Imaginez la scène : un soir de décembre, sous une pluie fine qui fait briller les pavés de la place Bellecour, un homme en costume sombre descend d’une berline aux vitres teintées. Les flashs crépitent. Les Lyonnais, habitués aux maillots rouge et bleu, reconnaissent immédiatement la silhouette. Jean-Michel Aulas vient de poser un pied dans l’arène politique. Et cette fois, ce n’est pas pour un match de foot.
À quinze mois du scrutin, la troisième ville de France tremble déjà. Les derniers sondages sont formels : l’ancien président de l’Olympique Lyonnais caracolerait en tête, parfois avec plus de quinze points d’avance au second tour. Face à lui ? Grégory Doucet, le maire écologiste sortant, celui qui avait fait basculer Lyon dans le camp vert en 2020. La question n’est plus de savoir si la bataille sera rude. Elle l’est déjà. La vraie interrogation, c’est : la vague Aulas va-t-elle tout emporter ?
Lyon, laboratoire d’une revanche nationale
Il y a cinq ans, la victoire des écologistes avait sonné comme un coup de tonnerre. Pas seulement à Lyon. Bordeaux, Strasbourg, Grenoble… toute une série de grandes villes étaient tombées dans l’escarcelle verte. Beaucoup y voyaient le début d’une ère. Aujourd’hui, la roue semble tourner à nouveau. Et Lyon pourrait bien redevenir le symbole d’un retournement.
Ce qui se joue ici dépasse largement les frontières du Rhône. C’est tout le récit macroniste qui vacille. Après avoir perdu ses bastions métropolitains en 2020, le camp présidentiel cherche désespérément à reprendre la main. Soutenir Aulas, c’est miser sur un homme qui coche toutes les cases : popularité locale énorme, image de bâtisseur, réseaux solides et, surtout, capacité à parler à un électorat de droite déboussolé depuis la disparition de Gérard Collomb.
Aulas, l’atout maître d’une droite en reconstruction
Quand on parle de Jean-Michel Aulas à Lyon, on ne parle pas d’un candidat comme les autres. On parle d’un monument. Trente-six ans à la tête de l’OL. Sept titres de champion de France consécutifs. Une demi-finale de Ligue des Champions. Un stade sorti de terre contre vents et marées. Les Lyonnais lui doivent leur fierté retrouvée.
Et puis il y a cette capacité rare à traverser les époques. Aulas a négocié avec Mitterrand, Chirac, Sarkozy, Hollande, Macron. Il a survécu à toutes les tempêtes. Quand il annonce sa candidature, ce n’est pas un coup de bluff. C’est un projet mûri depuis longtemps. Certains disent même qu’il y pense depuis le jour où il a quitté le Groupama Stadium, en 2023, avec le sentiment d’une mission inachevée.
« Je ne viens pas pour faire de la figuration. Je viens pour redonner à Lyon son rang de grande capitale européenne. »
– Une phrase qu’il répète volontiers en privé
Et ça marche. Dans les quartiers périphériques, dans les communes de la métropole où l’écologie punitive a parfois laissé des traces, son discours sur la sécurité, le dynamisme économique et le rayonnement international passe comme une lettre à la poste.
Grégory Doucet, entre bilan et usure du pouvoir
De l’autre côté, Grégory Doucet n’est plus tout à fait l’outsider de 2020. Il a appris. Il a gagné en stature. Sur le terrain, il soigne ses apparitions. Casque de chantier, gilet fluo, sourire impeccable. Il sait qu’on l’observe. Il sait aussi que son bilan est attaqué de toutes parts.
Certes, il y a les réussites dont il parle volontiers : la végétalisation massive, les pistes cyclables, la gratuité des transports pour les moins de 18 ans, la rénovation thermique des écoles. Mais il y a aussi les points noirs. La propreté qui laisse à désirer dans certains arrondissements. Le sentiment d’insécurité qui monte. Les commerçants du centre-ville qui pestent contre la politique de stationnement. Et puis cette impression, diffuse mais tenace, que Lyon s’est un peu repliée sur elle-même.
- Le menu végétarien à la cantine ? Symbole pour les uns, provocation pour les autres.
- La baisse de vitesse à 30 km/h ? Mesure écologique pour certains, calvaire quotidien pour d’autres.
- Les relations avec la métropole ? Toujours aussi compliquées avec son président écologiste aussi.
