Vous est-il déjà arrivé de vous retrouver au milieu d’une marée humaine qui hurle la même phrase pendant des heures ? Moi, oui. Samedi après-midi, entre République et Nation, le bitume tremblait sous les « Gaza, Gaza, Paris est avec toi ». Difficile de rester indifférent quand des milliers de gorges reprennent en chœur « Silence on tue ». C’était le 29 novembre 2025 et, franchement, on aurait dit que la ville entière retenait son souffle pour laisser exploser cette colère trop longtemps contenue.
Une mobilisation qui ne désarme pas, deux ans après
Plus de deux ans que le conflit fait la une presque tous les jours. Plus de deux ans que les images de Gaza nous collent des frissons dans le dos. Et pourtant, la rue continue de gronder. Ce samedi, les organisateurs parlaient de « plusieurs dizaines de milliers » de participants. La préfecture, comme à son habitude, n’avait toujours pas communiqué de chiffres en fin de journée – on connait la musique. Mais peu importe le nombre exact : quand vous marchez au milieu, vous sentez que c’est énorme.
Le parcours classique République-Nation était noir de monde. Les drapeaux palestiniens claquaient dans le vent froid de novembre, les pancartes artisanales se multipliaient : « Stop génocide », « Palestine on ne nous fera pas taire », « Israël hors-la-loi ». Il y avait des familles entières, des étudiants, des retraités, des militants de la première heure et des gens qui découvraient leur première manif. Tout ce petit monde avançait au rythme des slogans, parfois repris en arabe, parfois en français, toujours avec la même détermination.
Un cessez-le-feu en carton pâte ?
Sept semaines après la trêve du 10 octobre, beaucoup dans le cortège estimaient que rien n’était réglé. Pire : que c’était une vaste blague. « Le cessez-le-feu est un écran de fumée », lâchait une responsable d’une grande association de solidarité, micro en main sur un camion sono. Elle pointait les violations quotidiennes, les camions d’aide bloqués, les quartiers rasés même après la prétendue « ligne jaune » israélienne.
« Israël continue d’empêcher l’aide humanitaire d’entrer et continue de détruire maisons et infrastructures. Ce qu’on veut, c’est un vrai cessez-le-feu définitif et la fin du génocide. »
Une responsable associative, place de la Nation
Dans la foule, on sentait la même colère. Saleha, 72 ans, béret vissé sur la tête et drapeau sur les épaules, n’y allait pas par quatre chemins : pour elle, ce qui se passe à Gaza relève purement et simplement du génocide. À côté d’elle, Bertrand, la quarantaine, technicien informatique, brandissait son téléphone avec des vidéos récentes tournées à Jénine. « Regardez ça, on exécute des gens à bout portant », répétait-il, la voix tremblante.
La gauche française en première ligne
Politiquement, la manifestation avait une couleur très marquée. Plusieurs figures emblématiques de la gauche radicale étaient là, en tête de cortège ou au milieu des militants. On a pu voir Jean-Luc Mélenchon discuter avec des jeunes, entouré de caméras. Manon Aubry, eurodéputée, postait en direct : « Se taire, c’est être complice. »
Plus de quatre-vingts organisations avaient appelé à descendre dans la rue : associations historiques de solidarité palestinienne, grandes ONG de défense des droits humains, syndicats combatifs, partis écologistes et communistes. Un front large, uni par une exigence commune : des sanctions immédiates contre le gouvernement israélien et la reconnaissance pleine et entière des droits du peuple palestinien.
- Exiger l’application du droit international
- Mettre fin à la colonisation accélérée en Cisjordanie
- Permettre l’entrée massive d’aide humanitaire à Gaza
- Obtenir un cessez-le-feu durable et sans condition
- Condamner publiquement les violences des colons
Ces cinq points revenaient sans cesse dans les discours et sur les banderoles. Simple, clair, radical pour certains, évident pour d’autres.
Cisjordanie, l’autre front oublié
On parle beaucoup de Gaza, à juste titre, mais plusieurs intervenants ont tenu à rappeler que la Cisjordanie n’est pas épargnée. Colonisation qui s’emballe, violences de colons à des niveaux jamais vus, incursions militaires quotidiennes… « Ce n’est pas un mais deux territoires occupés qui souffrent », expliquait une militante sur l’estrade.
Les images de l’opération conjointe police/armée à Jénine, deux jours plus tôt, tournaient en boucle sur les écrans des téléphones. Deux hommes abattus à bout portant. L’ONU a réclamé une enquête pour « exécution sommaire apparente ». Dans la manif, ça choquait profondément. « Si ça se passait ailleurs, tout le monde hurlerait au scandale », me glissait un jeune couple.
Et maintenant ?
La grande question qui flotte après chaque mobilisation de cette ampleur, c’est : est-ce que ça change quelque chose ? Sur le terrain, à Gaza ou en Cisjordanie, probablement pas dans l’immédiat. Mais en France, le sujet reste brûlant. Les prises de position se durcissent à gauche, les associations gagnent en visibilité, l’opinion publique – surtout chez les jeunes – évolue vite.
Ce qui est sûr, c’est que la rue ne lâche pas l’affaire. Tant que les camions d’aide seront bloqués, tant que les colonies s’étendront, tant que des civils mourront sous les bombes ou les balles, des milliers de personnes continueront de défiler à Paris, Lyon, Marseille, Toulouse… avec les mêmes slogans, la même colère, la même espérance têtue.
En repartant de Nation, le soleil se couchait derrière Bastille. Les derniers fumigènes se dissipaient. Mais dans les têtes, une phrase tournait en boucle : « Palestine vivra, Palestine vaincra. » On verra bien ce que l’histoire retiendra de ces après-midis parisiens où la solidarité a pris la forme d’une marée humaine impossible à ignorer.
Parce qu’au fond, quand des dizaines de milliers de personnes crient ensemble qu’un silence est complice, c’est déjà une petite victoire.
