Il y a des nouvelles qui vous tombent dessus comme un coup de poing dans l’estomac. Ce lundi 1er décembre 2025, en pleine matinée, un psychiatre de 67 ans a été mortellement poignardé dans son propre cabinet, au cœur d’un centre médico-psychologique du Gosier, en Guadeloupe. Le suspect ? Un patient qu’il recevait en consultation ordinaire. Pas de crise connue, pas de menace préalable. Juste un geste soudain, brutal, irréversible.
Je vous avoue que, quand j’ai lu ça, j’ai eu besoin de relire plusieurs fois. On parle quand même d’un médecin expérimenté, père de famille pour beaucoup, qui exerçait depuis des décennies auprès des personnes les plus fragiles psychologiquement. Et en une fraction de seconde, tout bascule.
Un drame qui secoue toute une profession
Les faits sont d’une simplicité terrifiante. Le médecin terminait ses consultations du matin. Le patient entre, la porte se referme, et quelques minutes plus tard c’est le chaos. Plusieurs coups d’arme blanche. Les collègues, alertés par les cris, tentent de porter secours. Trop tard. Malgré l’intervention rapide des pompiers et du SAMU, le praticien succombe à ses blessures.
Le suspect, lui, n’a pas cherché à fuir. Il a été interpellé sur place et placé immédiatement en garde à vue. L’enquête pour homicide volontaire a été confiée à la gendarmerie et au parquet de Pointe-à-Pitre.
« Il n’avait jamais montré le moindre signe d’agressivité. C’était un patient suivi depuis longtemps, sans antécédent violent. Personne n’aurait pu imaginer ça. »
– Un proche du dossier, sous couvert d’anonymat
La psychiatrie, un métier à haut risque qu’on oublie trop souvent
On a beau le répéter, ça reste dans l’angle mort du grand public : les psychiatres et les infirmiers en santé mentale font partie des professions les plus exposées à la violence. Pas parce qu’ils travaillent en prison ou dans la rue, non. Mais parce qu’ils accueillent, jour après jour, des personnes en souffrance psychique aiguë, parfois en pleine crise, souvent sans filtre.
Et pourtant, combien de cabinets sont équipés d’alarmes portatives ? Combien de centres disposent d’agents de sécurité ? Très peu. On se dit toujours « ça n’arrive jamais chez nous »… jusqu’au jour où ça arrive.
- En moyenne, 15 % des psychiatres français déclarent avoir été victimes d’agression physique au cours de leur carrière
- Plus de 60 % rapportent des menaces ou des intimidations verbales répétées
- Dans les Outre-mer, le sentiment d’insécurité est encore plus marqué à cause de l’isolement géographique
Ces chiffres font froid dans le dos quand on les met bout à bout. Et ils ne tiennent même pas compte des agressions « mineures » que beaucoup ne déclarent plus, par lassitude ou par habitude.
Guadeloupe : une île magnifique, une réalité sociale explosive
Parlons franchement : la Guadeloupe, c’est le paradis sur les cartes postales et parfois l’enfer au quotidien pour ceux qui y vivent. Chômage massif, précarité extrême, trafic d’armes en hausse constante… Le département affiche un taux d’homicides six fois supérieur à la moyenne nationale. Oui, vous avez bien lu : six fois.
Dans certains quartiers, posséder une arme est devenu aussi banal que d’avoir un téléphone portable. « Tout le monde en a une, c’est pour se défendre », entend-on souvent. Sauf que ces armes finissent parfois entre de mauvaises mains, au mauvais moment.
Au centre médico-psychologique du Gosier, on suivait l’an dernier plus de 12 000 patients – soit près de 3 % de la population totale de l’archipel. Une hausse de 22 % en cinq ans. Derrière ces chiffres, il y a des familles en détresse, des jeunes perdus, des addictions qui explosent, des traumas jamais soignés. Et des soignants qui tentent, avec des moyens dérisoires, de tenir la barre.
Et maintenant ? Vers une prise de conscience collective ?
Ce drame n’est malheureusement pas une première. On se souvient de l’infirmière tuée à Thouars en 2023, du médecin agressé à Toulouse, des dizaines d’incidents graves chaque année. Mais celui-ci a quelque chose de particulièrement révoltant : l’âge de la victime, la banalité apparente du rendez-vous, l’absence totale de signe avant-coureur.
Les syndicats de psychiatres demandent depuis des années :
- Des boutons d’alerte dans chaque cabinet
- Une formation renforcée à la gestion de la violence
- La présence systématique d’un tiers lors des consultations à risque
- Des recrutements massifs pour réduire la charge par patient
- Une vraie politique de désarmement dans les territoires ultra-marins
Pour l’instant, les réponses restent timides. On attend toujours le « choc » qui fera enfin bouger les lignes.
Ce que ce meurtre nous dit de notre société
Au-delà du fait divers, il y a une question qui me hante : qu’est-ce qu’on fait, collectivement, des personnes en grande souffrance psychique ? On les parque dans des structures sous-dotées, on demande à des soignants épuisés de faire des miracles, et quand le pire arrive, on s’émeut trois jours avant de passer à autre chose.
Ce psychiatre n’est pas mort « par accident ». Il est mort parce qu’il faisait un métier essentiel dans des conditions indignes d’un pays développé. Point.
« On soigne des âmes brisées avec des bouts de ficelle. Et un jour, la ficelle lâche. »
– Un infirmier psychiatrique antillais, après le drame
Je ne sais pas vous, mais moi, cette phrase me poursuit.
Un hommage silencieux à un homme dévoué
Dans les couloirs de l’hôpital du Gosier, on n’entend plus que des pas feutrés et des sanglots étouffés. Les patients, eux aussi, sont perdus. Beaucoup pleurent « leur docteur ». Celui qui écoutait sans juger, qui trouvait toujours une solution, qui n’abandonnait jamais.
Ils ne comprennent pas. Nous non plus.
Reposez en paix, docteur. Vous avez donné votre vie pour soigner celles des autres. C’est injuste, c’est révoltant, mais c’est la vérité brute de ce métier que vous avez choisi par vocation.
Ce drame doit être le dernier. Pas un de plus. Il est temps que les pouvoirs publics, les hôpitaux, la société toute entière prennent enfin la mesure du danger réel que courent ceux qui prennent soin de nos cerveaux abîmés.
Parce qu’aujourd’hui, c’est un psychiatre en Guadeloupe.
Demain, ça pourrait être n’importe qui, n’importe où.
Et ça, c’est simplement inacceptable.