Doucet le sait. Il a changé de registre. Moins militant, plus gestionnaire. Il met en avant les grands projets : le nouveau quartier de la Part-Dieu, les berges du Rhône réaménagées, les futurs équipements sportifs. Il veut montrer qu’écologie peut rimer avec ambition. Reste à convaincre ceux qui ont décroché.
Les sondages qui font mal
Et puis il y a les chiffres. Implacables. Institut après institut, le constat est le même : Aulas domine. Parfois dès le premier tour. Toujours au second. L’écart varie, mais la tendance est claire. Dans certains scénarios, il frôle les 60 %.
Ce qui frappe, c’est la sociologie de ce vote. Aulas ratisse large. Des quartiers populaires aux beaux arrondissements, des retraités aux cadres supérieurs. Il parvient même à mordre sur une partie de l’électorat de gauche modérée, celle qui avait voté Collomb pendant vingt ans avant de tenter l’aventure verte en 2020.
Pour Doucet, le défi est immense. Il lui faut à la fois défendre son bilan, reconquérir les abstentionnistes de gauche et empêcher la fuite des modérés. Mission quasi impossible quand votre adversaire principal incarne à la fois le succès entrepreneurial et la nostalgie d’un Lyon qui gagnait.
La gauche divisée, le centre qui choisit son camp
Autre difficulté majeure : l’union de la gauche est fragile. La France insoumise fait cavalier seul. Le Parti socialiste hésite encore. Certains socialistes historiques regardent du côté d’Aulas avec intérêt. Après tout, l’ancien patron de l’OL a toujours su parler à tout le monde.
Du côté du centre et de la droite, c’est l’union sacrée. Les Républicains locaux ont rallié sans hésiter. Renaissance a suivi. Même certains anciens macronistes de la première heure, déçus par la gestion écologiste, font le choix du pragmatisme. On murmure que des barons de la métropole sont déjà en train de repositionner leurs pions.
Le match des ego et des projets
Au-delà des étiquettes, c’est aussi un choc de personnalités. D’un côté, l’ingénieur discret devenu maire presque par surprise. De l’autre, le self-made-man charismatique qui n’a jamais eu peur des projecteurs. L’un parle transition écologique et sobriété. L’autre parle grandeur, rayonnement et ambition décomplexée.
Sur le fond, les différences sont abyssales :
- Aulas veut relancer les grands projets immobiliers et accélérer la construction de logements.
- Doucet défend la maîtrise foncière et la lutte contre l’artificialisation.
- Aulas promet plus de vidéo-surveillance et un retour de la police municipale de proximité.
- Doucet insiste sur la prévention et la police de l’environnement.
- Aulas rêve d’un Lyon candidat aux Jeux olympiques d’hiver 2030 ou 2034.
- Doucet préfère les équipements de quartier et le sport pour tous.
Deux visions. Deux Lyon possibles.
Et si tout se jouait sur un malentendu ?
Il y a quand même un hic. Aulas n’a jamais fait de politique. Il a dirigé un club, pas une collectivité. Gérer 500 salariés n’est pas gérer 14 000 agents. Négocier avec des actionnaires américains n’est pas négocier avec des syndicats de fonctionnaires territoriaux. Certains observateurs sourient : et s’il découvrait trop tard la réalité du terrain ?
Doucet, lui, a cinq ans d’expérience. Il connaît les dossiers. Il sait où sont les marges de manœuvre budgétaires. Il a appris à composer avec les oppositions. Bref, il a l’avantage du sortant. Mais dans une période où l’envie de changement est forte, cet avantage peut vite devenir un handicap.
Vers un second tour à haut risque
Tout peut encore arriver. Une erreur de campagne. Un événement national qui rebattre les cartes. Une liste dissidente qui vienne perturber les reports de voix. Mais une chose est sûre : le second tour, s’il oppose bien les deux favoris, sera l’un des plus scrutés de France.
À Lyon, on n’a pas l’habitude des demi-mesures. La ville a toujours aimé les grandes batailles. Celle qui s’annonce pourrait bien entrer dans l’histoire. Entre l’écologie de gouvernement et le retour du Lyon des winners, les Lyonnais devront choisir. Et leur choix dira beaucoup sur l’état du pays en 2026.
Pour l’instant, les bookmakers ont déjà tranché. Mais comme au foot, sur un terrain politique, rien n’est jamais joué d’avance. Surtout quand l’un des protagonistes a passé trente ans à démontrer qu’il savait renverser des situations impossibles.
Alors, Lyon va-t-il basculer ? Réponse dans quinze mois. En attendant, la ville retient son souffle. Et moi, je parie que ça va être passionnant à suivre.
