Vous êtes déjà allé à l’aéroport de Roland-Garros, à La Réunion ? Moi oui, plusieurs fois. Et à chaque fois, j’ai cette impression bizarre : entre les odeurs de vanille, les sourires des vacanciers et les panneaux « bienvenue au paradis », il y a quelque chose de plus sombre qui rôde dans les couloirs. Cette fois, c’est devenu impossible à ignorer.
Imaginez : vous attendez votre valise, et là, au milieu des pubs pour les randonnées au volcan, une série de portraits en noir et blanc. Des visages de jeunes, parfois très jeunes, l’air hagard. En gros, en rouge : « 8 ans de prison ferme – 250 000 € d’amende ». Pas besoin d’être devin pour comprendre le message. On n’est plus dans la carte postale.
Une explosion qui donne le vertige
Les chiffres font mal. Très mal. En 2022, les douanes de La Réunion interceptaient 17 personnes qui transportaient de la drogue dans leur ventre. En 2025 ? 52. Rien que sur les onze premiers mois. On parle d’une augmentation de plus de 300 % en trois ans. Et encore, ce sont seulement celles qui se sont fait prendre.
Chaque « mule » avale en moyenne entre 800 grammes et 1,2 kilo de cocaïne ou d’héroïne conditionnée en boulettes. À 40-50 € le gramme à la revente sur l’île, ça représente rapidement plusieurs centaines de milliers d’euros dans un seul estomac. Pour le recruteur, c’est jackpot. Pour le porteur… c’est souvent la fin d’une vie normale.
Comment on en arrive là ?
Franchement, c’est presque toujours la même histoire. Un jeune – souvent entre 20 et 30 ans, parfois moins – galère financièrement. Chômage, petites dettes, envie de changer de vie. Et puis un « ami » ou un contact sur les réseaux propose la solution miracle : un billet aller-retour offert, 3 000 à 5 000 € en cash à la clé. « Tu avales, tu fais le voyage, tu reviens, c’est plié. » Sauf que non.
Ce qu’on ne dit pas assez, c’est que beaucoup de ces mules viennent de l’île elle-même ou de Maurice voisine. Ce ne sont pas forcément des gros délinquants. Parfois juste des gars qui veulent payer un mariage, rembourser un crédit voiture ou tout simplement s’acheter un peu de rêve. Le genre de profil que vous croisez tous les jours au marché de Saint-Paul.
« On leur promet la lune, mais ils finissent en cage. Et quand une boulette éclate dans l’estomac, c’est la mort en quelques heures. »
Un douanier expérimenté, sous couvert d’anonymat
La campagne qui cogne fort
C’est face à cette vague que les autorités ont décidé de frapper un grand coup. La campagne « Fais pas ta tête de mule » n’y va pas avec le dos de la cuillère. Des portraits réels de personnes condamnées (anonymisés, bien sûr), leurs peines affichées en gros, des slogans qui claquent en créole et en français. Le tout placardé là où ça fait mal : dès la sortie de l’avion, avant même la douane.
Et ça ne s’arrête pas là. Des spots radio, des publications sur les réseaux sociaux, des interventions dans les lycées et les missions locales. L’idée ? Atteindre les jeunes avant que le recruteur ne le fasse. Parce que oui, les filières sont hyper organisées. Elles chassent sur Snapchat, Instagram, parfois même WhatsApp avec des numéros européens.
- Affiches géantes dans tout l’aéroport Roland-Garros
- Portraits noir et blanc + peines réelles encourues
- Messages en français et créole réunionnais
- Diffusion dans les gares routières et les centres commerciaux
- Partenariat avec les compagnies aériennes pour des annonces à bord
Pourquoi La Réunion est devenue une cible privilégiée
Question légitime. L’île est à 9 000 km de l’Europe, les billets coûtent cher, les contrôles sont réputés sévères… Alors pourquoi ? Tout simplement parce que les prix de revente y sont hallucinants. Un gramme de cocaïne qui vaut 30-40 € en métropole se négocie entre 80 et 120 € ici. Le calcul est vite fait pour les réseaux sud-américains ou ouest-africains.
Et puis il y a cette particularité : beaucoup de Réunionnais voyagent régulièrement entre l’île et la métropole (études, famille, travail). Ça crée un flux constant de passagers « propres » au milieu desquels il est plus facile de cacher une ou deux mules. Sauf que les douanes ont renforcé leurs équipes et leurs moyens. Scanners corps entiers, chiens, profilage… le jeu devient de plus en plus risqué.
Les peines ? Elles ne rigolent pas
On parle souvent de 5 à 10 ans de prison ferme. Mais dans les faits, c’est souvent plus. Surtout quand la quantité dépasse le kilo ou qu’il y a récidive. Et puis il y a l’amende douanière : jusqu’à dix fois la valeur de la marchandise saisie. Autant dire que même après être sorti, vous êtes ruiné pour le reste de votre vie.
J’ai discuté avec un ancien détenu qui a fait cinq ans pour ça. Il m’a dit un truc qui m’a marqué : « Le pire, c’est pas la prison. C’est quand ta mère apprend pourquoi t’es là. Ça, ça te suit jusqu’à la tombe. »
Et les réseaux, eux, s’en sortent toujours ?
C’est le grand drame. La mule, elle, prend tout. Le recruteur ? Souvent intouchable, basé en Europe ou ailleurs. Les sommes promises ne sont même pas toujours versées : beaucoup de familles racontent que l’argent « promis à la sortie » n’arrive jamais. La mule est en prison, le commanditaire a déjà remplacé le pion.
Mais les choses bougent. Les enquêtes conjointes avec les pays sources (Pays-Bas, Belgique, parfois directement le Brésil ou le Suriname) commencent à porter leurs fruits. Quelques gros poissons ont été arrêtés ces dernières années. Pas encore assez, mais c’est un début.
Que faire quand on vous propose « le plan » ?
La réponse est simple, mais il faut oser la dire haut et fort : refusez. Bloquez le numéro. Parlez-en à quelqu’un. Il y a des numéros d’aide, des associations, des travailleurs sociaux. Personne ne mérite de risquer sa vie et sa liberté pour 4 000 € que, de toute façon, il ne verra probablement jamais.
Et si vous connaissez quelqu’un qui est tenté, parlez-lui. Montrez-lui les portraits à l’aéroport. Expliquez-lui que derrière le billet gratuit, il y a souvent un aller simple pour Fleury-Mérogis ou Domenjod.
La campagne « Fais pas ta tête de mule » est brutale, oui. Mais parfois, il faut du brutal pour réveiller les consciences. Parce que l’île de La Réunion mérite mieux que de devenir la plaque tournante d’un trafic qui détruit ses enfants.
Et toi, qu’en penses-tu ? Est-ce que ce genre de campagne peut vraiment changer les choses, ou il faudrait taper plus haut, directement sur les réseaux ? J’ai ma petite idée, mais je serais curieux d’avoir la tienne.
