Imaginez-vous assis face à quelqu’un censé vous aider à aller mieux, et d’un seul coup, tout bascule. Une consultation qui tourne au cauchemar, un couteau qui sort de nulle part, et une vie qui s’éteint en quelques minutes. C’est exactement ce qui s’est produit lundi dans un centre médico-psychologique du Gosier, en Guadeloupe. Un psychiatre de 67 ans a été tué à coups de couteau par un patient de 48 ans qu’il suivait depuis longtemps. L’histoire est glaçante, et elle soulève des questions qu’on préfère souvent laisser dans l’ombre.
Ce genre de drame, on croit toujours que ça n’arrive qu’ailleurs. Et pourtant, il remet brutalement sur la table la réalité parfois explosive des relations entre patients et soignants en psychiatrie.
Un acte froid, une colère ancienne
La scène se déroule en début de semaine. Le patient sort tout juste de sa consultation habituelle. Rien, a priori, ne laissait présager le pire. Puis, soudain, il brandit un petit couteau rétractable et porte une dizaine de coups. Le médecin n’a aucune chance. Les plaies touchent plusieurs organes vitaux. Quand les forces de l’ordre arrivent, l’homme est interpellé sans résistance à deux pas du centre. Il reconnaît immédiatement les faits.
Ses premiers mots ? Il explique son geste par une colère profonde contre la psychiatrie et surtout contre les traitements qui lui étaient prescrits depuis des années. Une phrase qui résonne comme un cri longtemps retenu.
« Il a expliqué son passage à l’acte par sa colère contre la psychiatrie en général et les traitements qui lui étaient prescrits. »
– propos rapportés par la procureure lors de la conférence de presse
Difficile de ne pas être troublé. On parle d’un suivi médical régulier, pas d’une première rencontre tendue. L’homme connaissait son psychiatre, venait le voir depuis longtemps. Et pourtant, quelque chose a craqué ce jour-là.
Un profil qui intrigue les enquêteurs
À 48 ans, le suspect n’est pas un inconnu des services de justice, mais son casier est quasi vierge. Une seule procédure en 2021 pour port d’arme blanche, classée sans suite pour irresponsabilité pénale. À l’époque, il avait déjà été hospitalisé en psychiatrie. Diplômé, sans emploi, il semble appartenir à cette catégorie de personnes qu’on qualifie souvent de « fragiles » mais qui passent sous les radars jusqu’au jour où tout explose.
Aujourd’hui, il est mis en examen pour assassinat – un qualification lourde qui suppose la préméditation – et placé en détention provisoire. Mais l’enquête ne fait que commencer, et le nœud du problème est déjà identifié : était-il conscient de ses actes au moment des faits ?
Le discernement au cœur du débat
C’est là que tout va se jouer. Plusieurs expertises psychiatriques collégiales vont être ordonnées. Son dossier médical complet sera épluché. Les questions sont simples, mais les réponses rarement tranchées :
- Était-il en crise aiguë au moment du drame ?
- Son traitement était-il adapté, ou au contraire source d’effets secondaires insupportables ?
- A-t-il prémédité son geste ou s’agit-il d’un passage à l’acte impulsif ?
On le sait, l’abolition du discernement ou son altération peuvent transformer un assassinat en hospitalisation d’office. Et dans ce genre de dossier, les experts divergent souvent. J’ai suivi suffisamment d’affaires similaires pour savoir que les conclusions peuvent mettre des mois, voire des années, avant d’être rendues.
La Guadeloupe, terre de violences
Il y a aussi le contexte local, qu’on ne peut pas balayer d’un revers de main. La Guadeloupe reste l’un des territoires français où le taux d’homicides est parmi les plus élevés : environ 7,5 pour 100 000 habitants, contre 1,2 en métropole. Précarité, chômage massif, sentiment d’abandon… Tout cela forme un cocktail explosif.
Dans ce décor, les structures de santé mentale sont souvent débordées, les listes d’attente interminables, les moyens limités. Un psychiatre pour des dizaines de milliers d’habitants dans certaines zones. On imagine la pression sur les professionnels, et parfois sur les patients qui se sentent abandonnés ou mal compris.
La psychiatrie sous tension, partout en France
Mais attention, ce drame n’est pas qu’une « affaire guadeloupéenne ». Il fait écho à d’autres agressions, parfois mortelles, contre des soignants en psychiatrie ces dernières années. On se souvient de cette infirmière tuée à Pau en 2022, ou encore de l’attaque au couteau dans un hôpital psychiatrique à Marseille. À chaque fois, le même schéma : un patient en suivi, une colère accumulée, un geste irréparable.
Derrière ces faits divers, il y a une réalité plus large : la psychiatrie française est à bout de souffle. Manque de lits, turn-over infernal des personnels, sentiment d’impuissance face à certaines pathologies lourdes. Et parfois, oui, des traitements qui, même s’ils sont prescrits avec les meilleures intentions, sont vécus comme une violence supplémentaire par ceux qui les subissent.
Entre légitime colère et dangerosité
Je ne vais pas vous cacher que ce genre d’histoire me met mal à l’aise. D’un côté, on entend la souffrance d’un homme qui dit « je n’en pouvais plus ». De l’autre, il y a un médecin de 67 ans, probablement proche de la retraite, qui laissait sa vie en essayant d’aider. Deux solitudes qui se sont percutées avec une violence inouïe.
Est-ce que critiquer les traitements psychiatriques fait de vous un danger public ? Bien sûr que non. Mais quand la colère devient meurtre, la frontière est franchie. Et c’est là tout le drame : comment accompagner ceux qui souffrent sans mettre en danger ceux qui soignent ?
Et maintenant ?
L’enquête va durer de longs mois. Les expertises psychiatriques vont se multiplier. Peut-être qu’un jour, on saura si cet homme était pleinement responsable ou si la maladie a pris le dessus. En attendant, une famille pleure un père, un mari, un confrère. Et toute une profession se pose, une fois de plus, la question de sa propre sécurité.
Ce drame nous rappelle une chose essentielle : la santé mentale n’est pas qu’une affaire individuelle. C’est un enjeu de société. Tant qu’on continuera à la reléguer au second plan, on risque de revivre ce type de tragédies. Et ça, franchement, c’est ce qui me révolte le plus.
Et vous, qu’en pensez-vous ? Peut-on à la fois entendre la souffrance des patients et protéger ceux qui les prennent en charge ? Le débat est ouvert, et il est plus que jamais nécessaire.
