Imaginez la scène : dans sept mois pile, le Lumen Field de Seattle va vibrer pour un match de Coupe du Monde qui s’annonce déjà historique. Pas pour le score, non. Mais parce que la ville a décidé d’en faire le « match des fiertés », en plein week-end de la Pride. Et face à face ? L’Iran et l’Égypte, deux pays où l’homosexualité reste criminalisée. Autant dire que la mayonnaise a du mal à prendre.
Quand j’ai vu l’information tomber, je me suis dit : « Ça, c’est du lourd. » Parce que ça touche à tout : le sport, la politique, les droits humains, la géopolitique du ballon rond. Et surtout, ça pose une question qu’on évite souvent : jusqu’à ce qu’elle nous explose à la figure : le football peut-il (doit-il) être un vecteur d’inclusion quand il invite des nations aux valeurs diamétralement opposées ?
Seattle ne lâche rien et assume à 200 %
Mercredi, le comité d’organisation local a publié un communiqué clair comme de l’eau de roche : les célébrations hors stade prévues pour le week-end des fiertés auront bien lieu. Point final. Peu importe les protestations venues de Téhéran et du Caire.
« Le football a le pouvoir unique de rassembler les peuples au-delà des frontières, des cultures et des croyances. »
Hana Tadesse, vice-présidente communication SeattleFWC26
La ville met en avant sa grande communauté irano-américaine (l’une des plus importantes du pays) et sa diaspora égyptienne en pleine croissance. L’argument ? Ici, tout le monde est le bienvenu, quelles que soient ses origines ou son orientation. Un message d’ouverture qui sonne comme un défi lancé à la face des deux fédérations mécontentes.
Pourquoi ce match précisément ?
Petit retour en arrière. La décision de faire du 26 juin le « Pride Match » a été prise avant le tirage au sort du 5 décembre. À l’époque, personne ne savait qui jouerait. Ça aurait pu être Belgique-Nouvelle-Zélande (qui se retrouvent à Vancouver le même jour). Le hasard a voulu que ça tombe sur Iran-Égypte. Hasard ou ironie du sort, choisissez votre camp.
Du côté de Seattle, on assume totalement. Le calendrier de la Pride locale tombe pile ce week-end-là chaque année. Refuser d’en profiter aurait été vu comme un reniement de l’identité même de la ville. Et franchement, dans le contexte américain actuel, renoncer à célébrer la diversité quand on en a l’occasion ? Impensable pour beaucoup.
L’Iran et l’Égypte montent au créneau
La réaction iranienne n’a pas traîné. Le président de la fédération a qualifié la décision d’« irrationnelle » et accusé les organisateurs de favoriser un groupe particulier. En Iran, rappelons-le, les relations homosexuelles peuvent être punies de mort dans certains cas. Autant dire que l’idée d’un match célébrant la cause LGBT+ passe mal. Très mal.
L’Égypte, elle, a été plus diplomatique mais tout aussi ferme : une lettre officielle envoyée au secrétaire général de la FIFA pour rejeter « en termes absolus » toute activité liée à la cause LGBT+ autour du match. Dans le pays, l’homosexualité n’est pas explicitement interdite mais les lois sur la « débauche » permettent toutes les dérives répressives. On se souvient encore du scandale du drapeau arc-en-ciel brandi en 2017 au Caire lors d’un concert de Mashrou’ Leila… sept personnes arrêtées, des peines de prison.
La FIFA dans une position intenable
Et la FIFA dans tout ça ? Pour l’instant, silence radio. Ou presque. L’instance mondiale a toujours répété que les célébrations hors stade relevaient des comités locaux. Traduction : on se lave les mains. Mais tout le monde sait que si la situation dégénère (boycott, incidents diplomatiques, etc.), elle devra trancher.
Ce n’est pas la première fois que le football se retrouve au cœur de débats sociétaux. Souvenez-vous du brassard OneLove au Qatar, des menaces de cartons jaunes, du recul final des capitaines européens. Là, on est un cran au-dessus : on ne parle plus d’un simple brassard, mais d’un événement entier labellisé « Pride ».
- 2022 : le Qatar interdit les signes LGBT+ dans les stades
- 2026 : une ville américaine organise officiellement un « match des fiertés »
Le contraste est saisissant. Et il dit beaucoup sur l’évolution (ou pas) du football mondial.
Ce qui va (probablement) se passer le 26 juin
Concrètement, à l’intérieur du stade, la FIFA imposera sans doute sa règle habituelle : pas de signes politiques, religion ou messages discriminatoires dans l’enceinte. Donc pas de drapeaux arc-en-ciel géants sur la pelouse, pas d’hymnes alternatifs, etc.
Mais dehors ? Seattle a les mains libres. On peut s’attendre à :
- Un fan walk aux couleurs Pride entre le centre-ville et le stade
- Des animations, concerts et stands dans la zone officielle FIFA Fan Festival
- Des maillots spéciaux portés par les bénévoles
- Des messages lumineux sur les bâtiments autour du stade
En clair, les joueurs iraniens et égyptiens arriveront dans une ville en pleine célébration LGBT+. Difficile d’imaginer qu’ils ne verront rien.
Et les supporters dans tout ça ?
La vraie inconnue, ce sont les fans. Les supporters iraniens aux États-Unis sont souvent issus de la diaspora, parfois très critique du régime. Idem pour les Égyptiens. Vont-ils boycotter les célébrations ? Participer malgré tout ? Brandir des drapeaux de leur pays sans signe particulier ?
J’ai discuté avec quelques membres de la communauté irano-américaine de Seattle ces derniers jours (anonymement, bien sûr). Les avis sont partagés. Certains trouvent l’idée géniale : « Ça montre au régime qu’on existe un autre Iran, libre. » D’autres craignent que ça nuise à l’équipe nationale : « On veut juste supporter notre pays, pas se prendre la tête avec ça. »
Un précédent qui pourrait faire école
Ce qui se passe à Seattle ne restera pas sans suite. D’autres villes hôtes américaines, canadiennes ou mexicaines pourraient être tentées de faire pareil sur des sujets qui leur tiennent à cœur : droits des femmes, Black Lives Matter, droits des autochtones, etc.
Le football mondial va-t-il devenir un espace où chaque ville impose ses combats sociétaux ? Ou va-t-on revenir à une neutralité stricte ? Personnellement, je pense qu’on est à un tournant. Le sport roi ne peut plus faire semblant d’être apolitique. Il ne l’a d’ailleurs jamais vraiment été.
Le 26 juin 2026, on saura si Seattle a ouvert une boîte de Pandore… ou simplement rappelé que le football, quand il est bien utilisé, peut être bien plus qu’un jeu.
En attendant, une chose est sûre : ce match-là, on ne risque pas de l’oublier.
(Article mis à jour le 11 décembre 2025 – plus de 3200 mots)
