ne peuvent être signés que par le maire lui-même. Exemple concret : une régie communale qui n’a jamais été officiellement clôturée. Résultat ? Les factures continuent d’arriver, mais impossible de les traiter correctement parce que seuls les codes d’accès du maire permettent de déclarer la fin d’activité. Bloqué.
- Signatures électroniques inaccessibles
- Dossiers de subventions en attente
- Contrats saisonniers pour la station de ski qui traînent
- Et surtout : des habitants qui commencent à sérieusement s’agacer
On est loin de l’image romantique du maire de village toujours présent pour couper le ruban de la fête votive.
Les indemnités continuent… jusqu’à nouvel ordre
Le plus lunaire dans cette histoire ? L’élu absent continuerait de toucher ses indemnités. Environ 1 000 euros net par mois, d’après les estimations locales. Pendant cinq mois, ça commence à faire une jolie somme, surtout quand on gère une micro-entreprise à 12 000 km de sa commune.
Heureusement, la préfecture a fini par réagir. Elle autorise désormais l’équipe restante à suspendre le versement de ces indemnités. Le prochain conseil municipal devrait voter la mesure, et l’argent ainsi économisé sera réinjecté dans des projets pour le village. Mieux vaut tard que jamais.
Le préfet a aussi donné le droit à l’adjoint de signer les documents en indiquant « maire empêché ». Serge Vaills trouve la formule presque comique : « Il n’est pas empêché, il est tout simplement parti ! »
Des tensions qui couvaient depuis longtemps
Cette fuite à Tahiti n’est pas tombée du ciel. D’après plusieurs témoignages, le climat était déjà électrique depuis des mois. Le maire voulait imposer ses idées sans concertation, certains parlent de décisions prises en solo, de projets lancés sans étude réelle de faisabilité.
Au début, l’équipe a serré les dents. Puis ça a bloqué. Les démissions ont suivi. Et un jour, l’oiseau s’est envolé vers le Pacifique.
On peut se poser la question : était-ce une fuite en avant ? Une lassitude profonde ? Ou simplement l’envie irrésistible de changer de vie ? Toujours est-il que laisser une commune en plan comme ça, c’est inédit… ou presque.
Et la loi, dans tout ça ?
Juridiquement, un maire peut-il disparaître cinq mois sans conséquence immédiate ? La réponse est… compliquée. En France, l’abandon de poste d’un élu local n’est pas aussi simple à sanctionner que dans le privé.
Il faut une faute grave et une procédure. La préfecture peut saisir le tribunal administratif pour prononcer la déchéance de mandat, mais cela prend du temps. En attendant, c’est l’adjoint qui assure l’intérim, même si ses pouvoirs sont limités.
- Absence prolongée non justifiée → signalement au préfet
- Enquête administrative
- Éventuelle saisine du tribunal administratif
- Déchéance possible (mais rare)
En pratique, on attend souvent les prochaines élections. À Formiguères, elles sont prévues au printemps 2026. D’ici là, l’équipe actuelle a décidé de tenir la barre, coûte que coûte.
Une petite commune qui refuse de couler
Ce qui frappe, c’est la résilience des six élus restants. Malgré le sentiment d’abandon, malgré la charge de travail écrasante, ils continuent. Ils préparent la saison de ski, gèrent les routes enneigées, répondent aux habitants.
Serge Vaills l’affirme déjà : il sera candidat en 2026. Pas par ambition personnelle, dit-il, mais parce qu’il faut bien quelqu’un pour remettre la mairie sur les rails.
Dans le village, on oscille entre colère et fatalisme. Certains rigolent jaune : « Au moins, on a le maire le plus bronzé de France ! » D’autres s’inquiètent pour l’image de la commune.
Et si c’était le symptôme d’un mal plus profond ?
Au-delà de l’anecdote croustillante, cette affaire met le doigt sur un vrai problème : la difficulté d’être maire d’une petite commune en 2025. Paperasse infernale, responsabilité pénale lourde, indemnités ridicules face à l’investissement demandé, agressions verbales ou physiques en hausse… Beaucoup jettent l’éponge en cours de mandat.
En France, près de 30 % des maires élus en 2020 ne se représenteront pas en 2026, selon certaines études. Burn-out, lassitude, manque de moyens : les raisons se cumulent.
Est-ce que l’histoire de Formiguères est un cas isolé ou la partie visible de l’iceberg ? Probablement un peu des deux. Un mélange d’irresponsabilité personnelle et de malaise généralisé.
Ce qui est sûr, c’est que dans le Capcir, on n’est pas près d’oublier ce maire qui a préféré les cocotiers aux pistes de ski. Et quelque part, on ne peut pas leur en vouloir de trouver ça… complètement dingue.
(Article mis à jour le 2 décembre 2025 – l’histoire est en cours, on vous tiendra informés si le maire refait surface ou si la commune obtient enfin gain de cause.)
