Imaginez-vous tenant entre vos doigts le métal encore tiède d’une victoire qui a fait vibrer la France entière il y a près de soixante-dix ans. Ce bout de métal doré, c’est la médaille d’or du marathon des Jeux olympiques de Melbourne 1956. Celle d’Alain Mimoun. Et vendredi, elle va changer de mains. Peut-être pour toujours.
Quand j’ai appris la nouvelle, j’ai eu un pincement au cœur. Pas seulement parce que Mimoun reste pour moi l’incarnation du courage à la française, mais parce qu’on sent bien que cette vente dépasse le simple objet. C’est un morceau d’histoire nationale qui risque de nous échapper.
Une médaille qui porte toute une vie
Alain Mimoun, ce n’est pas qu’un nom sur une liste de médaillés. C’est le gars qui a couru avec les balles dans les jambes en 1945, qui a pleuré quand Zatopek l’a battu trois fois en finale olympique, et qui, à 35 ans, a enfin décroché l’or suprême sous une pluie battante à Melbourne. Devant le grand Emil, rien que ça.
Ce jour-là, il n’a pas seulement gagné un marathon. Il a refermé une boucle. Et cette médaille, c’est le sceau de cette rédemption.
« Elle aimerait que la mémoire de son père aille dans un musée. Le Musée national du sport ou le musée olympique de Lausanne, ce serait l’idéal. »
Un proche de la famille, cité par les spécialistes de la vente
Un lot complet, pas seulement une médaille
Attention, on ne vend pas la breloque toute seule. Le lot comprend :
- La médaille d’or elle-même (51 mm de diamètre, un beau bébé)
- Le maillot d’entraînement de l’équipe de France porté pendant les Jeux
- Le trophée « Champion des Champions Légende » remis en 2012
- La plaque de Grand Officier de la Légion d’Honneur
C’est tout un pan de carrière qui part en bloc. Estimation ? Entre 60 000 et 80 000 euros. Autant dire que ça calme direct quand on pense au budget d’un musée public français.
Le risque bien réel de l’exil
Et là, on touche le cœur du problème. Rien n’empêche un collectionneur étranger – qatari, américain, chinois – de lever la main plus haut que tout le monde. On l’a vu avec d’autres pièces mythiques.
Rappelez-vous : la médaille du record du monde de Bob Beamon en 1968 est partie à plus de 400 000 dollars il y a deux ans. Et là, on parle d’un objet avec un pedigree irréprochable, une provenance directe famille.
« Il y a toujours le risque qu’elle parte à l’étranger. La famille préférerait qu’elle reste dans le patrimoine français, c’est une évidence. »
Jean-Marc Leynet, expert reconnu en memorabilia sportif
Même si l’État français peut exercer un droit de préemption, encore faut-il que les caisses soient pleines. Et on sait tous que les musées publics rament en ce moment.
Pourquoi maintenant ?
Plus de douze ans après le décès du champion, sa fille Pascale-Olympe a pris une décision lourde. Garder la médaille dans un coffre ? La laisser dormir ? Non. Elle veut qu’elle vive. Qu’elle raconte encore l’histoire de son père à des générations qui ne l’ont pas connu.
Je trouve ça beau, finalement. Triste, mais beau. C’est l’idée que l’héritage doit circuler, même si ça fait mal au ventre.
Le marché des médailles olympiques : où en est-on vraiment ?
Petit tour d’horizon rapide pour ceux qui découvrent ce marché un peu fou.
- Une médaille « lambda » des années 50-60 : 10 à 20 000 €
- Avec un grand nom et une histoire : on multiplie facilement par 5 ou 10
- Records récents : Bob Beamon 441 000 $ (1968), Jesse Owens 1,46 million $ (2013 pour une de ses médailles de 1936 !)
Et pourtant, paradoxe : le marché des objets olympiques stagne un peu depuis Paris 2024. On voit des torches partout, mais presque aucune médaille des derniers Jeux n’est encore apparue en vente. Les athlètes les gardent jalousement. Pour l’instant.
Et si c’était l’occasion rêvée pour un musée français ?
Franchement, j’aimerais croire à un happy end. Le Musée national du sport à Nice, celui de Lausanne, ou même une grande fondation privée française qui ferait ensuite don… Il y a des scénarios possibles.
On a vu des campagnes de crowdfunding marcher pour des pièces moins emblématiques. Pourquoi pas lancer un appel national ? « Sauvons la médaille de Mimoun »… Ça ferait un beau symbole, non ?
Ce que cette vente nous dit de notre rapport au passé
Au-delà du sort de cette médaille précise, il y a une question plus large. Qu’est-ce qu’on fait, nous Français, de nos gloires sportives quand les témoins disparaissent ? On laisse partir les objets qui ont fait rêver des millions de gens ? Ou on se bat pour les garder visibles, accessibles, vivants ?
Alain Mimoun, c’était le dernier lien direct avec cette époque héroïque de l’athlétisme. Sa médaille, c’est un peu le dernier témoin matériel de cette France qui se relevait à coups de foulées et de volonté.
Alors oui, vendredi, il y aura des enchères. Des chiffres. Des numéros de téléphone qui grimpent. Mais derrière, il y a surtout une histoire humaine immense qui cherche une nouvelle maison.
Espérons qu’elle restera chez nous. Pas dans un coffre, mais sous une vitrine où des gamins pourront se dire : « Lui aussi, il a cru que tout était fini. Et pourtant… »
Parce que c’est ça, finalement, la vraie valeur de cette médaille. Bien au-delà des zéros sur le chèque.
