Imaginez : vous préparez tranquillement votre campagne pour reprendre la mairie que vous avez perdue il y a six ans, vous prévoyez simplement de discuter avec les habitants autour d’un café et de crêpes… et d’un coup, trois arrêtés municipaux tombent pour interdire vos réunions. C’est exactement ce qui arrive en ce moment à Choisy-le-Roi, dans le Val-de-Marne.
On est encore loin des élections municipales de mars 2026, mais la température politique monte déjà très haut dans cette ville de 45 000 habitants historiquement ancrée à gauche depuis des décennies… jusqu’à la surprise de 2020.
Un simple stand de crêpes devenu affaire d’État
Tout commence début décembre 2025. L’équipe de Matthieu Bauhain, candidat déclaré du Parti communiste français et tête de liste « Pour Vivre Mieux à Choisy », programme trois « points rencontre solidaires » les 5, 6 et 13 décembre. Le concept ? Un barnum, des tracts, des boissons chaudes et des crêpes offertes pour échanger avec les habitants sur les marchés ou dans les quartiers populaires.
Rien de bien révolutionnaire, me direz-vous. Ce genre d’initiative existe dans toutes les campagnes. Sauf qu’ici, la mairie dirigée par Tonino Panetta (Les Républicains) décide d’interdire purement et simplement les trois rassemblements.
« La dernière fois que la gauche a été empêchée de s’exprimer à Choisy, c’était sous l’Occupation »
Matthieu Bauhain, candidat PCF
La phrase est forte, presque provocatrice. Elle a en tout cas le mérite de poser brutalement la question : assiste-t-on à une atteinte grave à la liberté d’expression ou à une simple application du règlement ?
Les deux arguments officiels de la mairie
Dans ses arrêtés, le maire sortant avance deux motifs principaux :
- La déclaration en préfecture aurait été faite hors délais (moins de trois jours francs avant la première date)
- Les lieux choisis – notamment près d’écoles ou de structures accueillant des enfants – présenteraient un risque pour la sécurité des plus jeunes
Sur le premier point, c’est une question de forme. La loi exige effectivement une déclaration préalable pour toute manifestation sur la voie publique. Mais en pratique, pour un simple stand statique avec distribution de tracts, beaucoup de maires ferment les yeux quand il s’agit d’élus locaux connus.
Le second argument est plus étonnant. Comment un stand de crêpes pourrait-il menacer la sécurité des enfants ? La mairie semble suggérer que la présence de militants politiques à proximité d’établissements scolaires poserait problème. Un raisonnement qui laisse perplexe quand on sait que les campagnes électorales traditionnelles pullulent de collages d’affiches juste devant les écoles…
Un référé-liberté devant le tribunal administratif
Face à ces interdictions, Matthieu Bauhain n’a pas hésité. Son avocat a déposé un référé-liberté devant le tribunal administratif de Melun dès le début de semaine. L’audience a eu lieu lundi matin 8 décembre 2025, et la décision est attendue dès ce mardi.
Le référé-liberté, pour ceux qui ne connaissent pas, c’est la procédure d’urgence maximale en droit administratif. Elle permet de faire cesser immédiatement une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Et ici, c’est clairement la liberté de réunion et d’expression qui est invoquée.
J’ai pu consulter des extraits du mémoire en défense. L’argumentation est solide : les réunions prévues sont pacifiques, déclarées (même tardivement), sans aucun antécédent de trouble à l’ordre public de la part de l’équipe concernée. Quant au risque pour les enfants, il apparaît totalement hypothétique.
Choisy-le-Roi, une ville à l’histoire politique mouvementée
Pour comprendre l’ampleur que prend cette affaire, il faut remonter un peu dans le temps. Choisy-le-Roi a été dirigée par des maires communistes pendant plus de soixante ans, de 1944 à 2008, puis par Didier Guillaume (PS) jusqu’en 2020.
En 2020, la gauche part divisée (trois listes à gauche) et Tonino Panetta, ancien adjoint passé chez Les Républicains, l’emporte dès le premier tour avec 52 %. Un véritable séisme local.
Six ans plus tard, la gauche veut prendre sa revanche. Mais elle reste éclatée : Matthieu Bauhain mène une liste PCF avec une partie des écologistes, pendant qu’une autre liste « Choisy en commun » rassemble LFI et une partie du PS. Autant dire que chaque voix comptera.
La liberté d’expression en campagne : où est la limite ?
L’affaire dépasse largement Choisy-le-Roi. Elle pose une question de fond : jusqu’où un maire peut-il réglementer les initiatives de ses opposants pendant la période pré-électorale ?
D’un côté, le maire a effectivement le pouvoir de police et doit garantir la sécurité publique. De l’autre, il ne peut pas utiliser ce pouvoir pour entraver la campagne de ses adversaires. C’est tout l’équilibre délicat que le juge administratif va devoir trancher.
Et franchement, quand on voit que des meetings de 500 personnes sont autorisés sans problème dans d’autres villes, interdire un stand de crêpes parce qu’il est à 50 mètres d’une école… ça fait sourire jaune.
Ce que dit la jurisprudence récente
Sans dévoiler l’issue (on la connaîtra dans quelques heures), on peut déjà regarder ce qu’ont dit les juges dans des cas similaires :
- Le Conseil d’État a déjà annulé des interdictions de réunions publiques quand elles étaient disproportionnées par rapport au risque
- La simple proximité d’une école ne suffit pas à justifier une interdiction systématique
- Une déclaration tardive peut être sanctionnée, mais rarement par une interdiction totale si le trouble n’est pas avéré
Bref, les chances que le tribunal donne raison au candidat d’opposition semblent réelles. Mais en politique locale, tout peut arriver.
Et demain ?
Si le juge suspend les arrêtés, ce sera un sérieux désaveu pour le maire sortant et un coup de boost énorme pour la campagne de Matthieu Bauhain. Si au contraire les interdictions sont maintenues, l’opposition criera à l’instrumentalisation de la justice administrative.
Dans les deux cas, cette histoire illustre parfaitement comment, à dix-huit mois avant le scrutin, la guerre est déjà déclarée à Choisy-le-Roi. Et quelque part, c’est aussi ça, la démocratie locale à la française : passionnée, parfois excessive, mais toujours vivante.
À suivre donc dans les prochaines heures. Personnellement, j’ai rarement vu une histoire de crêpes prendre une telle ampleur politique. Preuve que dans certaines villes, chaque m² de trottoir compte pour 2026.
(Article mis à jour dès que la décision du tribunal administratif sera connue)
