Imaginez : vous venez de remporter une course magnifique, le cœur qui bat encore à cent à l’heure, la neige qui scintille sous les projecteurs, et pourtant, la première chose qui vous vient, c’est la colère. Pas une petite colère, non. Une colère sourde, viscérale, contre l’absurdité humaine. C’est exactement ce qui est arrivé à Lou Jeanmonnot vendredi soir à Hochfilzen.
Elle monte sur la plus haute marche, embrasse son dossard de leader, sourit à peine. Et quand le micro se tend, au lieu de parler de ses 10/10 au tir ou de sa gestion parfaite du dernier tour, elle vide son sac. Parce que parfois, le sport passe après l’humain. Et là, l’humain a pris une claque monumentale.
Quand le biathlon devient un ring virtuel
On va être clair dès le départ : ce qui se passe actuellement dans le biathlon français, ce n’est plus du sport. C’est une chasse à l’homme version 2.0. Et la proie principale, c’est Justine Braisaz-Bouchet. Oui, la même qui a été victime d’une escroquerie à la carte bancaire, la même qui a porté plainte, la même qui a gagné son procès. La victime, quoi.
Et pourtant, trois ans après les faits, elle continue de payer. Pas seulement moralement. Physiquement. Sa fille a été menacée de mort. Sa fille. Vous vous rendez compte ?
« La semaine dernière, elle a reçu des menaces de mort à l’encontre de sa fille. Ça me dégoûte. »
Lou Jeanmonnot, quelques minutes après sa victoire
Cette phrase, elle tombe comme un couperet. Et derrière, il y a tout le reste. Les messages quotidiens, les insultes, les montages photo ignobles, les comptes fake créés juste pour harceler. Un acharnement qui ne s’arrête jamais, même quand la justice a tranché.
Une ambiance d’équipe irrémédiablement abîmée
Dans le milieu, on le sait depuis longtemps : l’équipe de France féminine de biathlon, c’était une famille. Des filles qui partageaient tout, des rires dans le bus, des encouragements sur le pas de tir, des soirées pasta party après les courses. Aujourd’hui ? C’est tendu. Très tendu.
Lou Jeanmonnot ne mâche pas ses mots :
« J’aurais aimé que ce soit comme quand j’étais cadette, que j’aille avec les copines à l’entraînement et que je sois contente d’y aller. Malheureusement, ce n’est pas le cas. »
Elle dit « on a appris à faire avec ». Mais à quel prix ? Combien de temps peut-on performer au plus haut niveau quand l’ambiance est aussi toxique ? Quand on sait qu’une coéquipière reçoit des menaces contre son enfant à cause d’une affaire dans laquelle elle n’a été que victime ?
Le retour de Julia Simon : un non-événement sportif, un séisme humain
Ce vendredi à Hochfilzen marquait le grand retour de Julia Simon après sa suspension. Sportivement, c’était discret : une course correcte mais sans éclat. Humainement ? Un tremblement de terre.
Parce que pendant que certains célébraient le « retour de la championne », d’autres pensaient à Justine, à sa fille, aux nuits blanches, aux alertes sur les réseaux sociaux, aux signalements qui s’empilent sans que ça s’arrête jamais.
- Une victoire éclatante de Lou Jeanmonnot (10/10 au tir, maîtrise totale)
- Un podium 100 % français avec Chloé Chevalier 3e
- Et en arrière-plan, une équipe fracturée comme jamais
Le contraste est violent. Sur le papier, tout va bien. Dans la réalité, tout est cassé.
Le cyberharcèlement : ce fléau qui touche tous les sports de haut niveau
Le biathlon n’est pas une exception, malheureusement. On l’a vu avec les footballeurs, les tennismen, les basketteurs. Dès qu’un sportif ou une sportive sort du lot – ou qu’une polémique éclate – les réseaux sociaux deviennent un défouloir.
Mais là, on a franchi un cap. Menacer un enfant ? Sérieusement ? C’est plus du supportérisme passionné, c’est de la pathologie. Et le pire, c’est que ça reste souvent impuni. Un pseudo, un VPN, et hop, on peut détruire une vie en trois clics.
J’ai discuté avec des athlètes d’autres disciplines. Beaucoup disent la même chose : « On fait avec, on bloque, on signale, mais ça ne s’arrête jamais. » Certains ont même embauché des community managers juste pour filtrer la haine. C’est le monde dans lequel on vit.
Justine Braisaz-Bouchet : une femme en or dans la tempête
Lou Jeanmonnot l’a dit avec une émotion rare : « C’est une personne en or qui mérite tout l’amour du monde. » Et elle a raison. Justine, c’est la discrétion, la gentillesse, le travail acharné. Celle qui revient après une grossesse, qui gagne des courses, qui sourit toujours malgré tout.
Et pourtant, elle paie le prix fort. Pas seulement elle, d’ailleurs. Toute l’équipe paie. Les victoires ont un goût amer. Les relais, même gagnants, se font dans une ambiance étrange. On célèbre, mais à moitié.
À Östersund, quand les Bleues ont gagné le relais sans Julia Simon, la joie était totale, débridée. Aujourd’hui ? On sent la retenue. On célèbre Lou, bien sûr. Mais on pense aussi à tout ce qui pourrit en coulisses.
Et maintenant ? Vers une prise de conscience collective ?
La question qui brûle les lèvres : jusqu’où ça va aller ? Est-ce qu’il faudra attendre un drame pour que les choses bougent vraiment ? Parce que là, on n’est plus très loin.
Les instances du biathlon, les sponsors, les médias, les supporters : tout le monde doit se regarder dans la glace. Le sport de haut niveau, ce n’est pas que des médailles et des sponsors. C’est aussi protéger ceux qui le font vivre.
- Renforcer les sanctions contre le cyberharcèlement sportif
- Mettre en place un vrai soutien psychologique pour les athlètes ciblés
- Éduquer les supporters (oui, même les plus passionnés)
- Arrêter de glorifier les polémiques pour le clic
Parce que sinon, on va perdre bien plus que des courses. On va perdre des athlètes formidables. Et peut-être pire.
Un sport magnifique qui mérite mieux
Le biathlon, c’est l’effort solitaire dans le froid, la précision chirurgicale, la gestion du stress ultime. C’est un sport magnifique qui rassemble des millions de gens chaque hiver. Il ne mérite pas ça.
Les images de Hochfilzen vendredi soir étaient superbes : la neige, les lumières, les fusils, les sourires fatigués mais sincères. Et pourtant, derrière chaque sourire, il y avait cette ombre. Cette colère sourde. Cette tristesse.
Lou Jeanmonnot a gagné une course. Mais elle a surtout gagné le respect de tous ceux qui ont compris que parfois, parler, c’est déjà gagner une bataille.
Espérons juste que sa voix sera entendue. Vraiment entendue. Avant qu’il ne soit trop tard.
Le biathlon français est à un tournant. Soit on laisse la haine gangrener tout, soit on décide collectivement que ça suffit. Moi, je sais de quel côté je suis. Et vous ?
