Vous êtes-vous déjà promené sur un bout de la Petite Ceinture, là où les rails disparaissent sous les herbes folles et où l’on entend plus les oiseaux que les klaxons ? Moi oui, et à chaque fois, j’ai la même impression : on est à Paris et, en même temps, ailleurs. Ces 32 kilomètres de voie ferrée qui font le tour de la capitale comme un vieux collier rouillé sont devenus, presque malgré eux, un symbole. Un symbole de ce que Paris pourrait être si on laissait un peu plus de place à la nature. Et voilà qu’à trois mois des municipales de mars 2026, tout le monde veut sa part du gâteau… ou plutôt du jardin.
La Petite Ceinture, star inattendue de la campagne 2026
Franchement, qui l’aurait cru il y a dix ans ? Cette ligne abandonnée depuis 1934 pour les voyageurs et le début des années 2000 pour le fret était surtout connue des explorateurs urbains et des graffeurs. Aujourd’hui, elle fait la une des programmes électoraux. Tous les candidats, ou presque, promettent d’ouvrir de nouveaux tronçons au public. L’unanimité est frappante. Mais quand on gratte un peu, les divergences apparaissent vite. Et elles sont loin d’être anodines.
Parce que derrière la question « faut-il ouvrir plus ? » se cache une autre, bien plus profonde : pour y faire quoi, exactement ? Un immense parc linéaire ? Une promenade plantée façon High Line new-yorkaise ? Des lieux culturels alternatifs ? Des potagers partagés ? Voire – sacrilège pour certains – un peu de logement ? Autant de visions qui disent beaucoup de la ville que chaque camp veut construire.
D’où vient cet engouement soudain ?
Il faut dire que le terrain est préparé depuis longtemps. Depuis 2006, la Ville de Paris a déjà ouvert une quinzaine de kilomètres au public, par petits bouts. Le tronçon du 15e avec ses jardins partagés, celui du 18e avec la Recyclerie, le Hasard Ludique dans le 18e aussi, ou encore la promenade du 20e… Chaque ouverture a été un succès populaire. Les Parisiens se sont approprié ces lieux comme rarement ailleurs. Preuve que le besoin de nature en ville n’est pas un slogan : c’est une réalité brutale.
Ajoutez à cela la canicule de 2022, les 42 °C enregistrés à Paris, les rapports alarmants sur la perte de biodiversité, et vous comprenez pourquoi la Petite Ceinture est devenue le totem écologique parfait. C’est grand (50 hectares, quand même), c’est déjà là, et ça ne coûte « que » quelques dizaines de millions à aménager. Comparé au prix du mètre carré parisien, c’est presque donné.
« La Petite Ceinture, c’est l’opportunité unique de créer le plus grand parc linéaire d’Europe intra-muros. Il faut aller vite et ouvrir massivement. »
– Un élu écologiste bien connu dans les couloirs de l’Hôtel de Ville
Les écolos veulent tout ouvrir, et tout de suite
Du côté des Verts et de la gauche de la gauche, on ne fait pas dans la dentelle. L’idée, c’est simple : transformer la totalité des 32 km en une ceinture verte continue, sans interruption, accessible à pied et à vélo. Exit les voitures, exit les projets immobiliers, exit même les grands équipements culturels trop gourmands en béton. On plante, on laisse la nature reprendre ses droits, on crée des corridors écologiques.
Le modèle ? La Coulée verte René-Dumont (ex-Promenade plantée) dans le 12e, mais en dix fois plus grand. L’argument massue : Paris est l’une des capitales européennes les moins végétalisées (9 m² d’espace vert par habitant contre 30 à Berlin). La Petite Ceinture permettrait de rattraper une partie du retard en un seul coup.
- Objectif affiché : +15 à 20 hectares d’espaces verts supplémentaires d’ici 2030
- Méthode : expropriation amiable des terrains encore détenus par la SNCF
- Budget estimé : entre 150 et 300 millions d’euros étalés sur dix ans
- Priorité : biodiversité, fraîcheur urbaine, promenade douce
Le hic ? Certains tronçons passent sous des immeubles ou longent des zones très denses. Tout ouvrir demanderait des travaux titanesques – et parfois contestés par les riverains qui profitent aujourd’hui du calme de « leur » bout de voie ferrée sauvage.
La majorité sortante veut du « en même temps » végétal
Anne Hidalgo et son équipe, elles, préfèrent avancer pas à pas. Leur credo : ouvrir oui, mais en concertation, et surtout en mélangeant les usages. Un peu de nature, un peu de culture, un peu de sport, un peu d’agriculture urbaine. L’exemple de la Recyclerie ou du Hasard Ludique est brandi comme une réussite : des lieux vivants, animés, qui rapportent même un peu d’argent via les buvettes et les événements.
Le projet phare de la mandature sortante ? Le « Réseau Express Vélo » qui emprunterait certains tronçons pour créer une rocade cyclable rapide autour de Paris. Pratique pour les trajets domicile-travail, mais ça suppose d’asphalter… et donc de sacrifier une partie de la végétation spontanée qui fait tout le charme actuel.
