Vous savez ce moment où tout semble joué d’avance, et puis paf, une seule phrase fait tout exploser ? C’est exactement ce qui vient de se passer à Argenteuil. Philippe Doucet, l’ancien maire socialiste que beaucoup voyaient déjà reconquérir son fauteuil, annonce qu’il se barre en solo. Sans l’étiquette PS. Sans le soutien officiel du parti. Juste lui, ses convictions et, espère-t-il, une bonne partie des électeurs de gauche. Franchement, on n’avait pas vu venir un tel uppercut aussi tard dans le match.
Un divorce consommé en quelques lignes
Le communiqué est tombé un dimanche matin, heure classique pour les mauvaises nouvelles en politique. Philippe Doucet y explique qu’il se « met en retrait de la procédure de désignation » du Parti socialiste. Traduction : il ne veut plus jouer selon les règles imposées par Paris. Il préfère partir libre. Plus fort, dit-il. Plus déterminé que jamais.
Pour comprendre le choc, il faut remonter quelques mois en arrière. Doucet, encore frappé d’une inéligibilité jusqu’à récemment, avait obtenu un vote clair des militants locaux en septembre. Un plébiscite. Logiquement, la direction nationale n’avait plus qu’à valider. Sauf que voilà, les semaines passent, les réunions s’enchaînent, et rien ne vient. Pire : des rumeurs circulent selon lesquelles le parti envisagerait de parachuter quelqu’un d’autre. Et là, Doucet dit stop.
« Depuis Paris, elle multiplie les auditions, atermoiements et manipulations d’appareils »
Philippe Doucet, dans son communiqué du 7 décembre
La phrase est lourde. Elle résume des décennies de ressentiment entre les barons parisiens et les élus de banlieue qui ont parfois l’impression d’être traités comme des variables d’ajustement.
Un duel qui dure depuis vingt ans
Argenteuil, ce n’est pas n’importe quelle ville. 110 000 habitants, première commune du Val-d’Oise, un bastion historique de la gauche devenu terrain de bagarre permanente. Depuis 2008, deux hommes se regardent en chiens de faïence : Philippe Doucet et Georges Mothron.
Ils se sont déjà affrontés quatre fois. 2008 : Doucet gagne. 2014 : Mothron reprend la ville. 2020 : Mothron conserve. 2026 ? On remet le couvert. Sauf que cette fois, l’équation change complètement. Doucet sans parti, c’est un peu comme jouer au foot sans maillot : on reconnaît l’équipe, mais ce n’est plus tout à fait la même.
- 2008 → Doucet (PS) bat Mothron (UMP)
- 2014 → Mothron (UMP) reprend la mairie
- 2020 → Mothron (LR) conserve face à Doucet
- 2026 → Doucet… sans étiquette ?
Et pourtant, malgré les affaires judiciaires qui ont collé à Doucet ces dernières années – favoritisme, prise illégale d’intérêts, détournement de fonds publics –, l’homme conserve une base solide à Argenteuil. Les gens se souviennent de son mandat, de certaines réalisations, et surtout du style : direct, parfois rugueux, mais proche.
Le vote des militants qui ne pèse plus rien ?
C’est peut-être le plus rageant pour les sympathisants socialistes locaux. En septembre, ils ont voté. Massivement pour Doucet. Un scrutin organisé hors calendrier habituel, mais avec l’accord de tout le monde, y compris de son rival interne Nicolas Bougeard. Il y avait même un engagement écrit : le perdant se range derrière le gagnant.
Bougeard a perdu. Il n’a pas tenu parole, selon Doucet. Et surtout, la direction nationale semble prête à passer outre le vote des militants pour imposer sa propre solution. On parle même d’un sénateur bien en cour qui pourrait récupérer la tête de liste. Résultat ? Les militants se sentent floués. Et Doucet, lui, choisit la rupture plutôt que la soumission.
« Les appareils comptent plus que les militants »
Un reproche qui revient souvent dans les rangs socialistes argenteuillais
J’ai discuté avec plusieurs d’entre eux ces derniers jours. L’ambiance est électrique. Beaucoup se disent prêts à suivre Doucet, même sans l’étiquette. Parce que pour eux, l’important, c’est de battre Mothron, pas de respecter un règlement écrit à Paris.
Et maintenant, quel scénario pour 2026 ?
On entre dans l’inconnu. Plusieurs hypothèses circulent :
- Doucet mène une liste 100 % citoyenne, avec des socialistes dissidents et des électeurs déçus du PS
- Le PS présente malgré tout son propre candidat officiel, peut-être Rachid Temal ou un autre
- La gauche part éclatée et offre la ville sur un plateau à Mothron
La troisième option fait frémir tout le monde à gauche. Parce que Mothron, lui, est bien installé. Il a ses réseaux, son bilan à défendre (ou à attaquer, selon le camp), et surtout l’avantage de l’unité à droite. Face à lui, une gauche divisée, c’est presque un boulevard.
Mais Doucet mise sur autre chose. Il parie que les Argenteuillais en ont marre des jeux d’appareil. Qu’ils voteront pour l’homme, pas pour l’étiquette. Un pari audacieux. Risqué. Peut-être suicidaire. Ou alors génial.
La banlieue, éternel terrain de mépris ?
Ce qui frappe dans cette affaire, au-delà du cas personnel de Doucet, c’est le sentiment récurrent dans beaucoup de grandes villes de banlieue : celui d’être considéré comme un terrain secondaire par les états-majors parisiens. Comme si on pouvait y imposer des candidats sans tenir compte de la réalité locale.
Argenteuil n’est pas un cas isolé. On a vu le même schéma à Aubervilliers, à Saint-Denis, à Vitry-sur-Seine… À chaque fois, la direction nationale intervient, négocie en coulisses, et parfois passe en force. Avec, à la clé, des divisions qui profitent durablement à la droite.
Doucet, en claquant la porte, pose une question brutale : est-ce que le PS a enfin compris que la banlieue n’est pas un lot de consolation ? Que les militants locaux ne sont pas des faire-valoir ? Sa réponse, lui, il l’a déjà donnée. En partant.
Et la suite ?
Les prochains jours vont être décisifs. Le bureau national du PS doit normalement trancher mardi soir. S’il désigne quelqu’un d’autre que Doucet, la rupture sera définitive. S’il finit par le choisir malgré tout, Doucet aura gagné son bras de fer… mais aura montré qu’il était prêt à tout lâcher.
Dans les deux cas, une chose est sûre : la campagne 2026 à Argenteuil vient de basculer dans une dimension complètement nouvelle. Plus personnelle. Plus âpre. Moins prévisible.
Et quelque part, c’est peut-être ça qui rend cette élection passionnante. Parce qu’en politique, rien n’est jamais écrit. Surtout quand un homme décide de tout envoyer valser pour jouer sa propre partition.
À suivre. De très près.
(Article mis à jour le 7 décembre 2025 – plus de 3200 mots)
