Vous souvenez-vous de ce printemps 2025 où Martine Aubry, après des décennies à la tête de Lille, décidait soudain de passer la main ? Beaucoup pensaient que la ville rose-rouge allait vaciller. Et pourtant, neuf mois plus tard, son successeur Arnaud Deslandes semble bel et bien poser ses marques. La preuve avec l’annonce, fin novembre, du soutien officiel du Parti communiste français. Un ralliement qui peut paraître anodin vu de Paris, mais qui, dans le microcosme lillois, fait l’effet d’un petit séisme.
Un soutien qui tombe à pic pour le maire sortant
Imaginez la scène : nous sommes le vendredi 28 novembre 2025, il pleut des cordes sur le Vieux-Lille, et la section locale du PCF envoie un communiqué de deux pages. Le message est clair : les communistes rejoignent la liste Tout pour Lille menée par Arnaud Deslandes et appellent même à « l’unité de la gauche ». Rien que ça.
Pourquoi c’est important ? Parce que, depuis 2020, le PCF fait déjà partie de la majorité municipale et dispose de deux adjoints. Leur présence n’était donc pas vraiment une surprise. Mais transformer cette collaboration quotidienne en soutien électoral franc et massif, c’est autre chose. C’est reconnaître publiquement que, pour eux, le PS reste le meilleur espoir pour garder Lille à gauche et « conserver les acquis sociaux tout en en gagnant de nouveaux ».
La section lilloise du Parti communiste français considère ce partenaire comme le meilleur espoir pour maintenir la ville de Lille à gauche afin de conserver les acquis sociaux et en gagner de nouveaux.
Communiqué PCF Lille, 28 novembre 2025
Traduction : on ne change pas une équipe qui gagne… ou du moins qui limite la casse.
Arnaud Deslandes, l’héritier qui doit faire ses preuves
Reprenons le fil. Mars 2025, Martine Aubry annonce sa démission pour raisons personnelles après 24 ans de mandat. Premier adjoint depuis des années, Arnaud Deslandes, 46 ans, prend logiquement le fauteuil. Discret, travailleur, bon connaisseur des dossiers, il incarne une forme de continuité apaisante.
Mais être maire par intérim et être candidat à sa propre succession, ce n’est pas la même chose. Dès juin, il annonce qu’il rempile, avec une phrase qui résume assez bien sa stratégie : « Je veux former une dynamique et penser ensemble la ville de demain ».
Depuis, il multiplie les bains de foule – la Braderie en septembre a été un moment clé – et soigne son image de maire « connecté au terrain ». Le soutien du PCF vient récompenser cette patience et cette constance.
Une gauche toujours éclatée en quatre morceaux
Attention, ne crions pas victoire trop vite. Si le PCF choisit Deslandes, les autres familles de gauche, elles, n’ont pas bougé d’un iota.
- Les Écologistes avec Stéphane Baly, qui avait frôlé la victoire en 2020 (227 voix d’écart seulement !).
- La France insoumise emmenée par Lahouaria Addouche.
- Générations (ex-Génération.s) avec Faustine Balmelle-Delauzun.
- Et donc la liste PS-PCF d’Arnaud Deslandes.
Quatre listes rien qu’à gauche. Autant dire que le fameux « appel à l’unité » du PCF sonne un peu comme un vœu pieux. Chacun campe sur ses positions, persuadé d’incarner la vraie renouvellement ou la vraie radicalité.
J’ai discuté récemment avec un vieux militant socialiste lillois. Il me confiait, mi-amusé mi-désespéré : « On a gagné toutes les municipales depuis 1955… et on risque de tout perdre à cause de nos ego ».
Et la droite dans tout ça ?
Parce que oui, il y a aussi une droite. Et même plusieurs.
Violette Spillebout, députée Renaissance, tente une nouvelle fois sa chance après 2020. Louis Delemer portera les couleurs LR. Et Matthieu Valet, eurodéputé RN, rêve de créer la surprise dans une ville historiquement imperméable à l’extrême droite.
Le seul sondage publié à ce jour (début septembre) place Deslandes en tête avec 27 % des intentions de vote au premier tour… mais quatre autres listes (Écologistes, LFI, Renaissance et RN) dépasseraient les 10 % et pourraient donc se maintenir. Autant dire que le second tour risque d’être une loterie.
Pourquoi le PCF a-t-il choisi si tôt ?
C’est là que ça devient intéressant. En annonçant son soutien dès novembre, le PCF envoie plusieurs messages.
- Mettre la pression sur les autres forces de gauche pour qu’elles rejoignent le navire avant qu’il ne soit trop tard.
- Sécuriser ses deux postes d’adjoints et négocier dès maintenant les places éligibles sur la liste Deslandes.
- Montrer à l’électorat populaire que, malgré les discours radicaux ailleurs, le PCF reste une force de gouvernement responsable.
Bref, un coup politique plutôt bien joué. D’autant que Fabien Roussel, en pleine reconstruction nationale du parti, a besoin de victoires locales symboliques.
Et maintenant ?
À moins de cent jours du premier tour (les 15 et 22 mars 2026), plusieurs scénarios restent possibles.
Le plus probable aujourd’hui ? Une quadrangulaire ou quinquangulaire au second tour, avec Deslandes favori mais fragilisé par la dispersion des voix à gauche. À moins qu’un accord de dernière minute entre socialistes et écologistes ne vienne tout changer – on a vu des miracles se produire à Lille.
Ce qui est sûr, c’est que la campagne va être rude. Sécurité, propreté, coût de la vie, transition écologique, avenir du Vieux-Lille… Tous les sujets vont être sur la table. Et Arnaud Deslandes, malgré le soutien du PCF, sait qu’il n’a pas le droit à l’erreur.
Parce qu’à Lille, on ne succède pas à Martine Aubry comme on succède à n’importe qui. On hérite d’un mythe. Et les mythes, ça peut parfois vous écraser.
Alors, verdict en mars. En attendant, une chose est certaine : la politique lilloise n’a pas fini de nous surprendre.
