Imaginez la scène : vous êtes un ancien maire respecté, vous annoncez votre retour pour les prochaines municipales et, quelques semaines plus tard, on vous signifie tranquillement que vous n’avez plus le droit de voter dans votre propre ville. Plus le droit d’être candidat non plus, donc. C’est exactement ce qui est arrivé à Yves Jégo à Montereau-Fault-Yonne. Et franchement, ça sent le règlement de comptes à plein nez.
Un coup de tonnerre dans une ville déjà très électrique
Octobre 2025. Yves Jégo est à son bureau parisien quand il ouvre le courrier. Dedans, une décision du maire actuel, James Chéron : radiation immédiate des listes électorales pour « perte d’attache communale ». Autrement dit, la mairie estime qu’il ne vit plus vraiment à Montereau. L’accusation est lourde, surtout quand on connaît le passé des deux hommes.
Petit flashback utile : de 1995 à 2017, Jégo a été le patron de la ville. Vingt-deux ans. Il a tout connu, les grandes victoires, les projets phares, les polémiques aussi. En 2020, son ancien premier adjoint, James Chéron, le bat de justesse (53,55 % contre 46,45 %). Depuis, l’ambiance est glaciale entre les deux camps. Et là, à quatre mois du scrutin de 2026, cette radiation tombe comme une bombe.
Le motif officiel : l’article L11 du Code électoral
Pour être inscrit sur les listes électorales d’une commune, il faut soit y résider réellement et de façon continue, soit y payer des impôts locaux depuis au moins cinq ans, soit y exercer une activité professionnelle. La mairie a visiblement estimé que Jégo ne cochait plus la case « résidence effective ».
Concrètement, on lui reproche de passer trop de temps à Paris, d’avoir son QG professionnel dans la capitale et de ne venir à Montereau que de façon épisodique. Le studio qu’il loue rue Fortin ? Trop petit, pas assez meublé, pas assez « habité », selon les enquêteurs de la mairie. On a même vérifié les consommations d’eau et d’électricité. Oui, vous avez bien lu : on épluche les factures EDF pour savoir si vous méritez de voter.
« C’est une tentative politique grossière pour m’empêcher d’être candidat »
Yves Jégo, visiblement hors de lui
La contre-attaque et le rebondissement
Jégo ne se laisse pas faire. Il saisit immédiatement la commission de contrôle des listes électorales. Et là, surprise : la commission lui donne raison et annule la radiation. Motif ? Les preuves apportées par la mairie ne sont pas suffisantes pour démontrer qu’il a perdu son attache avec la commune.
Autrement dit, le coup est raté. Jégo reste électeur et, surtout, éligible. Il peut donc se présenter en mars 2026. Mais l’histoire ne s’arrête pas là.
La réponse du maire : « une erreur regrettable »
James Chéron, lui, ne décolère pas. Il parle d’une « erreur » de la commission et laisse entendre qu’il y aurait eu du « tripatouillage ». Le mot est lâché. Il assure que la procédure était régulière, que les services ont simplement fait leur travail de vérification, comme la loi l’y oblige.
Mais entre les lignes, on sent la frustration. Perdre cette bataille juridique à quelques mois du scrutin, c’est un sérieux coup dur. Surtout quand votre principal adversaire revient avec l’étiquette de la victime d’une tentative d’élimination.
Une pratique plus fréquente qu’on ne le croit
Ce genre de radiation pour « domicile fictif », ça arrive régulièrement en période pré-électorale. Les mairies, surtout quand elles sentent le siège fragile, aiment bien faire le ménage dans les listes. Parfois c’est justifié – il y a des candidats qui s’inscrivent dans des villages où ils n’ont jamais mis les pieds. Parfois, c’est beaucoup plus limite.
- En 2020, plusieurs candidats d’opposition avaient été radiés à la dernière minute dans des communes tenues par des maires sortants.
- Dans certaines petites villes, on a vu des enquêtes de police pour vérifier si untel dormait bien là où il prétendait.
- À Paris, Anne Hidalgo avait elle-même été visée par des rumeurs de domicile fictif en 2014 (elle avait gagné son procès).
Bref, c’est une arme parmi d’autres dans l’arsenal des municipales. Et à Montereau, elle a clairement été dégainée.
Pourquoi cette affaire dépasse le simple fait divers local
Parce qu’elle cristallise tout ce qui rend les municipales si passionnantes et parfois si sordides. On est loin des grandes déclarations nationales. Ici, on parle de factures EDF, de studio de 25 m², de consommation d’eau. Mais derrière ces détails administratifs, il y a une guerre totale pour le pouvoir local.
Et puis, il y a la symbolique. Yves Jégo, c’est vingt-deux ans de mairie. Il a façonné la ville. Beaucoup d’habitants le considèrent encore comme « le » maire. Le faire passer pour un Parisien qui se moque de Montereau, c’était une façon de le disqualifier moralement avant même le début de la campagne.
Le fait que la commission lui ait donné raison renforce son discours : « Vous voyez, ils sont prêts à tout pour m’éliminer. » Ça peut faire mouche auprès d’une partie de l’électorat qui n’aime pas les coups bas.
Et maintenant ? Une campagne qui s’annonce explosive
À quatre mois du scrutin, les masques sont tombés plus tôt que prévu. Les deux camps vont se retrouver face à face avec, en toile de fond, cette tentative de radiation. Jégo va jouer la carte du « retour de l’expérience bafouée ». Chéron va sans doute insister sur le « renouvellement » et le fait que l’ancien maire vivrait trop loin des réalités locales.
Les habitants, eux, vont devoir trancher. Entre celui qui a tenu la ville pendant deux décennies et celui qui a pris la relève il y a cinq ans. Entre nostalgie et envie de continuité. Et surtout entre deux visions qui, visiblement, ne se supportent plus.
Ce qui est sûr, c’est que la campagne 2026 à Montereau-Fault-Yonne ne va ressembler à aucune autre. Quand on en vient à vérifier les compteurs électriques pour gagner une élection, c’est que tous les coups sont permis.
Et quelque part, c’est ça aussi, la démocratie locale à la française : passionnée, rugueuse, parfois à la limite du fair-play. Mais toujours intense.
Affaire à suivre, évidemment. Parce qu’à Montereau, le prochain round ne fait que commencer.
