Imaginez-vous, un samedi de décembre, emmitouflé dans votre écharpe, un vin chaud à la main, au cœur du marché de Noël de Strasbourg… et là, paf, on vous demande 10 euros pour franchir un portique. Science-fiction ? Pas pour tout le monde. Un candidat aux municipales de 2026 vient de mettre cette idée sur la table, et croyez-moi, ça secoue déjà sévèrement les chalets.
Chaque année, près de 3,4 millions de personnes se pressent dans les ruelles de la capitale alsacienne pendant un mois. C’est magnifique, c’est féerique, mais c’est aussi devenu invivable pour ceux qui y vivent à l’année. Et quand on parle d’invivable, on ne parle pas juste de trouver une place pour poser son verre de bière chaude.
Une mesure radicale pour un problème bien réel
Le surtourisme n’est plus une vague inquiétude : c’est une réalité qui transforme des quartiers entiers. Des appartements qui disparaissent du marché locatif classique pour finir en locations saisonnières ultra-rentables. Des habitants qui fuient le centre-ville parce qu’ils ne supportent plus la saturation quatre semaines par an. Et pendant ce temps, à quelques rues du grand sapin, des familles dorment encore dehors. L’équation est brutale.
La proposition est simple, presque brutale elle aussi : les week-ends – les jours où c’est la folie furieuse – les visiteurs qui ne résident pas dans la métropole paieraient 10 euros pour accéder au cœur historique. Les Strasbourgeois ? Gratuit, évidemment. Un peu comme ce qui se fait déjà aux Fêtes de Bayonne depuis quelques années. Ça a choqué au début, puis ça s’est installé.
Comment ça fonctionnerait concrètement ?
Les points d’accès à la Grande Île sont déjà filtrés par des agents de sécurité pendant les horaires du marché. Il suffirait d’ajouter un contrôle de justificatif de domicile ou un bracelet remis à l’entrée. Techniquement, c’est faisable dès demain matin. Moralement et politiquement ? C’est une autre paire de manches.
- Week-ends uniquement (vendredi soir au dimanche)
- 10 € par personne (enfants inclus ou non ? La question reste ouverte)
- Gratuit pour les habitants de l’Eurométropole
- Recettes intégralement reversées au financement de places d’hébergement d’urgence
L’argument choc du candidat ? « On sait accueillir le monde entier sous les projecteurs, mais on laisse des enfants dormir dans le froid à deux pas des chalets. » Difficile de rester insensible à ça quand on connaît la réalité strasbourgeoise en hiver.
Strasbourg, future ville-musée ?
J’ai discuté avec des amis qui vivent intra-muros. L’un d’eux m’a confié qu’il ne met plus un pied place Kléber les week-ends de décembre, « c’est pire que le métro parisien à 18h ». Un autre a déménagé à Kronenbourg parce qu’il n’arrivait plus à dormir avec le bruit jusqu’à 23h. Et pourtant, ces mêmes personnes adorent leur marché de Noël… quand elles arrivent à y mettre les pieds en semaine à 11h30.
« On est en train de transformer le centre en décor de carte postale. Bientôt il n’y aura plus que des touristes et des boutiques de bretzels hors de prix. »
– Un habitant du quartier Saint-Thomas, la trentaine
Et il n’est pas le seul à le penser. La population du centre historique diminue chaque année. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : des centaines de logements basculent chaque année vers la location touristique courte durée. Le phénomène n’est pas propre à Strasbourg, bien sûr – on le voit à Barcelone, Venise, Dubrovnik – mais il prend ici une saveur particulière parce qu’il touche à une tradition populaire profondément ancrée.
L’argent du péage : pour quoi faire exactement ?
C’est là que la proposition devient intéressante. On ne parle pas de remplir les caisses municipales pour faire joli. L’idée est de créer un fonds dédié à l’ouverture de places d’hébergement d’urgence supplémentaires. Avec 3,4 millions de visiteurs, même si seulement 20 % passent un week-end payant, les sommes deviennent très significatives.
Petit calcul rapide : 500 000 visiteurs payants sur les week-ends × 10 € = 5 millions d’euros. Même en retirant les coûts de gestion et de contrôle, on parle de plusieurs millions injectés directement dans l’aide aux plus précaires. En pleine crise du logement et alors que les températures plongent, l’argument pèse lourd.
Et les précédents ailleurs en France ?
Les Fêtes de Bayonne, souvent citées, ont franchi le pas en 2018. Résultat ? Moins de débordements, plus de recettes pour la sécurité et les associations, et surtout une fréquentation qui reste énorme malgré le droit d’entrée. Les Bayonnais, eux, passent gratis avec leur bracelet. Le ciel ne leur est pas tombé sur la tête, et les fêtes restent la référence nationale.
On voit aussi des expériences similaires à l’étranger : Venise avec sa taxe journalière, certaines îles grecques qui limitent le nombre de croisiéristes, ou même des parcs naturels qui pratiquent le quota. Le principe n’est plus vraiment révolutionnaire. Il devient presque une réponse classique au surtourisme.
Les arguments des opposants (parce qu’il y en a déjà beaucoup)
Forcément, tout le monde ne va pas applaudir. Les commerçants des chalets risquent de grincer des dents : et si les gens renonçaient à venir ? Les hôteliers aussi, qui vivent leur plus gros chiffre d’affaires de l’année. Sans parler de l’image : le « plus beau marché de Noël du monde » qui met un ticket d’entrée, ça fait tiquer.
- Perte d’attractivité touristique
- Risque de baisse de fréquentation (surtout des frontaliers allemands ou suisses)
- Image élitiste ou « anti-populaire »
- Complexité logistique (contrôles, contestations, etc.)
Et puis il y a la question symbolique : le marché de Noël, c’est la gratuité, la convivialité, l’ouverture. Mettre un prix, même modeste, même ciblé, même justifié, c’est toucher à quelque chose de l’ordre du sacré pour beaucoup d’Alsaciens.
Une troisième voie est-elle possible ?
Certains proposent des solutions intermédiaires : réservation obligatoire les week-ends avec quota, bracelet gratuit mais limité, taxe de séjour majorée pour les locations touristiques, ou encore étalement du marché sur plus de semaines pour diluer la foule. Des pistes intéressantes, mais qui demandent plus de concertation et parfois des changements législatifs.
Ce qui est sûr, c’est que le sujet ne va pas disparaître. Avec les municipales qui approchent, la question du tourisme et du vivre-ensemble au cœur de Strasbourg va occuper une bonne partie de la campagne. Et vous, vous en pensez quoi ? Prêt à payer 10 balles pour votre bretzel et votre mannala, si c’est pour que des gamins aient un toit au-dessus de la tête ? Ou c’est non négociable, le marché de Noël doit rester gratuit quoi qu’il arrive ?
Une chose est certaine : on n’a pas fini d’en parler autour des tables alsaciennes cet hiver. Et peut-être que, dans quelques années, on regardera cette proposition comme un tournant… ou comme une fausse bonne idée vite oubliée. L’avenir le dira. En attendant, le grand sapin brille, les odeurs de cannelle flottent dans l’air, et le débat, lui, est déjà bien chaud.
