Imaginez la scène : il est à peine 9 h 30 un dimanche de décembre, il fait un froid de canard, et pourtant une trentaine de Parisiens ont bravé le gel pour venir boire un café… avec Rachida Dati. Pas dans le chic VIIe dont elle est maire, non. Place de la Bastille, en plein XIe, fief historique de la gauche. Cette image résume à elle seule la nouvelle stratégie de la candidate des Républicains pour les municipales de 2026 : aller chercher les voix là où plus personne ne les cherche.
Rachida Dati ne fait plus campagne, elle fait du porte-à-porte permanent
Depuis deux mois, l’ancienne ministre arpente Paris sans relâche. Pas seulement les arrondissements bourgeois où la droite est déjà majoritaire. Non, elle pousse jusqu’aux quartiers qui ont toujours voté socialiste, jusqu’aux coins que la mairie actuelle semble avoir oubliés. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle ne fait pas semblant.
J’ai rarement vu une campagne aussi terrain, aussi physique. Des réunions dans des cafés, des visites de ports de plaisance, des discussions avec les commerçants de la rue de la Roquette… Elle écoute les plaintes sur l’insécurité, sur les prix de l’immobilier qui flambent, sur les projets d’urbanisme qui passent en force. Et surtout, elle parle budget.
« Tout ce que je propose est déjà chiffré et financé »
Rachida Dati, répétant cette phrase à chaque réunion
Dans un Paris où la dette atteint désormais 9,3 milliards d’euros, cette promesse résonne particulièrement fort. Les habitants en ont marre des grands discours écologiques qui coûtent une fortune sans que leur quotidien s’améliore.
Les « Parisiens oubliés », le cœur de cible
Le terme revient sans cesse dans la bouche de la candidate : les « Parisiens oubliés ». Derrière cette expression un peu marketing se cache une réalité brutale. Ce sont ces classes moyennes et populaires qui ont fui Paris ou qui ne votent plus. Ces habitants des arrondissements du nord et de l’est qui se sentent abandonnés par vingt ans de gestion de gauche.
Et là, franchement, Rachida Dati touche un point sensible. Quand on voit le taux d’abstention aux dernières élections (plus de 60 % dans certains bureaux du XVIIIe ou du XIXe), on comprend que le vrai défi n’est pas de convaincre les militants déjà acquis, mais de faire revenir aux urnes ceux qui ont lâché l’affaire.
- Les familles qui ne trouvent plus à se loger décemment
- Les commerçants excédés par l’insécurité et les incivilités
- Les retraités modestes qui payent plein pot la hausse des taxes
- Les jeunes actifs qui bossent dur mais ne peuvent plus rester à Paris
Ces gens-là ne demandent pas la lune. Ils veulent juste pouvoir vivre normalement dans leur ville. Et c’est exactement le discours que tient Dati : arrêter les grands projets pharaoniques pour se concentrer sur le quotidien.
Une stratégie en trois axes qui commence à porter ses fruits
En observant sa campagne de près, on distingue clairement trois piliers qui reviennent systématiquement.
D’abord, la sécurité. Le sujet est explosif à Paris. Entre les campements de crack, l’alcoolisme de rue et les vols à l’arraché, beaucoup d’habitants ont le sentiment que la ville a baissé les bras. Dati promet une police municipale renforcée, armée, et surtout présente la nuit.
Ensuite, le pouvoir d’achat et le logement. Avec des prix immobiliers qui dépassent les 10 000 € le m² en moyenne, Paris est devenue une ville musée pour ultra-riches. La candidate veut relancer la construction de logements intermédiaires et mettre fin à la spéculation sur les biens publics.
Enfin, la proximité. C’est peut-être le plus malin. Au lieu de grandes réunions dans des salles impersonnelles, elle privilégie les petits comités. Vingt, trente personnes maximum. Ça permet des échanges vrais, sans filtre. Et surtout, ça crée du lien.
« Je ne viens pas faire un meeting, je viens discuter avec vous. Posez-moi toutes vos questions, même les plus gênantes. »
Et ça marche. Les gens osent. Ils parlent de leur peur de sortir le soir, de leurs enfants qui veulent partir en banlieue, de la propreté qui se dégrade. Des sujets qu’on n’entend presque jamais dans les beaux quartiers.
Le piège tendu à la majorité sortante
Ce qui est intéressant, c’est que cette stratégie met la gauche dans une position délicate. Plus Dati parle de sécurité et de dette, plus elle oblige ses adversaires à justifier vingt ans de gestion. Et franchement, le bilan n’est pas toujours flatteur.
Prenez les voies sur berges. Symbole de la mandature Hidalgo, elles cristallisent les divisions. Les uns y voient une réussite écologique, les autres un caprice coûteux qui a aggravé les embouteillages. Dati, elle, promet de rouvrir certaines portions à la circulation. Un positionnement clair, presque populiste, mais qui parle à beaucoup de monde.
Idem sur la dette. Quand vous devez emprunter pour payer les intérêts de vos emprunts précédents, c’est que quelque chose cloche sérieusement. Et pourtant l’équipe actuelle continue d’annoncer de grands projets. Il y a comme un décalage.
Les abstentionnistes, la clé du scrutin ?
Le vrai enjeu des municipales 2026 à Paris, ce ne sont pas les 30 % d’électeurs acquis à la gauche ou les 20 % à la droite. Ce sont les 50 % qui ne votent plus. Si Rachida Dati parvient à en ramener ne serait-ce que la moitié aux urnes, l’équation change complètement.
Et là, elle a un avantage : elle parle comme eux. Direct, sans langue de bois. Quand une dame lui parle de l’alcoolisme rue de Lappe, elle ne sort pas un discours sur la santé publique. Elle répond : « C’est insupportable, on va remettre de l’ordre. » Point.
Cette franchise plaît. Dans un paysage politique où tout le monde pèse ses mots, ça change.
Un pari risqué mais cohérent avec son parcours
Attention, tout n’est pas gagné. Paris reste une ville très à gauche dans ses arrondissements centraux. Et Rachida Dati traîne encore l’image d’une droite bling-bling, héritage Sarkozy. Mais justement, c’est peut-être là sa force.
Elle connaît les codes des beaux quartiers (elle dirige le VIIe depuis 2008) mais elle vient d’ailleurs. Fille d’immigrés, élevée dans une HLM à Chalon-sur-Saône, elle parle à la fois aux bourgeois et aux classes populaires. C’est rare en politique.
Et puis il y a son énergie. À 60 ans bientôt, elle court les réunions du matin au soir. Quand d’autres candidats envoient leurs adjoints, elle est là, en personne. Ça force le respect, même chez ses adversaires.
Et maintenant ?
À seize mois du scrutin, rien n’est joué. La gauche part divisée, avec plusieurs candidats potentiels. La macronie cherche encore sa voie. Le Rassemblement national lorgne sur les arrondissements populaires. Mais une chose est sûre : Rachida Dati a pris une longueur d’avance sur le terrain.
Si elle continue sur cette lancée, si elle parvient à transformer ces cafés du dimanche matin en bulletins de vote, alors Paris pourrait bien vivre un séisme politique en 2026.
Et quelque part, ce ne serait que justice. Après vingt-cinq ans de domination socialiste ininterrompue, la capitale a peut-être envie de changer d’air. Reste à savoir si les Parisiens sont prêts à franchir le pas.
Une chose est certaine : on n’a pas fini d’entendre parler de cette campagne. Et personnellement, je trouve ça plutôt excitant.
