Quand on pense assureur, on voit souvent des contrats, des sinistres et des primes qui grimpent. Rarement des stades pleins à craquer ou des médailles paralympiques. Et pourtant, certains acteurs mutualistes ont choisi une tout autre voie : faire du sport un levier stratégique, presque une mission de santé publique. C’est exactement ce que défend Nicolas Gomart, le patron de la Matmut, dans une longue interview récente. Et franchement, ça change des discours corporate habituels.
Une stratégie qui dépasse la simple visibilité
La Matmut, c’est 4,6 millions de sociétaires, 3,2 milliards de chiffre d’affaires et une présence sportive qu’on ne peut plus ignorer. Naming du Matmut Atlantique à Bordeaux (même si l’aventure bordelaise s’est arrêtée), Matmut Stadium à Lyon, partenariats avec le LOU Rugby, Quevilly-Rouen, les Dragons de Rouen en hockey… Sans oublier un collectif d’athlètes handisport et valides impressionnant. Mais attention : ce n’est pas juste une histoire de logo sur un maillot.
Pour Nicolas Gomart, l’équation est claire : plus on bouge, moins on coûte à l’assurance maladie… et à nous-mêmes. L’idée n’est pas neuve, mais elle est rarement assumée avec autant de franchise par un dirigeant du secteur.
Le naming, oui… mais pas à n’importe quel prix
Le naming de stades a longtemps été la carte de visite de la Matmut. Bordeaux, Lyon, Vénissieux avant… Des contrats à plusieurs millions d’euros par an. L’expérience bordelaise, terminée avec la descente aux enfers des Girondins, aurait pu refroidir plus d’un partenaire. Eh bien non.
« La durée des contrats passe désormais plus souvent à cinq ans qu’à dix. Mais ça ne veut pas dire qu’on ne renouvellera pas. »
Nicolas Gomart
À Lyon, le partenariat avec le LOU vient d’être prolongé cinq années supplémentaires. Preuve que la relégation bordelaise n’a pas traumatisé le groupe. L’objectif ? Rester visible, bien sûr, mais surtout ancrer la marque dans des territoires où l’entreprise est historiquement implantée : Rouen, Lyon, Bordeaux autrefois.
Deux piliers : inclusion et santé
Ce qui frappe aujourd’hui, c’est le recentrage stratégique. Exit la dispersion tous azimuts. La Matmut veut désormais que chaque partenariat réponde à deux critères :
- L’inclusion (paralympisme, sport féminin, quartiers)
- La lutte contre la sédentarité
Et les chiffres qu’avance le dirigeant font froid dans le dos : 95 % des Français – adultes comme jeunes – ne respectent pas les recommandations de l’OMS en matière d’activité physique. Résultat ? Explosion des maladies cardiovasculaires dès 35 ans, dérive des dépenses de santé bien au-delà de l’inflation.
La Matmut a même commandé une étude interne sur le coût de la sédentarité. Le chiffre exact n’est pas encore public, mais Nicolas Gomart le promet : « Ça coûte cher. Très cher. »
Des clubs pros, mais pas n’importe lesquels
Pourquoi trois clubs professionnels dans trois sports différents ? La réponse tient en un mot : valeurs.
- Le rugby (LOU) → convivialité, solidarité, proximité
- Le football (Quevilly-Rouen) → ancrage historique dans le berceau normand de la mutuelle
- Le hockey sur glace (Rouen) → club dominant, même ADN territorial
On sent que le dirigeant aime le rugby – il le dit sans détour. À une époque, la Matmut soutenait même trois clubs de Top 14. Trop, sans doute. Aujourd’hui, l’équilibre semble trouvé.
Les athlètes, l’autre visage du sponsoring Matmut
Le collectif d’athlètes est peut-être le plus beau coup de com’… et le plus sincère. Sept sportifs, dont trois portent fièrement les couleurs Matmut :
- Alexis Hanquinquant, double champion paralympique de paratriathlon
- Ugo Didier, or olympique en natation handisport
- Elhem Mekhaled, boxeuse championne d’Europe
- Yannick Borel, escrime
- Victor Muffat-Jeandet, ski alpin…
Le critère ? Performance, évidemment. Mais surtout charisme et histoire inspirante. Des parcours qui font sens avec la philosophie inclusive de l’entreprise.
Vers les Jeux d’hiver 2030 dans les Alpes françaises ? Le patron ne ferme aucune porte. Victor Muffat-Jeandet est déjà dans le giron via une mutuelle du groupe. D’autres opportunités pourraient se présenter.
Sport auto : la parenthèse enchantée… puis refermée
Historiquement assureur auto, la Matmut a longtemps été visible en sport automobile. Mais les budgets F1 ou WRC ? Trop élevés, trop internationaux pour une mutuelle 100 % française. Aujourd’hui, seul un engagement modeste en GT4 féminin subsiste – parce qu’il coche la case inclusion.
Les 5 km Matmut : quand l’assureur fait courir la France
Mon passage préféré de l’interview ? Quand Nicolas Gomart parle des 5 km Matmut. Six événements en France où tout le monde peut participer : marcheurs, coureurs élite, familles… L’objectif n’est pas la performance, mais le mouvement.
« L’essentiel, c’est de faire les 5 km. Point. »
Succès populaire énorme. Et l’idée de passer à dix dates par an est dans les cartons. Parce que, je cite encore : « Plus il y a de prévention, moins il y a de sinistres. » Cynique ? Non. Juste lucide.
Le privé doit-il remplacer l’État ?
La phrase qui a fait réagir : « Le secteur privé a vocation à intensifier son engagement. » Et plus loin : « On observe que les entreprises se substituent au pouvoir public pour porter un certain nombre d’actions contributrices au bien commun. »
Associations comme Premiers de Cordée (où Mbappé vient faire rêver les enfants hospitalisés), la Recyclerie sportive, Graines de Footballeuses… La Matmut est partout où le sport devient outil d’inclusion sociale.
Est-ce à saluer ou à s’inquiéter ? Les deux, sans doute. Quand l’État recule, les entreprises avancent. Certaines avec sincérité, d’autres avec opportunisme. Dans le cas de la Matmut, l’historique mutualiste et les choix récents penchent plutôt vers la première catégorie.
Un budget sponsoring en hausse
Le chiffre exact reste confidentiel, mais la tendance est claire : le budget sponsoring augmente. Environ 10 % du budget communication global. Dont deux tiers pour les clubs pros et le naming.
Dans un contexte où les primes d’assurance flambent et où certains clients râlent (les commentaires sous l’article original en témoignent), cette hausse peut surprendre. Mais si l’équation « plus de sport = moins de dépenses de santé » fonctionne, alors tout le monde y gagne. Sociétaires compris.
Au final, la stratégie Matmut interpelle. Elle dépasse le simple sponsoring pour toucher à des sujets de société : santé publique, inclusion, désengagement de l’État, rôle des entreprises. Nicolas Gomart assume une vision où l’assureur devient acteur du bien commun. Utopique ? Peut-être. Cohérent avec l’ADN mutualiste ? Clairement.
Et vous, qu’en pensez-vous ? Une entreprise d’assurance a-t-elle vocation à investir autant dans le sport ? Ou devrait-elle d’abord baisser les primes de ses clients fidèles ? Le débat est ouvert. Mais une chose est sûre : la Matmut ne fait plus comme les autres. Et dans le paysage assurantiel français, ça ne passe pas inaperçu.
