Vous êtes-vous déjà demandé ce que ça fait d’attendre huit ans pour voir un film dans lequel vous avez joué sortir enfin en salles ? Huit années où votre vie a complètement changé, où vous avez vieilli, où vous avez parfois douté que le projet voie le jour. C’est exactement ce qu’ont vécu les comédiens de Mektoub My Love : Canto Due. Et aujourd’hui, en ce début décembre 2025, le voilà qui débarque enfin sur les écrans. Franchement, ça donne le vertige.
Je me souviens encore de la claque que fut le premier volet, Canto Uno, quand il est sorti en 2018. On parlait déjà d’un cinéma charnel, solaire, presque trop vivant. Le deuxième chapitre, lui, promettait d’aller encore plus loin. Et puis… plus rien. Ou presque. Des rumeurs, des procès, des silences interminables. Alors oui, cette sortie a un goût particulier. Un goût de victoire un peu amère, mais de victoire quand même.
Un tournage qui remonte à une autre vie
Revenons un peu en arrière. L’été 2017. À Sète, sous un soleil de plomb. Une bande de jeunes acteurs, pour la plupart inconnus ou presque, tourne pendant des mois avec un réalisateur qui ne compte pas ses heures – ni les leurs. Abdellatif Kechiche fonctionne comme ça : il filme, il filme encore, il ne s’arrête jamais. Les journées sont interminables, les nuits aussi. On danse, on rit, on pleure, on se dispute, on se désire. Tout est vrai, tout est brut.
À l’époque, les comédiens ont entre vingt et vingt-cinq ans pour la plupart. Ils sortent à peine des cours de théâtre ou n’en ont même jamais suivi. Ils se jettent dans cette aventure comme on se jette à l’eau sans savoir nager. Et ils en ressortent transformés.
« C’était une expérience folle », confie encore aujourd’hui l’un des interprètes principaux.
Il y a quelque chose d’unique dans la manière dont ce film a été tourné. Pas vraiment de scénario figé, beaucoup d’improvisation, des scènes qui s’étirent sur des dizaines de minutes. Une scène de boîte de nuit qui dure près d’une heure à l’écran, vous imaginez ? On est loin des formats calibrés habituels. C’est du cinéma qui respire, qui transpire, qui vit à 100 à l’heure.
Des comédiens devenus adultes en attendant leur film
Pendant que le film dormait dans des disques durs, la vie, elle, continuait. Les acteurs ont grandi. Certains ont eu des enfants. D’autres ont enchaîné les rôles, ou au contraire ont galéré. L’une des interprètes principales avait vingt-deux ans au tournage. Elle en a trente aujourd’hui. Quand elle parle du film, elle dit que c’est comme « ouvrir un vieil album photo ».
Et c’est peut-être ça le plus fou : ils ont joué des personnages de leur âge, à un moment précis de leur jeunesse, et maintenant ils les regardent avec presque dix ans de recul. Il y a une forme de vertige temporel. Comme si le film avait capturé une version d’eux-mêmes qui n’existe plus vraiment.
- Ils avaient vingt ans et des poussières
- Ils dansaient toute la nuit sur des tubes des années 90
- Ils croyaient que le film sortirait un an ou deux plus tard maximum
- Aujourd’hui certains sont parents, d’autres ont changé de métier, tous ont mûri
Et pourtant, quand ils parlent du film, il y a encore cette étincelle dans les yeux. Cette fierté d’avoir participé à quelque chose d’aussi singulier.
Pourquoi une attente aussi longue ?
Alors bien sûr, la question qui brûle les lèvres : mais qu’est-ce qui a bien pu se passer pendant huit ans ? La réponse est… compliquée. Il y a eu des problèmes de montage – le réalisateur est connu pour reprendre sans cesse son travail. Il y a eu des soucis financiers, des producteurs qui se sont retirés. Et puis il y a eu des polémiques.
Des polémiques parfois violentes. Sur la représentation du corps féminin, sur la durée des scènes érotiques, sur le regard porté sur les personnages. Certains y ont vu une œuvre magistrale, d’autres un film problématique. Le débat a été passionné, parfois excessif. Et pendant ce temps-là, le film restait invisible.
Il y a aussi eu des batailles juridiques. Des comédiens qui ont porté plainte, d’autres qui ont défendu bec et ongles le projet. Des accords amiables, des non-dits, des rancœurs. Le genre d’histoires qui font que, parfois, un film met une éternité à sortir.
« Une attente hyperfrustrante », résume sobrement l’un des acteurs.
Frustrante, oui. Mais aussi formatrice. Beaucoup disent aujourd’hui que cette attente leur a appris la patience. Qu’elle leur a permis de prendre de la distance. Qu’elle a transformé leur rapport à ce film.
Un film qui divise encore avant même sa sortie
Il faut être honnête : Mektoub My Love : Canto Due ne va pas faire l’unanimité. Il ne l’a jamais fait, d’ailleurs. Ceux qui ont vu les premières projections parlent d’un film encore plus radical que le premier. Plus long, plus charnel, plus dérangeant aussi pour certains.
On dit que la fameuse scène de boîte de nuit dure plus de cinquante minutes. Qu’il y a des séquences de plusieurs minutes sans aucun dialogue. Que le film dure plus de trois heures et demie. Que c’est une expérience qui vous happe ou qui vous rejette, sans demi-mesure.
Moi, ce qui me frappe, c’est à quel point ce film semble être un objet temps. Il parle de jeunesse, de désir, de corps en mouvement, au moment précis où les acteurs qui l’incarnent n’ont plus tout à fait cet âge-là. Il y a quelque chose de poignant là-dedans.
Que reste-t-il de cette aventure humaine ?
Au-delà des polémiques et des années d’attente, il reste surtout une bande de comédiens qui, huit ans après, gardent un souvenir ému de cette aventure. Ils parlent encore entre eux du tournage comme d’un moment suspendu. D’un été qui n’en finissait pas.
Ils disent que Kechiche leur a appris à être vrais. À ne pas tricher. À habiter vraiment leurs personnages. Même si ça a été dur parfois. Même si ça a laissé des traces.
Aujourd’hui, quand ils vont voir le film en avant-première, certains tremblent un peu. D’autres rient nerveusement. Tous ont l’impression de faire un voyage dans le temps.
Et nous, spectateurs, on va enfin pouvoir juger sur pièce. Huit ans après avoir découvert Canto Uno, on va pouvoir voir la suite de cette histoire sensuelle et solaire qui se déroule dans les années 90 sur la côte méditerranéenne. On va pouvoir se faire notre propre opinion sur ce film qui aura mis presque une décennie à nous parvenir.
Est-ce qu’il valait toute cette attente ? Est-ce qu’il est aussi beau, aussi troublant, aussi dérangeant qu’on le dit ? Une chose est sûre : il ne laissera personne indifférent.
Alors oui, huit ans, c’est long. Trop long, sans doute. Mais parfois, les grands films ont besoin de temps. Parfois, ils arrivent quand on ne les attend plus. Et peut-être que c’est exactement ce qui rend cette sortie si particulière.
Allez le voir. Laissez-vous emporter ou bousculer. Et pensez à tous ces jeunes acteurs qui, il y a huit ans, dansaient sous le soleil de Sète en se disant que leur vie allait changer.
Elle a changé. Juste… un peu plus lentement que prévu.
