Quand un géant s’éteint, c’est tout un univers qui vacille. Mohamed Lakhdar Hamina, figure légendaire du cinéma algérien, nous a quittés à l’âge de 95 ans, laissant derrière lui une empreinte indélébile. Son nom résonne comme un écho dans l’histoire du cinéma, un pont entre l’Afrique, le monde arabe et l’Occident. Palme d’Or en 1975 pour Chronique des années de braise, il a su, avec une vision unique, raconter l’âme d’un peuple en lutte. Mais qui était vraiment cet homme, et pourquoi son œuvre continue-t-elle de fasciner ?
Un Pionnier du Cinéma Épique
Il y a des réalisateurs qui filment, et d’autres qui sculptent l’histoire. Mohamed Lakhdar Hamina appartient à cette seconde catégorie. Né en 1934 dans la région de M’sila, au cœur des Aurès, il grandit dans un milieu modeste, loin des projecteurs. Fils de paysans, il aurait pu suivre un tout autre chemin, celui de l’agriculture, qu’il étudie brièvement. Mais le destin en décide autrement. La guerre d’Algérie, ce conflit brutal qui marque son pays, devient le moteur de sa vie et de son art.
Avant d’être un cinéaste, il était un moudjahid, un combattant de l’image, utilisant la caméra comme une arme pour raconter la lutte algérienne.
Son parcours est celui d’un autodidacte. Sans formation formelle, il apprend le cinéma sur le terrain, d’abord à Tunis, où il rejoint la résistance algérienne en 1958. Un stage aux actualités tunisiennes lui ouvre les portes de l’image. Dès lors, il n’a qu’une idée en tête : raconter, à travers le cinéma, les combats et les espoirs de son peuple.
Une Voix pour l’Indépendance
Si vous n’avez jamais vu Chronique des années de braise, imaginez une fresque où chaque plan est une peinture, chaque scène une leçon d’histoire. Ce film, récompensé par la Palme d’Or en 1975, retrace, en six tableaux, l’éveil d’une nation entre 1939 et 1954. De la misère rurale à l’embrasement de la guerre d’indépendance, Hamina y dépeint les souffrances du peuple algérien sous la colonisation française. Ce n’est pas juste un film, c’est un cri, un témoignage vibrant.
Ce chef-d’œuvre ne sort pas de nulle part. Hamina, profondément marqué par la perte de son père, torturé et tué par l’armée française, porte en lui la douleur d’une nation. Son cinéma devient un miroir, reflétant les héroïsmes et les tragédies d’un peuple en quête de liberté. À travers ses images, il donne une voix au tiers-monde, une voix qui résonne bien au-delà des frontières algériennes.
- Une fresque historique couvrant 15 ans de lutte.
- Des personnages ancrés dans la réalité, inspirés par des vies réelles.
- Un style visuel à la fois poétique et brut, capturant l’âme de l’Algérie.
J’ai toujours trouvé fascinant comment un film peut devenir plus qu’un divertissement, un véritable acte politique. Chronique n’est pas seulement beau, il est nécessaire. Il a ouvert les yeux du monde sur une histoire souvent ignorée.
Cannes : Une Consécration Historique
Le Festival de Cannes, c’est le graal du cinéma mondial. Et Hamina y a laissé une marque indélébile. Il est l’un des rares cinéastes africains et arabes à avoir été sélectionné à quatre reprises sur la Croisette. En 1967, il décroche le prix de la première œuvre pour Le Vent des Aurès, un film poignant sur une mère cherchant son fils dans le chaos de la guerre. Huit ans plus tard, la Palme d’Or pour Chronique des années de braise fait de lui une légende.
Son cinéma a construit un pont entre le Sud et l’Occident, une prouesse rare et précieuse.
Cette année, Cannes lui a rendu hommage en projetant une version restaurée en 4K de Chronique dans le cadre de son programme Cannes Classics. Un moment émouvant, qui rappelle combien son travail reste d’actualité. Pourquoi ? Parce que ses films parlent de combats universels : la dignité, la liberté, l’identité.
| Film | Année | Distinction à Cannes |
| Le Vent des Aurès | 1966 | Prix de la première œuvre |
| Chronique des années de braise | 1975 | Palme d’Or |
Ce tableau, simple mais éloquent, montre l’impact de Hamina sur la scène mondiale. Deux distinctions majeures à Cannes, ce n’est pas rien. Surtout pour un cinéaste venu d’un pays en reconstruction, avec des moyens modestes.
Un Héritage Cinématographique
En 50 ans de carrière, de 1964 à 2014, Hamina a réalisé un documentaire et sept longs-métrages. Chacun de ses films est une pièce d’un puzzle plus grand, celui de l’histoire algérienne. Voici un aperçu de son œuvre :
- Mais un jour de novembre (1964) : Un documentaire qui pose les bases de son style.