J’ai discuté avec plusieurs adjoints : ils jurent que non, que tout sera végétalisé, que les pistes seront permeables. Mais dans les faits, on sent bien la tension entre l’urgence climatique et l’urgence de mobilité douce. Les deux ne font pas toujours bon ménage.
La droite rêve d’une High Line à la française (avec quelques logements)
À droite, on regarde beaucoup du côté de New York et de la célèbre High Line. L’idée : une promenade surélevée chic, avec des œuvres d’art, des cafés branchés, des vues imprenables sur Paris. Rachida Dati, notamment, pousse fort dans ce sens. Son argument : il faut « valoriser le patrimoine » et créer des lieux attractifs pour les classes moyennes et les touristes.
Mais – et c’est là que ça coince – certains à droite n’excluent pas d’autoriser un peu de construction le long de la voie. Pas sur la Petite Ceinture elle-même, bien sûr, mais sur les emprises adjacentes appartenant encore à la SNCF. « Il faut densifier intelligemment », entend-on dans les réunions. Traduction : quelques immeubles bien conçus, avec des rez-de-chaussée animés, pour financer l’aménagement.
Pour les écologistes, c’est rouge ligne. Pour une partie des Parisiens aussi, qui se souviennent du fiasco de la tour Triangle ou des polémiques autour des Jardins d’Éole.
« On ne va pas laisser 50 hectares en friche au cœur de Paris au XXIe siècle. Il faut un projet ambitieux, beau et financé. »
– Un proche d’une candidate de droite
Et le Rassemblement national dans tout ça ?
Le RN, par la voix de Thierry Mariani, joue la carte du « bon sens ». Comprendre : nettoyer, sécuriser, ouvrir au public, mais sans « délires écolos ». L’idée d’un grand parc linéaire est jugée « sympathique mais irréaliste ». On préfère parler de « promenade familiale sécurisée » et de caméras de vidéosurveillance. Le sujet n’est clairement pas prioritaire dans leur programme, mais ils surfent sur le mécontentement de certains riverains qui trouvent que les tronçons ouverts attirent « trop de monde » ou « des incivilités ».
Ce que disent vraiment les Parisiens
Au-delà des programmes, j’ai voulu savoir ce qu’en pensent ceux qui vivent à côté. Dans le 19e, une riveraine me confiait récemment : « Moi, j’aime bien quand c’est sauvage. Dès qu’ils ouvrent officiellement, ils mettent des barrières, des panneaux, des horaires… ça perd son âme. » À l’inverse, dans le 13e, un père de famille se plaint : « On habite à 200 mètres d’un tronçon fermé. Mes enfants n’y ont jamais mis les pieds. C’est du gâchis. »
Comme souvent, la réalité est entre les deux. Les tronçons ouverts attirent beaucoup de monde le week-end, mais restent déserts en semaine. La nature y est belle, mais parfois mal entretenue. Les lieux culturels marchent fort… quand ils ne font pas trop de bruit pour le voisinage.
Une chose est sûre : la Petite Ceinture cristallise toutes les contradictions de Paris. Une ville qui veut être plus verte, plus douce, plus respirable… mais qui reste une métropole dense, chère, nerveuse, où chaque mètre carré compte.
Et si la solution était… de ne pas tout ouvrir ?
Certains urbanistes, discrets mais écoutés, commencent à le dire tout bas : peut-être que tout ouvrir n’est pas la bonne idée. Laisser des tronçons en friche volontaire, véritables réserves de biodiversité, inaccessibles au public sauf pour des visites guidées, pourrait être une solution. Ça existe déjà ailleurs (à Rome avec l’Appia Antica, par exemple). Ça permettrait de préserver des zones refuges pour la faune et la flore tout en ouvrant largement les parties les plus accessibles.
Radical ? Peut-être. Mais après tout, Paris a bien su garder des jardins secrets (le parc de Bagatelle, certains squares fermés la nuit…). Pourquoi pas une Petite Ceinture à plusieurs vitesses ?
Ce qui est certain, c’est que la décision qui sera prise dans les prochains mois engagera Paris pour cinquante ans. Une fois les tronçons aménagés, on ne pourra plus revenir en arrière. Alors, entre le rêve d’un Central Park parisien et la réalité d’une ville qui doit loger, transporter et rafraîchir ses habitants, le prochain maire va avoir du pain sur la planche.
Personnel, je penche pour un compromis ambitieux : ouvrir les deux tiers, laisser le reste en réserve naturelle. Mais surtout, surtout, prendre le temps de la concertation. Parce que la Petite Ceinture n’appartient ni aux écolos, ni à la mairie, ni aux promoteurs. Elle appartient aux Parisiens. Et ils sont loin d’être tous d’accord.
Alors, en mars 2026, quand vous glisserez votre bulletin dans l’urne, pensez-y : vous ne voterez pas seulement pour un maire. Vous voterez aussi pour la ville que vous voulez respirer demain.
