Parfois, la réalité dépasse tout ce qu’on peut imaginer dans les séries policières. Une femme ordinaire, mère de famille, qui un jour prend une carabine et met fin à des années de terreur. Ce n’est pas un scénario de film, c’est arrivé il y a vingt mois à Mazamet, dans le Tarn, et l’affaire vient seulement d’éclater au grand jour.
Un coup de feu qui a brisé le silence
Le 18 avril 2024, Jean-Baptiste Moutassié, 29 ans, disparaît. Pour tout le monde, c’est un jeune père qui vient de décrocher un CDI, quelqu’un qui n’a aucune raison de partir sans donner de nouvelles. Sa compagne signale sa disparition, visiblement inquiète. Mais les policiers, eux, sentent immédiatement que quelque chose cloche.
Presque deux ans plus tard, la vérité éclate : c’est elle qui l’a tué. Un seul tir de carabine 22 Long Rifle en pleine tête. Elle a 32 ans, trois enfants, et des années de violences et d’humiliations dans le corps et dans la tête.
Des violences corroborées par tout l’entourage
Ce qui rend cette histoire particulièrement glaçante, c’est que personne ne semble surpris par le geste. Les voisins, la famille, les collègues : tout le monde savait. On parle de violences physiques régulières, de cris qui traversaient les murs, d’enfants terrorisés obligés de se cacher sous leur lit quand « papa rentrait ».
« Il la traitait comme un objet. On entendait tout. On avait peur pour elle et pour les petits. »
Un proche entendu par les enquêteurs
La jeune femme a fini par craquer. Un soir comme les autres, ou peut-être pire que les autres, elle a pris l’arme qui traînait à la maison – une carabine de chasse – et elle a tiré. Une fois. En pleine tête. Fin de la terreur.
Le père entre en scène : l’effacer les traces
Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Paniquée, elle appelle son père. À 61 ans, cet homme sans histoire va accepter d’aider sa fille à faire disparaître le corps. Ensemble, ils enveloppent le cadavre, le chargent dans une voiture et roulent jusqu’à une zone montagneuse de l’Hérault.
Là, dans le lit asséché d’une rivière, ils cachent le corps sous un amas de pierres. Vraiment loin de tout. Presque deux ans plus tard, c’est là que les enquêteurs retrouveront un squelette, encore partiellement habillé, coincé sous les pierres.
Le père est aujourd’hui mis en examen pour recel de cadavre et modification de l’état des lieux d’un crime. Il a été placé sous contrôle judiciaire. La mère de la jeune femme, elle, a été relâchée sans poursuites.
Une enquête qui n’a jamais lâché
Dès le départ, les policiers de la police judiciaire n’ont pas cru à la thèse du départ volontaire. Un homme qui signe un CDI et disparaît du jour au lendemain ? Peu crédible. Ils ont creusé, écouté, recoupé les témoignages. Petit à petit, le faisceau d’indices s’est resserré autour du couple… puis de la famille.
Il aura fallu attendre décembre 2025 et une nouvelle série de gardes à vue pour que tout bascule. Placée en garde à vue avec ses parents, la jeune femme a fini par tout avouer. Les mots sont sortis, lourds, précis. Elle a décrit le geste, le bruit, la peur ensuite.
Légitime défense ou meurtre avec préméditation ?
C’est là que tout devient extrêmement complexe. D’un côté, des années de violences avérées. Des enfants témoins. Un homme décrit comme tyrannique, humiliant, imprévisible. De l’autre, un tir en pleine tête alors qu’il n’y avait apparemment pas d’agression immédiate ce soir-là.
La justice va devoir trancher entre plusieurs qualifications possibles :
- Meurtre (peine maximale : réclusion criminelle à perpétuité)
- Homicide volontaire sur conjoint (circonstances atténuantes liées à la violence conjugale
- Eventuelle reconnaissance de la légitime défense (même différée)
On pense immédiatement aux affaires Jacqueline Sauvage, Alexandra Lange ou Valérie Bacot – ces femmes qui, après des décennies de calvaire, ont été acquittées ou ont vu leur peine fortement réduite.
La société face à ses zones grises
Ce genre d’affaire met tout le monde mal à l’aise. Parce qu’on a envie de comprendre, d’être du côté des victimes… mais qu’un meurtre reste un meurtre. Et pourtant, quand on lit les témoignages, quand on imagine les enfants qui grandissent dans la peur, on se demande : qu’est-ce qu’on aurait fait à sa place ?
J’ai couvert plusieurs dossiers de violence conjugale. À chaque fois, on retrouve le même schéma : la victime porte plainte, repart, revient, repart… jusqu’au jour où il est trop tard. Ici, elle a choisi une autre issue. Radicale. Définitive.
Et c’est peut-être ça le plus terrifiant : qu’une femme « normale », sans antécédents, en arrive à penser que tuer est la seule solution pour protéger ses enfants et elle-même.
Ce que cette affaire nous dit (encore) sur la violence conjugale
En France, on compte encore plus d’une centaine de féminicides par an. Mais on parle moins des hommes tués par leur conjointe – même si les chiffres existent : environ 20 à 30 cas par an, souvent dans des contextes de violences mutuelles ou de désespoir absolu.
Ce dossier rappelle cruellement que :
- Les signalements ne suffisent pas toujours
- Les ordonnances de protection arrivent parfois trop tard
- Les enfants sont les premières victimes collatérales
- Le sentiment d’enfermement peut pousser à l’irréparable
Aujourd’hui, la jeune femme est en détention provisoire. Elle risque très gros. Mais dans les couloirs du palais de justice, on murmure déjà que son avocate va plaider la légitime défense ou, à défaut, les circonstances exceptionnelles.
Au fond, peu importe l’issue judiciaire, cette histoire laisse un goût amer. Celui d’un système qui n’a pas su protéger une famille avant qu’elle n’explose. Celui d’une femme qui a cru que la seule porte de sortie passait par un coup de feu.
Et nous, on reste là, à se demander combien d’autres vivent la même chose en silence, en ce moment même, derrière des volets clos, quelque part en France.
