Imaginez une seconde : vous traversez l’enfer des violences, physiques, psychologiques ou sexuelles, et soudain, à deux pas des urgences, une porte s’ouvre sur un endroit où l’on vous écoute vraiment, sans jugement, gratuitement, et où personne ne vous forcera jamais à parler à la police si vous n’êtes pas prête. C’est exactement ce qui se passe depuis ce lundi 1er décembre 2025 à Troyes.
Je ne vous cache pas que, quand j’ai appris l’ouverture de cette structure, j’ai ressenti un vrai soulagement. Parce qu’on en parle beaucoup des numéros verts et des associations, mais sur le terrain, quand une femme arrive aux urgences le corps meurtri ou l’esprit brisé, on se retrouve souvent démuni. Là, enfin, il y a une réponse concrète et immédiate.
Une Maison des Femmes collée à l’hôpital : le choix qui change tout
Le bâtiment de 140 m² tout neuf n’a pas été placé au hasard. Il est littéralement à cinquante mètres des urgences et du pôle femme-mère-enfant de l’hôpital Simone Veil. Pourquoi ? Parce que les soignants savent mieux que quiconque que le traumatisme ne s’arrête pas à la porte de l’hôpital.
Le maire de la ville l’a dit simplement : on aurait pu l’installer en centre-ville près de la mairie ou du commissariat. Mais non. L’idée, c’est d envelopper les femmes dans cette bulle protectrice qu’est l’hôpital, là où elles se sentent déjà en sécurité pour parler de leur corps.
« On a voulu intégrer toute la dimension protectrice de l’hôpital, avec une prise en main sur ce que représente le traumatisme d’une violence, quelle que soit sa nature. »
Et franchement, ça tient la route. Quand on est terrorisée à l’idée que son conjoint trouve un papier dans le sac, on ne va pas forcément oser appeler un numéro tout de suite. Là, les urgences peuvent accompagner la personne directement, en journée, sans flyer qui traîne.
À l’intérieur, tout est pensé pour apaiser
Quand on pousse la porte, on tombe d’abord sur une salle d’attente avec des jeux pour les enfants – parce que oui, beaucoup de mamans viennent avec leurs petits. Ensuite, une salle de soins, des bureaux, une salle de groupe, une cuisine-salle à manger et, cerise sur le gâteau, un jardin clos de 120 m² où l’on peut respirer sans craindre d’être vue.
C’est lumineux, chaleureux, loin de l’ambiance froide qu’on imagine parfois dans les structures administratives. On sent que chaque détail a été réfléchi pour que la femme qui entre là se dise : « Enfin, je peux poser mon sac. »
Une équipe pluridisciplinaire qui construit un parcours sur mesure
Au cœur du dispositif, une sage-femme coordinatrice à temps plein, une psychologue à mi-temps, une assistante sociale et une secrétaire accueillante. Et puis, selon les besoins, des juristes, des conseillères conjugales, des travailleuses sociales supplémentaires viennent renforcer l’équipe.
- Entretien d’accueil réalisé par la coordinatrice, la psychologue ou l’assistante sociale
- Évaluation globale de la situation (médicale, psychologique, sociale, juridique)
- Élaboration d’un plan d’action personnalisé avec la femme
- Mise en relation avec les bons interlocuteurs sans jamais rien imposer
L’idée n’est pas de faire à la place de la victime, mais de marcher à côté d’elle, à son rythme.
Les conséquences médicales des violences : on en parle enfin sérieusement
Ce qui m’a particulièrement marqué, c’est la prise en compte des séquelles à long terme. On pense souvent « dépôt de plainte » ou « hébergement d’urgence », et c’est crucial, bien sûr. Mais on oublie trop souvent que le corps et l’esprit gardent des traces pendant des années.
Stress chronique, hypervigilance, maladies cardiovasculaires, douleurs chroniques, dépressions… Les chiffres montrent que les femmes ayant subi des violences développent beaucoup plus ces pathologies. Et là, la Maison des Femmes propose un suivi médical dédié, pas juste un pansement sur une plaie visible.
« La plupart du temps, à moyen ou long terme, les conséquences médicales sont énormes. »
Une professionnelle de santé impliquée dans le projet
C’est une approche qu’on voit encore trop rarement. On soigne la fracture ou le bleu, et on renvoie chez soi. Ici, on propose de soigner aussi l’invisible.
Des chiffres qui donnent le vertige dans l’Aube
Pour comprendre l’urgence, il suffit de regarder les statistiques locales. Sur les dix premiers mois de 2025, 924 femmes ont été recensées comme victimes de violences dans le département. Parmi elles, 406 ont subi des violences sexuelles – et la moitié étaient mineures.
Ces chiffres font mal au ventre. Et ils expliquent pourquoi la Maison des Femmes troyenne est déjà sollicitée avant même son ouverture officielle : des appels de soignants, d’associations, et même de femmes directement.
La 32e Maison des Femmes de France, mais seulement la 6e adossée à un hôpital
Le modèle n’est pas nouveau – il a été initié il y a quelques années à Saint-Denis et s’est depuis essaimé dans tout le pays. Mais la version troyenne est particulière : elle est la deuxième du Grand Est après Reims et l’une des très rares à être directement intégrée au sein d’un établissement hospitalier.
Ce positionnement change tout. Les urgences, la maternité, la gynécologie, la pédiatrie : tous ces services deviennent des portes d’entrée naturelles. Et quand on sait qu’une femme sur trois passe aux urgences avant de réussir à fuir définitivement, on mesure l’impact potentiel.
Un projet monté à vitesse grand V
Moins de neuf mois entre le lancement officiel et l’ouverture. Dans le contexte actuel, c’est presque un exploit. Les travaux ont été menés tambour battant, le personnel recruté, les partenariats associatifs bouclés. On sent une volonté politique et médicale qui a su faire bloc.
Et ça fait du bien de voir qu’en 2025, certains projets sociétaux avancent encore vite quand ils touchent au cœur des priorités humaines.
Et demain ?
Les responsables le disent eux-mêmes : on ne sait pas encore exactement ce que deviendra cette maison dans deux ou trois ans. Peut-être un élargissement aux mineures prostituées, peut-être des consultations dédiées aux adolescentes, peut-être plus de places. Ce qui est sûr, c’est que la demande existe. Et qu’elle risque de croître.
En attendant, un numéro est déjà actif : 03 25 49 70 32. Une adresse physique protégée. Et surtout, des femmes et des hommes qui ont décidé que plus personne ne sortirait de l’hôpital sans savoir qu’une porte de lumière existe à quelques mètres.
Si vous ou une personne de votre entourage a besoin d’aide, n’hésitez pas. Parfois, un simple coup de fil change tout.
Parce qu’au fond, une Maison des Femmes, ce n’est pas qu’un bâtiment. C’est un message : vous n’êtes plus seules.
