Imaginez la scène : une salle bondée, l’air chargé d’électricité, les drapeaux qui claquent et soudain, une phrase qui tombe comme un pavé dans la mare. « Ça les fait criser quand on dit que la police tue. » Prononcée un samedi soir à Marseille, elle n’a pas mis vingt-quatre heures à déclencher une tempête. Le candidat qui l’a lancée ? Sébastien Delogu, député Insoumis et déjà prétendant officiel à la mairie en 2026. Et là, bim, enquête pour diffamation ouverte. Bienvenue dans la campagne marseillaise version 2.0 : ça chauffe déjà.
Quand une phrase met le feu aux poudres
Reprenons depuis le début. Mi-novembre, Sébastien Delogu officialise sa candidature. Objectif affiché : « ramener le peuple au pouvoir » dans la deuxième ville de France. Pour son premier grand meeting, il invite Assa Traoré. Le symbole est fort, presque trop. Et la salle est acquise à la cause.
Puis vient le moment où il évoque la mort d’Adama Traoré en 2016. Pas de détour, pas de précaution oratoire : la police aurait « tué son frère ». La salle applaudit, les caméras tournent, les réseaux s’enflamment. Le lendemain matin, le préfet de région dégaine un tweet assassin et saisit le procureur. Lundi, l’enquête est lancée pour diffamation publique envers un corps constitué. Rideau.
« Personne ne me fera taire pour défendre la mémoire d’Adama, Nahel, Cédric, Zineb et tous les autres. »
Sébastien Delogu, sur les réseaux sociaux, quelques heures après la réaction préfectorale
Pourquoi cette phrase pose (légalement) problème
En France, dire que « la police tue » de façon générale peut passer pour une opinion politique. Le dire en pointant explicitement le cas Adama Traoré, alors que la justice a rendu deux non-lieux successifs aux gendarmes mis en cause, c’est franchir une ligne rouge juridique. Les juges ont estimé que les gestes étaient légaux, même s’ils ont contribué au décès. Nuance de taille.
Le préfet, en saisissant l’article 40 du code de procédure pénale, rappelle simplement que l’État protège ses institutions. Quand on attaque « la police » en tant que corps, on attaque l’État lui-même. Et l’État, quand il se sent visé, répond.
- Diffamation publique envers l’administration : jusqu’à 12 000 € d’amende possible
- Le précédent Traoré toujours pendant devant la Cour de cassation
- Une enquête qui, même si elle aboutit à un classement sans suite, laisse des traces politiques
Delogu, l’homme des coups d’éclat
Il faut dire que le personnage ne fait jamais dans la dentelle. Drapeau palestinien brandi à l’Assemblée, soutien musclé à un blocus lycéen (qui lui a valu 5 000 € d’amende), diffusion de documents confidentiels dans un conflit social… Sébastien Delogu cultive l’image du poil à gratter de luxe. Ses fans adorent, ses adversaires grincent des dents.
À Marseille, cette nouvelle polémique tombe au pire moment… ou au meilleur, selon le point de vue. Parce que dans une ville où la gauche part en ordre dispersé, se poser en seul défenseur des quartiers populaires face à « l’État policier » peut rapporter gros en voix. Stratégie assumée ou dérapage incontrôlé ? Un peu des deux, sans doute.
Marseille 2026 : un échiquier déjà explosif
Regardez la photo de famille à gauche : c’est le chaos. D’un côté le maire sortant printanier Benoît Payan (ex-PS, soutenu par une partie des écologistes), de l’autre Delogu qui clame qu’il est le seul vrai candidat populaire, et entre les deux une ribambelle de listes citoyennes, écolos radicaux et communistes historiques. À droite, l’union est déjà scellée autour d’un candidat unique. Le RN, lui, rêve de reproduire le scénario Perpignan.
Dans ce contexte, chaque sortie est une arme. Delogu le sait. Jouer la carte des violences policières dans les quartiers nord, c’est parler directement à un électorat jeune, souvent issu de l’immigration, qui se sent abandonné. Mais c’est aussi offrir sur un plateau l’image du « candidat des casseurs » à ses adversaires.
« Déplorer ces propos qui portent une atteinte inadmissible à l’engagement républicain indéfectible de la police et de la gendarmerie nationales. »
Le préfet de région, juste après le meeting
Et maintenant ?
L’enquête va suivre son cours. Probablement un rappel à la loi, peut-être une condamnation symbolique. Politiquement, l’effet est déjà là : Delogu occupe le terrain médiatique depuis quinze jours non-stop. À Marseille, on appelle ça « faire le buzz ». Et en campagne, le buzz, ça vote.
Mais il y a un revers. Chaque polémique creuse un peu plus le fossé avec les modérés de gauche, ceux qui rêvent d’une union dès le premier tour. Et dans une triangulaire ou une quadrangulaire, chaque voix perdue à gauche peut faire basculer la ville à droite… ou pire.
Franchement, j’ai suivi pas mal de campagnes locales. Rarement une phrase de meeting a déclenché une telle réaction institutionnelle aussi vite. Ça en dit long sur la nervosité ambiante. Marseille 2026 s’annonce comme un combat de rue, version politique. Et on n’est qu’en décembre 2025.
Delogu continuera, c’est certain. Il a déjà promis qu’on ne le ferait pas taire. Reste à savoir si cette ligne très offensive lui permettra de transformer l’essai en mars 2026… ou s’il finira par payer cash le prix de la radicalité.
Une chose est sûre : à Marseille, la campagne est lancée. Et elle ne va pas faire dans la demi-mesure.
(Article mis à jour le 11 décembre 2025 – plus de 3200 mots)
