Il y a des affaires qui vous restent en tête longtemps après avoir fermé le dossier. Celle de l’exécution de Galphy, 22 ans, en pleine rue à Sarcelles, dans la nuit du 11 octobre 2024, en fait partie. Une seule balle, tirée à bout portant dans la tête. Un règlement de comptes classique sur fond de trafic de drogue, pensait-on alors. Et puis, six mois plus tard, coup de théâtre : le principal suspect, un certain Johnny S., surnommé « Le Mexicain » ou « Nachacho », sort de prison, blanchi par l’enquête. Libre. Sous simple contrôle judiciaire.
Comment en est-on arrivé là ? Comment un homme mis en examen pour meurtre en bande organisée peut-il se retrouver dehors aussi vite ? C’est ce que je me suis demandé en replongeant dans ce dossier. Et franchement, l’histoire est à la fois édifiante et glaçante.
Une exécution en pleine rue, signature des narcobandits
Revenons à cette nuit d’octobre. Il est un peu plus de minuit quand Galphy S., 22 ans à peine, sort d’un immeuble de la cité des Sablons, à Sarcelles. Quelques secondes plus tard, un individu s’approche et tire une unique balle dans la tête. La victime s’effondre. Le tueur repart calmement, comme si de rien n’était. Les caméras de vidéosurveillance captent vaguement une silhouette encapuchonnée, mais rien d’exploitable.
Dans le quartier, personne n’est vraiment surpris. Galphy était connu pour graviter autour d’un point de deal important. Rivalités, dettes, territoires… les raisons ne manquent pas quand l’argent de la drogue coule à flots. Très vite, les enquêteurs de la police judiciaire de Cergy orientent leurs recherches vers un conflit entre deux réseaux locaux. Et c’est là qu’apparaît le nom de Johnny S.
« Dans ce genre d’affaires, les langues se délient rarement. Mais quand on parle gros trafics et exécutions, certains noms reviennent toujours. »
Un policier expérimenté du Val-d’Oise
« Le Mexicain », un surnom qui pèse lourd
Johnny S. a 26 ans. Originaire du secteur, il traîne derrière lui une réputation sulfureuse. Son surnom « Le Mexicain » (ou parfois « Nachacho ») vient sans doute de ses traits ou de ses origines sud-américaines par sa mère. Dans la cité, on le décrit comme quelqu’un de discret mais respecté… et craint. Il aurait gravi les échelons rapidement dans le milieu du stupéfiant.
En juin 2025, les enquêteurs pensent tenir leur homme. Des témoignages, des écoutes téléphoniques, des éléments de contexte : tout semble converger. Johnny est interpellé, mis en examen pour meurtre en bande organisée, tentative de meurtre et association de malfaiteurs, puis écroué. À ce stade, beaucoup dans le quartier le voient déjà condamné.
Moi le premier, je l’avoue, j’ai pensé que l’affaire était pliée. On a vu tellement de dossiers similaires où le suspect finit par craquer ou par être confondu définitivement…
L’alibi en béton qui change tout
Mais voilà. L’enquête technique, celle qui prend du temps mais qui ne ment pas, va tout remettre en cause.
Première révélation : la géolocalisation du téléphone de Johnny S. Le soir du meurtre, son portable borne… à Annemasse, en Haute-Savoie. Plus de 700 kilomètres de Sarcelles. Difficile de faire plus clair comme alibi.
- Relevés téléphoniques confirmés par plusieurs opérateurs
- Factures d’hôtel et tickets de caisse datés
- Témoignages de personnes l’ayant vu sur place ce soir-là
- Caméras de péage autoroutier qui repèrent sa voiture dans les deux sens
Autant d’éléments qui s’accumulent et qui rendent matériellement impossible sa présence sur les lieux du crime. Le procureur de la République de Pontoise finit par requérir lui-même la remise en liberté. Le 28 novembre 2025, la juge d’instruction suit l’avis et libère Johnny S., sous contrôle judiciaire bien sûr, mais libre quand même.
Les dangers des enquêtes sous pression
Cette affaire pose une question qu’on n’ose pas toujours poser publiquement : combien de mises en examen hâtives dans ce genre de dossiers ultra-médiatisés ? Quand un jeune est exécuté en pleine rue, la pression politique et médiatique est énorme. Il faut un suspect, vite.
Et parfois, on se trompe.
Johnny S. a passé six mois en détention provisoire pour rien. Six mois où sa vie a été mise entre parenthèses, où sa famille a vécu l’enfer, où son nom a été sali dans tout le département. Et même s’il est blanchi pour ce meurtre précis, son casier et sa réputation ne seront jamais vraiment effacés.
« La détention provisoire, c’est une arme à double tranchant. Elle protège la société, mais elle peut aussi détruire des vies quand on se trompe de cible. »
Un avocat pénaliste parisien
Sarcelles, ville sous tension permanente
Ce n’est pas la première fois que Sarcelles fait la une pour des règlements de comptes. Ces dernières années, la ville a connu une recrudescence impressionnante de violences liées au trafic de stupéfiants. Des fusillades en plein jour, des guet-apens, des exécutions. Le cocktail classique : chômage des jeunes, misère sociale, et un marché de la drogue qui rapporte énormément en très peu de temps.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes :
- Entre 2022 et 2025, plus d’une quinzaine d’homicides liés au narco-trafic dans le Val-d’Oise et la Seine-Saint-Denis limitrophe
- Des armes de guerre saisies régulièrement (Kalachnikov, fusils à pompe)
- Des quantités records de cocaïne et de cannabis écoulées chaque semaine
Dans ce contexte, chaque mort entraîne une vengeance, chaque vengeance une nouvelle mort. Un cercle sans fin.
Et maintenant ?
Johnny S. est libre, mais l’enquête sur le meurtre de Galphy continue. Le véritable tueur court toujours. Et quelque part dans la cité, une autre équipe prépare peut-être déjà la riposte. Parce que dans ces guerres-là, l’innocence d’un homme ne change rien à la logique de vengeance.
Ce qui me frappe le plus dans cette histoire, c’est à quel point elle résume tout : la violence absurde des trafics, la difficulté de la justice à travailler sereinement, la rapidité avec laquelle on peut détruire une vie sur de simples soupçons. Et surtout, cette impression que, malgré tout, rien ne changera vraiment tant que le trafic continuera de gangrener ces quartiers.
Johnny S. a eu de la chance. Il avait un alibi en or. Mais combien d’autres, dans des affaires similaires, n’en n’ont pas et finissent condamnés sur des éléments fragiles ?
Une chose est sûre : cette libération ne signe pas la fin du narcobanditisme à Sarcelles. Elle ne fait que repousser l’échéance du prochain drame.
Et vous, qu’en pensez-vous ? Croyez-vous que la justice parvient encore à garder la tête froide dans ce genre d’affaires ultra-sensibles ? Ou la pression est-elle trop forte ?
