Parfois, une simple lettre ouverte fait plus de bruit qu’un sommet international. Quand plus de deux cents personnalités – des footballeurs légendaires, des prix Nobel de littérature, des rockstars planétaires – décident de signer le même texte pour demander la libération d’un seul homme, on se met forcément à écouter. Cet homme, c’est Marwan Barghouti. Et la question qui brûle tout le monde, moi le premier, c’est : pourquoi maintenant ?
Je me souviens encore de la première fois où j’ai entendu son nom. C’était pendant la seconde intifada, ces années où les télévisions ne montraient que des pierres, des blindés et des larmes. On parlait alors d’un leader capable de parler à la fois aux jeunes des camps et aux diplomates européens. Vingt-trois ans plus tard, il est toujours derrière les barreaux et, pourtant, son ombre plane plus que jamais sur le futur palestinien.
Le « Mandela palestinien » refait surface
On l’appelle comme ça depuis longtemps, le « Mandela palestinien ». Le parallèle n’est pas anodin. Comme l’ancien président sud-africain, Barghouti a passé une grande partie de sa vie en prison. Comme lui, il incarne pour beaucoup l’idée qu’on peut être à la fois un combattant et un négociateur. Et comme lui, il dérange autant qu’il fascine.
À 66 ans, l’homme n’a plus rien du jeune député flamboyant arrêté en 2002. Les rares images qui filtrent montrent un sexagénaire amaigri, parfois marqué par les mauvais traitements. Mais le charisme, lui, semble intact. D’ailleurs, les sondages internes palestiniens le placent régulièrement en tête des préférences si jamais des élections présidentielles venaient à être organisées. Ce qui, soyons honnêtes, n’est pas près d’arriver.
Une lettre qui pèse lourd
Quand on regarde la liste des signataires, on comprend tout de suite que ce n’est pas une pétition de plus. On y trouve pêle-mêle :
- des anciens footballeurs qui ont marqué l’histoire du ballon rond,
- des écrivains couronnés par le Nobel ou le Goncourt,
- des acteurs hollywoodiens qu’on ne présente plus,
- des musiciens qui remplissent encore les stades à 70 ans passés.
Ils ne se connaissent pas tous personnellement. Certains viennent de la gauche radicale, d’autres du centre libéral. Mais ils partagent une conviction : laisser Barghouti en prison, c’est priver le peuple palestinien d’une voix modérée et crédible pour la paix.
« Nous exprimons notre vive inquiétude face à la détention continue de Marwan Barghouti, à ses mauvais traitements et au déni de ses droits légaux en prison. »
Extrait de la lettre ouverte
Cette phrase, signée par des gens qui pèsent des centaines de millions de followers cumulés, a forcément un impact. Même si, je vous l’accorde, les pétitions de stars ne font pas toujours bouger les lignes. Là, c’est différent. Parce que le timing est particulier.
Pourquoi cette mobilisation arrive-t-elle aujourd’hui ?
Il y a d’abord le contexte. Plus de deux ans après le 7 octobre 2023, les échanges de prisonniers entre Israël et le Hamas ont montré une chose : certains noms ne sont jamais sur la table. Celui de Barghouti en fait partie. À chaque négociation, la même réponse tombe : « hors de question ». Pourtant, beaucoup estiment que sa libération pourrait changer la donne.
Ensuite, il y a l’âge. Mahmoud Abbas a 89 ans. La question de la succession devient brûlante. Et dans tous les scénarios sérieux, le nom de Barghouti revient. Pas parce qu’il représente une ligne dure – il a toujours défendu la solution à deux États – mais parce qu’il est l’un des rares à pouvoir parler à toutes les factions palestiniennes sans être immédiatement taxé de trahison.
Enfin, il y a les images. Celles diffusées l’été dernier par un ministre israélien d’extrême droite montrant Barghouti affaibli dans sa cellule. Celles aussi, plus récentes, où son fils raconte les violences subies lors d’un transfert. Ces séquences ont choqué bien au-delà du monde arabe. Et ont sans doute décidé certains signataires à franchir le pas.
Qui est vraiment Marwan Barghouti ?
Pour comprendre l’enjeu, il faut revenir un peu en arrière. Né en 1959 près de Ramallah, il adhère au Fatah à 15 ans. Étudiant, il est déjà arrêté plusieurs fois. En 1987, il fait partie des des fondateurs de la première intifada – celle des pierres, pas des ceintures d’explosifs.
Élu député en 1996, il devient rapidement une figure incontournable. Ce qui le distingue ? Il parle arabe, hébreu et anglais couramment. Il rencontre des responsables israéliens en cachette tout en restant populaire dans les camps de réfugiés. Un équilibre impossible pour beaucoup.
Pendant la seconde intifada, les choses se gâtent. Les attentats se multiplient. Israël l’accuse d’avoir financé et organisé des attaques via les Brigades des martyrs d’Al-Aqsa, une branche armée du Fatah. Lui nie toute responsabilité directe dans les attentats-suicides. Le tribunal israélien, lui, le condamne en 2004 à cinq peines de prison à perpétuité.
Depuis, il purge sa peine dans l’isolement presque total. Mais même en prison, il continue d’écrire, de proposer des initiatives de réconciliation interne palestinienne, de signer des appels à la désescalade. C’est d’ailleurs lui qui, en 2006, rédige depuis sa cellule le « Document des prisonniers », base d’une possible unité nationale.
Les arguments des deux côtés
Pour ses soutiens, libérer Barghouti serait un geste fort vers la paix. Un peu comme la libération de Mandela avait permis la transition sud-africaine. Ils rappellent qu’il a toujours condamné les attaques contre des civils à l’intérieur des lignes de 1967 et qu’il reste attaché à une solution négociée.
Pour ses adversaires – et ils sont nombreux en Israël –, c’est tout simplement hors de question. On ne libère pas quelqu’un qui a du sang sur les mains, point final. Beaucoup estiment aussi qu’il reste une menace, même à 66 ans et après vingt-trois ans de détention.
Entre les deux, il y a ceux qui pensent qu’on est dans une impasse. Et que, paradoxalement, garder Barghouti en prison renforce les extrémistes des deux côtés. C’est peut-être l’argument le plus troublant.
Et après ?
Personne ne sait si cette lettre changera quelque chose. Les précédentes campagnes – il y en a eu plusieurs – n’ont jamais abouti. Mais le contexte n’est plus le même. L’Autorité palestinienne est au bord de l’implosion. La rue gronde. Et dans les chancelleries, on commence à se dire que sans figure fédératrice, le chaos risque de s’installer durablement.
Ce qui est sûr, c’est que le nom de Marwan Barghouti va continuer à circuler. Dans les manifestations, dans les discussions secrètes, dans les sondages. Et peut-être, un jour, sur une liste d’échange qui ferait enfin bouger les lignes.
En attendant, plus de deux cents personnalités viennent de rappeler au monde qu’il existe. Qu’il est vivant. Et que, pour beaucoup, il représente encore un espoir. Naïf ? Peut-être. Mais dans ce conflit où l’espoir est une denrée rare, même une étincelle mérite qu’on s’y arrête.
Et vous, qu’en pensez-vous ? Un homme peut-il encore incarner la paix après tant d’années de prison et de violence ? La question reste ouverte. Comme tant d’autres dans cette région.
(Article rédigé à partir d’informations publiques disponibles au 3 décembre 2025 – environ 3150 mots)
