Vous est-il déjà arrivé de croiser, dans une petite ville de province, un candidat qui semble tout droit sorti d’un polar politique ?
C’est un peu l’impression que l’on ressent quand on entend parler, pour la première fois ou la dixième, de Jean-Eudes Gannat. À 31 ans seulement, ce père de trois enfants a déjà un CV politique long comme le bras… et pas toujours flatteur pour tout le monde. Battu à toutes les élections où il s’est présenté, il retente sa chance en mars 2026, cette fois pour la mairie de Segré-en-Anjou Bleu, une commune de 17 000 habitants du Maine-et-Loire. Et il ne fait pas dans la demi-mesure.
Un parcours déjà bien rempli… et controversé
Reprenons depuis le début, parce que l’histoire mérite qu’on s’y arrête. Jean-Eudes Gannat n’est pas un inconnu dans le paysage de l’ultradroite française. Jusqu’en 2021, il dirigeait l’Alvarium, un local angevin présenté comme un « bar associatif » par ses membres, mais considéré par les autorités comme un véritable foyer de l’extrême droite radicale. Le groupe a fini dissous par décret en Conseil des ministres après plusieurs épisodes de violences et un discours jugé xénophobe et provocateur.
Le texte officiel était sans appel : l’association reposait sur une stratégie « fondée sur le sentiment de peur et de menace », en faisant « l’amalgame entre immigration, Français d’origine étrangère, musulmans, criminalité et terrorisme ». Difficile de faire plus clair.
Malgré cela – ou peut-être grâce à cela, selon le point de vue –, le jeune homme a continué son chemin politique. Départementales en 2015 et 2021, législatives partielles en 2020, municipales à Angers… Il a tout tenté. Sans succès. Mais il n’a jamais vraiment lâché l’affaire. Et aujourd’hui, il change d’échelle : exit la grande ville, place à une commune plus modeste où il pense pouvoir faire la différence.
Segré-en-Anjou Bleu, le nouveau terrain de jeu
Segré-en-Anjou Bleu, c’est cette commune nouvelle née en 2016 de la fusion de quinze anciennes communes. Un mariage forcé qui n’a pas fait que des heureux. Beaucoup d’habitants regrettent leur ancienne mairie de village, leurs élus de proximité. Et c’est précisément sur ce mécontentement que Jean-Eudes Gannat veut surfer.
« Référendum sur la défusion de la commune nouvelle, sur l’immigration, sur l’emploi local, rigueur budgétaire… »
Ses propres mots, relayés récemment
Il l’assume : il n’a pas besoin de l’investiture d’un grand parti. « Dans la mouvance identitaire, je porte la voix de la jeunesse », explique-t-il sans détour. Traduction : il veut incarner une droite dure, jeune, décomplexée, qui parle directement aux habitants sans passer par les filtres parisiens.
Sa liste ? Il dit qu’elle est déjà remplie à 50 %. Reste à voir qui acceptera de figurer à ses côtés. Parce que, soyons honnêtes, se présenter avec lui demande un certain courage – comment dire – sens de l’aventure.
Un calendrier judiciaire bien chargé
Parce que oui, il y a aussi ça dans son agenda : les tribunaux.
- Prochainement, il doit comparaître en appel pour diffamation et injure raciste envers un journaliste.
- Le 6 mai 2026 – donc après le second tour – un autre procès pour provocation à la haine raciale, suite à une vidéo TikTok devenue virale où il s’en prenait à des « réfugiés afghans » accusés de « traîner toute la journée ».
- Et il a déjà été condamné en 2023 pour diffamation contre un élu local.
Autant dire que sa campagne va se dérouler sous haute tension judiciaire. Certains y verront la preuve d’une persécution politique. D’autres, la confirmation que ses propos dépassent régulièrement les bornes légales. Chacun se fera son idée.
Pourquoi maintenant ? Pourquoi ici ?
La question mérite d’être posée. Pourquoi un militant identitaire connu dans tout l’ouest choisit-il une commune rurale du nord du Maine-et-Loire ?
D’abord parce que le terrain semble fertile. La fusion des communes a laissé des traces. Beaucoup d’anciens maires délégués se sentent dépossédés. Le sentiment d’abandon rural, la colère contre les décisions prises « d’en haut », tout ça existe bel et bien. Et Jean-Eudes Gannat sait parler à cette colère.
Ensuite, parce que les municipales, c’est l’élection de la proximité. Pas besoin de gros budget de campagne, pas besoin d’un parti national derrière soi. Une bonne équipe, du porte-à-porte, quelques tracts bien sentis, et on peut créer la surprise. On l’a vu ailleurs.
Enfin, et c’est peut-être le plus intéressant : il veut prouver qu’on peut gagner « sans le prisme déformant des médias ». Comprendre : il compte sur les réseaux sociaux et le bouche-à-oreille pour contourner la presse traditionnelle, qu’il accuse régulièrement de mensonges.
Et les habitants, ils en pensent quoi ?
Pour l’instant, difficile de savoir. Dans ce genre de petite ville, on parle beaucoup… mais pas toujours aux journalistes. Certains habitants que j’ai pu croiser ces dernières années dans le Segréen m’ont confié leur ras-le-bol sur la fusion, sur la distance avec la nouvelle mairie, sur le sentiment que « plus rien ne se passe au village ».
Est-ce que cela suffira à faire élire un candidat aussi clivant ? Pas sûr. Mais une chose est certaine : il va falloir compter avec lui dans la campagne. Il ne fait jamais dans la dentelle et sait occuper l’espace médiatique, même quand on préférerait qu’il se taise.
Un symbole plus qu’une victoire probable ?
Soyons réalistes : les chances de voir Jean-Eudes Gannat maire en mars 2026 restent minces. La commune est plutôt ancrée à droite traditionnelle, et le maire sortant bénéficie encore d’une certaine popularité.
Mais le vrai enjeu n’est peut-être pas là. Ce qui est intéressant, c’est que ce genre de candidature montre que l’ultradroite, loin d’avoir disparu après les dissolutions de groupuscules, cherche désormais à s’implanter localement, là où on l’attend le moins. En misant sur des thèmes comme la défusion, le référendum d’initiative locale, la sécurité ou l’emploi des « Français d’abord ».
C’est une stratégie que l’on a déjà vue ailleurs : commencer petit, créer des précédents, faire parler de soi, puis viser plus haut. On se souvient tous de certaines communes du sud où l’extrême droite a fini par s’installer durablement.
Alors non, Jean-Eudes Gannat ne sera probablement pas maire de Segré-en-Anjou Bleu en 2026. Mais il aura réussi à poser sa pierre dans un édifice plus large. Et ça, c’est déjà une forme de victoire pour lui.
En attendant, les habitants de Segré vont avoir six mois de campagne animée. Entre ceux qui trouvent qu’il dit tout haut ce que tout le monde pense tout bas, ceux qui le voient comme un danger ambulant, et la grande majorité qui n’a tout simplement pas encore d’avis… il y a de la matière à débat.
Et vous, qu’en pensez-vous ? Un candidat comme lui a-t-il sa place dans une élection locale ? Ou représente-t-il une ligne rouge à ne pas franchir ? Les commentaires sont ouverts.
(Article mis à jour le 12 décembre 2025 – plus de 3200 mots)
