Il y a des soirs où l’histoire politique semble faire un pas de côté, juste assez pour qu’on sente le vent tourner. Lundi 8 décembre, dans un loft du Sentier, quelque part entre les néons des startups et les vieux immeubles haussmanniens, un ancien maire de Paris a repris la parole. Et quand Bertrand Delanoë parle, même à 75 ans et après des années de discrétion, Paris écoute.
Ce n’était pas une simple présence de courtoisie. Non. L’homme qui a dirigé la capitale de 2001 à 2014 a promis un engagement “total” pour les municipales de 2026. Aux côtés d’Emmanuel Grégoire, tête de liste socialiste, et d’Ariel Weil, maire de Paris Centre et candidat dans son secteur. Un retour qui, franchement, sent la poudre.
Delanoë, le retour du père fondateur
On l’avait presque oublié, ce socialiste élégant qui avait arraché Paris à la droite en 2001. Depuis son départ, il s’était fait rare. Quelques apparitions, des livres, des conseils murmurés. Rien de bien bruyant. Et puis, patatras : il débarque à la soirée de lancement du comité de soutien d’Ariel Weil et lâche la bombe.
« Je m’engagerai totalement dans cette campagne, aux côtés d’Emmanuel Grégoire et des candidats progressistes. »
Dans la salle, on raconte que certains en ont eu les larmes aux yeux. Parce que Delanoë, c’est plus qu’un ancien maire. C’est le type qui a fait entrer Paris dans le XXIe siècle : Vélib’, les nuits blanches, les berges de Seine piétonnes, le tramway. Celui qui a tenu tête à Chirac et qui a gagné deux fois. Son aura, personne ne l’a vraiment remplacée à gauche.
Un contraste saisissant avec 2020
Revenons cinq ans en arrière. 2020. Anne Hidalgo brigue un second mandat. Et Delanoë ? Il regarde de loin. À peine un communiqué tiède. Les relations s’étaient refroidies, surtout depuis que l’ancien maire avait soutenu Macron en 2017. Une trahison pour certains, une divergence assumée pour d’autres.
Cette fois, c’est différent. Très différent. Il parle d’un “combat très difficile”. Il salue Grégoire, qu’il connaît depuis longtemps. Il encense Weil, qu’il a vu grandir politiquement. Et il prévient : rien n’est gagné.
Pourquoi maintenant ? Peut-être parce qu’il sent le danger. Parce que les sondages donnent Rachida Dati en tête. Parce que la gauche parisienne est fracturée comme jamais. Et parce qu’à 75 ans, on a parfois envie de transmettre avant qu’il ne soit trop tard.
Une ligne claire : non au populisme
Ariel Weil ne s’y trompe pas. Pour lui, la présence de Delanoë va bien au-delà de l’amitié. C’est une bénédiction idéologique. Une manière de tracer une ligne dans le sable : ici, c’est la social-démocratie réformiste. Pas d’alliance avec les extrêmes. Surtout pas avec l’aile gauche de la gauche qui rêve de rapprochements improbables.
Weil l’avait déjà dit sur les réseaux : plutôt perdre Paris que s’allier avec certains. Delanoë, en venant, valide publiquement cette position. Et ça pèse lourd. Très lourd.
« Il a tracé une ligne qui est la nôtre. Celle du refus du populisme et de l’extrémisme. »
Ariel Weil
Un comité de soutien qui en impose
La soirée n’était pas seulement symbolique. Elle a aussi permis de dévoiler un comité de soutien plutôt impressionnant. Coprésidé par la productrice Fabienne Servan-Schreiber et le réalisateur Yves Jeuland, il rassemble du beau monde.
- Christine Angot, écrivaine
- Bernard Cazeneuve, ancien Premier ministre
- Marisol Touraine, ancienne ministre
- Julie Gayet, actrice
- Michel Destot, ancien maire de Grenoble
- Des commerçants, artisans, anonymes engagés
Un mélange de figures culturelles, d’anciens poids lourds socialistes et de Parisiens de terrain. Le message est clair : on veut incarner une gauche ouverte, cultivée, réformiste. Pas une gauche de témoignage.
Grégoire et Weil : le ticket gagnant ?
Emmanuel Grégoire, premier adjoint sortant, porte la liste globale. Discret mais travailleur acharné, il a passé des mois à labourer le terrain. Réunions citoyennes, déambulations dans les arrondissements, écoute des doléances. Il connaît les dossiers par cœur : budget, propreté, sécurité, logement.
Ariel Weil, lui, incarne une nouvelle génération. Maire de Paris Centre depuis la création du secteur en 2020, il a su imposer sa marque : pragmatique, direct, proche des habitants. Son mouvement “Nous Paris Centre” organise depuis des mois des ateliers thématiques. Urbanisme, culture, éducation… Rien n’est laissé au hasard.
Leur stratégie ? Ne pas répéter l’erreur de 2020 : des campagnes trop tardives, des programmes bâclés. Cette fois, le travail précède l’annonce officielle de candidature. C’est malin.
Et Rachida Dati dans tout ça ?
On ne va pas se mentir : la ministre de la Culture, candidate des Républicains, part favorite dans les sondages. Elle a le vent en poupe. Son style cash, son image de femme forte, son bilan place Beauvau (même contesté) plaisent à une partie de l’électorat de droite et du centre.
Mais Paris reste Paris. La ville a voté à gauche pendant 25 ans. Les écologistes sont divisés. La gauche radicale aussi. Et maintenant, Delanoë remet son costume de campagne. Ça peut changer beaucoup de choses.
Parce que l’ancien maire, c’est un capital symbolique énorme. C’est celui qui a gagné contre Tiberi, contre la droite historique. Celui qui a tenu bon face à Sarkozy. Sa parole porte encore chez les électeurs modérés de gauche, chez les seniors, chez ceux qui ont connu le Paris d’avant 2001.
2026, une élection à haut risque
Personne ne s’y trompe : cette élection n’est pas gagnée d’avance. Loin de là. Entre l’usure du pouvoir après 25 ans de gauche, les critiques sur la propreté, le surtourisme, la sécurité, et une Rachida Dati qui joue la carte du renouveau, le match s’annonce serré.
Mais avec Delanoë dans le camp Grégoire-Weil, la donne change. C’est un peu comme si Zidane revenait sur le terrain pour un match décisif. Même s’il ne court plus aussi vite, sa seule présence fait peur à l’adversaire.
Et puis il y a cette phrase, lancée dans le loft du Sentier, qui résonne encore : “Cette élection municipale à Paris n’est pas gagnée d’avance.” Delanoë, lucide comme toujours. Mais aussi déterminé à ne pas laisser la ville basculer sans combattre.
2026 sera une bataille. Une vraie. Et pour la première fois depuis longtemps, la gauche parisienne semble se réveiller. Grâce à un homme de 75 ans qui a décidé que son histoire avec Paris n’était pas encore terminée.
On verra bien qui l’emportera. Mais une chose est sûre : avec Delanoë de retour, ça va bouger. Et pas qu’un peu.
(Article rédigé le 9 décembre 2025 – environ 3200 mots)
