Imaginez-vous enceinte de huit mois et apprendre qu’il ne restera plus aucune maternité à moins de trente kilomètres de chez vous. C’est la réalité qui attend des milliers de familles du sud-est parisien dès le printemps prochain. À Quincy-sous-Sénart, la nouvelle est tombée comme un coup de massue : la maternité de l’hôpital privé Claude-Galien fermera définitivement le 1er mars 2026. Et pourtant, personne ne semble prêt à baisser les bras.
Une maternité trentenaire condamnée pour « manque de personnel »
L’établissement fête justement ses trente ans cette année. Trente années pendant lesquelles des générations d’enfants du Val d’Yerres Val de Seine sont nés entre ces murs. Et voilà que le groupe Ramsay Santé, propriétaire des lieux, annonce froidement la fusion des équipes avec une autre maternité située à plus de vingt kilomètres, à Évry-Courcouronnes.
Le motif officiel ? Un manque chronique de sages-femmes et de gynécologues-obstétriciens, conjugué à une baisse du nombre d’accouchements. Des arguments qui font bondir les acteurs locaux. Parce que, soyons honnêtes, on a déjà entendu cette chanson ailleurs. Et à chaque fois, c’est la population qui trinque.
Quand un groupe privé décide seul de l’avenir de la santé publique
Ce qui choque le plus, c’est la méthode. Ramsay Santé a informé les autorités presque après coup. Les élus découvrent le projet dans la presse ou par un simple courrier. Même l’Agence Régionale de Santé d’Île-de-France, pourtant censée piloter l’offre de soins, se dit mise devant le fait accompli.
« L’ARS est très hostile à cette hypothèse et mécontente de la méthode employée »
Un vice-président du conseil d’administration de l’ARS Île-de-France
Autrement dit : même l’État, par la voix de son bras armé régional, n’a pas été consulté en amont. On marche sur la tête.
180 000 habitants sans maternité : les conséquences concrètes
Concrètement, cela signifie qu’une agglomération entière se retrouvera en désert obstétrical. Les futures mamans devront faire trente, quarante, parfois cinquante minutes de route en plein travail. En pleine nuit. Sous la pluie. Avec les embouteillages de la N104. Vous voyez le tableau ?
Et ce n’est pas qu’une question de confort. Les spécialistes le répètent : plus le trajet est long, plus les risques augmentent pour la mère et l’enfant. Urgences vitales, hémorragies, souffrance fœtale… chaque minute compte. On joue avec la vie des gens, ni plus ni moins.
- Distance moyenne vers la maternité la plus proche après fermeture : + 25 km
- Temps de trajet supplémentaire en heure de pointe : jusqu’à 45 minutes
- Population concernée directement : environ 180 000 habitants
- Nombre de naissances annuelles à Quincy ces dernières années : encore plusieurs centaines
La mobilisation prend de l’ampleur, et vite
Face à cette annonce brutale, la réponse ne s’est pas faite attendre. En quelques semaines seulement, tout un territoire s’est levé. Des collectifs citoyens aux conseils municipaux, en passant par les syndicats de soignants, tout le monde s’y met.
Les initiatives fusent :
- Pétition en ligne qui dépasse déjà les 15 000 signatures
- Motion votée à l’unanimité dans plusieurs communes voisines
- Manifestations prévues devant l’hôpital et devant le siège de Ramsay Santé
- Rassemblements avec poussettes et ballons roses dans les centres-villes
- Prise de parole massive des élus de tous bords politiques
Ce qui frappe, c’est l’unité. Droite, gauche, centre : tout le monde parle d’une même voix. Même au-delà de l’Essonne, les maires de Seine-et-Marne se mobilisent. Preuve que le sujet dépasse largement les frontières administratives.
Les soignants aussi montent au créneau
À l’intérieur même de l’hôpital, le personnel est révolté. Sages-femmes, infirmières, aides-soignantes : beaucoup exercent ici depuis vingt ou trente ans. Elles connaissent chaque famille, chaque histoire. Voir leur outil de travail disparaître sous prétexte de rentabilité, ça ne passe pas.
Plusieurs d’entre elles ont accepté de témoigner anonymement :
« On nous parle de baisse d’activité, mais on tourne encore à plus de 800 accouchements par an. Ce n’est pas rien ! Et surtout, on nous propose de tout recommencer ailleurs, loin de nos patientes habituelles. C’est déshumanisant. »
D’autres pointent du doigt les conditions de travail déjà très tendues. Selon elles, le manque de personnel viendrait surtout d’un turn-over important causé par des salaires moins attractifs que dans le public et une charge de travail écrasante. Fermer la maternité, ce serait entériner le problème au lieu de le résoudre.
Un précédent inquiétant pour tout le territoire
Soyons lucides : Quincy n’est pas un cas isolé. Ces dernières années, des dizaines de maternités ont mis la clé sous la porte en France, surtout dans le secteur privé à but lucratif. Chaque fois, les mêmes arguments reviennent : sécurité, normes, manque de médecins. Et chaque fois, ce sont les territoires périurbains qui morflent le plus.
Ce qui se joue ici, c’est la conception même de la santé. Doit-elle être considérée comme un service public universel ou comme une activité économique comme une autre ? Quand un groupe côtée en bourse décide seul de fermer un service essentiel, on est en droit de se poser la question.
Et maintenant ? Les scénarios possibles
À ce stade, plusieurs issues restent envisageables :
- La pression populaire et politique fait plier Ramsay Santé qui accepte de maintenir l’activité (scénario optimiste mais peu probable)
- L’ARS utilise ses pouvoirs de police sanitaire pour imposer le maintien temporaire du service en attendant une solution pérenne
- Une reprise partielle ou totale par le groupe hospitalier public sud-francilien voit le jour (hypothèse évoquée dans les couloirs)
- La fermeture a bien lieu… et devient un cas d’école pour les futurs combats contre la désertification médicale
Une chose est sûre : le dossier est désormais sur le bureau du ministère de la Santé. Les parlementaires de la circonscription ont déjà demandé une audition en urgence. Les semaines qui viennent seront décisives.
Pourquoi ce combat nous concerne tous
Vous habitez Paris intra-muros ou une grande métropole ? Vous pensez que ça ne vous touche pas ? Détrompez-vous. Ce qui arrive à Quincy aujourd’hui pourrait arriver demain près de chez vous. La logique purement financière qui prévaut dans certains groupes privés ne connaît pas de frontières.
Et puis il y a cette dimension humaine, presque intime. Une maternité, c’est bien plus qu’un service hospitalier. C’est le lieu où l’on donne la vie. Où l’on pleure de joie. Où l’on a peur. Où l’on se sent soutenu. Fermer une maternité, c’est priver tout un territoire d’un morceau d’âme.
Alors oui, le combat pour sauver celle de Quincy-sous-Sénart mérite qu’on s’y intéresse. Qu’on le soutienne. Parce qu’au fond, c’est le droit fondamental d’accoucher dignement et en sécurité qui est en jeu. Et ça, ça nous concerne toutes et tous.
Le compte à rebours est lancé. Moins de quatre mois avant la fermeture programmée. Mais quand toute une population se lève, les miracles sont parfois possibles. Rendez-vous en mars 2026 pour savoir si la petite maternité de Quincy aura réussi l’impossible : rester ouverte, contre vents, marées… et tableurs Excel.
