Il y a des nouvelles qui vous serrent le cœur sans que vous compreniez tout de suite pourquoi. Apprendre qu’il ne reste plus que 150 couples de moineaux friquets en Île-de-France, c’est un peu comme découvrir que le bruit joyeux de votre enfance s’est tu pour toujours.
On les appelait les « piafs » quand on était petits. Ceux qui faisaient un raffut infernal dans les haies et qui venaient picorer les miettes sur la table du jardin. Aujourd’hui, ils sont devenus l’emblème discret d’un désastre silencieux.
Une espèce banale qui devient rare
Le moineau friquet, c’est le cousin campagnard du moineau domestique. Un peu plus farouche, calotte marron chocolat, joues blanches, il affectionne les zones mixtes : lisières de champs, parcs périurbains, vieux vergers. Pendant longtemps, on le croisait partout autour de Paris.
Puis, petit à petit, il a disparu des radars. Plus un cri dans le parc Georges-Brassens, plus un nid sous les tuiles des pavillons de Bobigny, plus un vol bruyant le long du canal de l’Ourcq. Les ornithologues parlent d’un effondrement de plus de 90 % en vingt ans dans certaines zones franciliennes. Difficile de trouver plus brutal.
« On est passé d’une espèce abondante à une espèce en danger critique d’extinction à l’échelle régionale en une génération. C’est vertigineux. »
Un spécialiste de la faune francilienne
Pourquoi un tel crash démographique ?
La réponse est, hélas, tristement classique. L’équation fatale : agriculture intensive + urbanisation galopante + disparition des haies = zéro lieu de vie pour l’espèce.
- Les haies bocagères ont été arrachées à tour de bras depuis les années 70 pour agrandir les parcelles.
- Les insecticides néonicotinoïdes ont décimé les insectes dont les oisillons ont besoin les premières semaines.
- Les chats errants et domestiques font des ravages dans les rares colonies restantes.
- Les nouveaux lotissements et zones commerciales sont plantés de pelouses tondues ras et d’arbres exotiques sans baies.
Résultat ? Le moineau friquet n’a plus ni nourriture, ni abri, ni site de nidification. Il lui faut des buissons épineux denses (aubépine, prunellier, églantier) pour se cacher des prédateurs et élever ses petits en sécurité. Sans ça, c’est game over.
La dernière colonie de Seine-Saint-Denis
À Tremblay-en-France, près de l’aéroport du Bourget, subsiste ce qu’on appelle désormais « la dernière colonie connue » du département. Une poignée de couples qui s’accrochent à un lambeau de terrain vague bordé de quelques ronciers. C’est là que tout se joue.
J’ai eu la chance d’assister à un chantier participatif organisé récemment. Une trentaine de personnes – habitants, enfants, retraités, élus – armées de pelles et de gants, sous un soleil d’automne incroyablement doux. Objectif : planter 400 mètres linéaires de haie champêtre pour relier deux zones refuges et offrir un couloir sécurisé aux oiseaux.
Franchement, l’ambiance était joyeuse. On creuse, on rit, on se raconte nos souvenirs d’oiseaux quand on voyait partout. Une mamie me confie qu’elle n’a pas entendu de moineaux depuis dix ans dans son quartier de Villepinte. Un gamin de 8 ans découvre émerveillé qu’on peut planter un arbre qui fera des prunelles.
Comment une simple haie peut sauver une espèce
Une haie bien pensée, c’est un hôtel 5 étoiles pour la petite faune. Nourriture (baies, insectes), abri, site de nidification, corridor de déplacement. En quelques années seulement, elle devient un véritable écosystème.
Les essences locales choisies pour ce chantier :
- Aubépine (fleurs pour les insectes, baies pour les oiseaux)
- Prunellier (épines infranchissables pour les chats)
- Noisetier (noisettes pour les écureuils et les mésanges)
- Églantier (cynorrhodons riches en vitamine C)
- Troène, cornouiller sanguin, sureau noir…
En trois ou quatre ans, cette haie deviendra impénétrable et grouillante de vie. Les moineaux friquets pourront s’y reproduire tranquillement. Et surtout, elle reliera la colonie existante à un autre site potentiel à quelques centaines de mètres. Un pont végétal, en somme.
Et ailleurs en Île-de-France ?
Le phénomène n’est pas isolé. Dans les Yvelines, on compte une grosse colonie à Beynes. Dans le Val-d’Oise, quelques couples à Marines. En Essonne, autour de Milly-la-Forêt. Mais partout, la tendance est la même : on passe de centaines de couples à quelques dizaines, voire unités.
Ce qui se passe à Tremblay est donc un test grandeur nature. Si la population se stabilise ou repart à la hausse dans les cinq prochaines années, le modèle pourra être dupliqué partout. Sinon… eh bien on risque de perdre définitivement l’espèce en région parisienne.
Ce que chacun peut faire, même en ville
Vous habitez un pavillon avec un jardin ? Plantez une haie libre d’essences locales. Même 10 mètres, c’est déjà énorme.
Vous êtes en appartement ? Demandez à votre copropriété de végétaliser le pied d’immeuble ou le toit-terrasse. Soutenez les associations qui mènent des chantiers participatifs.
Vous êtes élu ou technicien territorial ? Intégrez systématiquement des linéaires de haies dans tout nouveau projet d’aménagement. C’est peu coûteux et l’impact est colossal.
« Une haie de 100 mètres, c’est jusqu’à 300 espèces animales et végétales qui reviennent. C’est fou ce qu’on peut faire avec si peu. »
Alors oui, 150 couples, c’est dramatiquement peu. Mais c’est aussi une chance : on est encore temps d’agir. Le moineau friquet n’a pas dit son dernier mot. Et nous non plus.
Le jour où j’ai vu ces gamins planter leurs premiers arbustes en riant, j’ai repris espoir. Peut-être que la génération qui vient saura réparer ce qu’on a abîmé. Et peut-être qu’un matin, en ouvrant mes volets, j’entendrai à nouveau ce joyeux raffut de moineaux qui m’a tant manqué.