- Le Vent des Aurès (1966) : Une tragédie familiale dans le contexte de la guerre.
- Hassan Terro (1968) : Une comédie satirique sur la résistance.
- Décembre (1973) : Une réflexion sur la mémoire collective.
- Chronique des années de braise (1975) : Son chef-d’œuvre, une épopée historique.
- Vent de sable (1982) : Une méditation sur la solitude et le désert.
- La dernière image (1986) : Un regard sur les cicatrices de la guerre.
- Crépuscule des ombres (2014) : Son dernier film, une ode à la réconciliation.
Ce qui frappe dans cette filmographie, c’est sa diversité. Hamina passe de la comédie au drame, du documentaire à l’épopée, avec une aisance rare. Pourtant, un fil rouge traverse son œuvre : la quête d’identité d’un peuple. Chaque film est une brique dans la construction d’une mémoire collective.
Un Homme, Une Histoire
Hamina n’était pas seulement un cinéaste. C’était un homme façonné par son époque. Sa jeunesse dans les Aurès, ses études à Antibes, sa rencontre avec celle qui deviendra la mère de ses quatre fils, tout cela nourrit son art. Mais c’est la guerre d’Algérie qui le définit. Appelé sous les drapeaux en 1958, il choisit la désertion pour rejoindre la résistance à Tunis. Ce choix, risqué, forge son destin.
Je me souviens avoir lu quelque part qu’un bon cinéaste est celui qui vit ses histoires avant de les filmer. Hamina incarnait cela. Sa caméra n’était pas un simple outil, mais une extension de sa mémoire, de ses blessures, de ses espoirs. Quand on regarde ses films, on sent cette vérité brute, cette urgence de raconter.
Son cinéma est un miroir tendu à l’humanité, reflétant les luttes et les rêves d’un peuple.
Ses films ne se contentent pas de divertir. Ils interrogent, ils éduquent. Ils rappellent que l’histoire n’est pas qu’une suite de dates, mais un tissu de vies, de combats, de sacrifices.
Un Écho Toujours Vivant
Au moment de son décès, les hommages affluent. Le président algérien a salué un géant du cinéma mondial, soulignant comment ses films ont révélé les souffrances du peuple algérien. Mais au-delà des discours officiels, c’est l’impact de son œuvre qui parle. Ses films, souvent tournés avec des moyens limités, ont su rivaliser avec les grandes productions hollywoodiennes par leur puissance narrative.
Pourquoi son travail reste-t-il si pertinent ? Peut-être parce qu’il parle de thèmes intemporels : la lutte pour la liberté, la quête de justice, la résilience face à l’adversité. Dans un monde où les conflits d’identité et les questions postcoloniales sont toujours d’actualité, Hamina nous rappelle que le cinéma peut être un outil de mémoire et de résistance.
Si je devais choisir un aspect qui me touche particulièrement, ce serait sa capacité à rendre l’histoire accessible. Ses films ne sont pas réservés à une élite. Ils parlent à tous, du paysan des Aurès au cinéphile parisien. C’est là, je crois, la vraie force de son cinéma.
Que Reste-t-il de Son Héritage ?
La mort de Mohamed Lakhdar Hamina marque la fin d’une ère, mais pas la fin de son influence. Ses films, disponibles pour certains en version restaurée, continuent d’inspirer. Ils sont étudiés dans les écoles de cinéma, projetés dans les festivals, regardés par ceux qui cherchent à comprendre l’histoire algérienne.
Pour les jeunes cinéastes africains et arabes, Hamina est une boussole. Il a prouvé qu’avec du talent et de la détermination, on peut conquérir le monde, même en venant d’un petit village des Aurès. Son parcours est une leçon : il n’y a pas de limites à ce qu’une caméra et une vision peuvent accomplir.
- Ses films sont un témoignage historique inestimable.
- Ils inspirent une nouvelle génération de réalisateurs.
- Ils rappellent l’importance de raconter des histoires locales avec une portée universelle.
En repensant à son parcours, je me demande : combien de cinéastes d’aujourd’hui oseraient prendre autant de risques pour raconter leur vérité ? Hamina l’a fait, et son héritage nous invite à ne jamais oublier le pouvoir des images.
Un Adieu à un Maître
Dire adieu à Mohamed Lakhdar Hamina, c’est dire adieu à une époque où le cinéma était une arme, un poème, un cri. Ses films resteront, comme des phares dans la nuit, pour guider ceux qui cherchent à comprendre l’histoire et l’âme d’un peuple. Alors, si vous ne l’avez pas encore fait, plongez dans son œuvre. Commencez par Chronique des années de braise. Vous ne verrez plus le cinéma de la même manière.
Et vous, quel film de Hamina vous a marqué ? Ou peut-être est-ce l’occasion de découvrir son univers ? Une chose est sûre : son héritage est loin de s’éteindre.
