Vous souvenez-vous encore du temps où le « front républicain » faisait office de bouclier quasi sacré face à l’extrême droite ? Moi, j’ai l’impression que c’était hier… et en même temps il y a un siècle. Ce matin-là, en écoutant la radio en buvant mon café, j’ai failli m’étouffer. Laurent Wauquiez, avec son calme habituel, a annoncé sans trembler que son parti appellerait désormais à voter tout sauf LFI au second tour des municipales 2026. Oui, vous avez bien lu : même si cela signifie voter RN.
Franchement, on savait que la droite bougeait. Mais là, on passe dans une autre dimension.
Une ligne qui a basculé sans faire de bruit
Reprenons depuis le début. Pendant des décennies, Les Républicains (et leurs ancêtres) avaient une règle d’or : jamais l’extrême droite au pouvoir, coûte que coûte. On se pinçait le nez, on appelait à voter pour Chirac face à Jean-Marie Le Pen en 2002, on faisait barrage. C’était presque un réflexe pavlovien.
Puis vint la dissolution de juin 2024. Le RN explose aux législatives, le front républicain craque de partout. Certains cadres LR commencent à dire tout bas ce qu’ils pensaient tout bas depuis longtemps : « Et si on arrêtait de faire le jeu de la gauche ? »
Laurent Wauquiez, lui, n’a pas attendu très longtemps pour transformer l’essai.
« Si un candidat LFI est au second tour et pas nous, nous appellerons à voter tout sauf LFI. Cela veut dire voter blanc, ou voter pour ceux qui sont en face, quel que soit le parti. »
Laurent Wauquiez, le 3 décembre 2025
Je ne sais pas vous, mais moi cette phrase me reste en travers de la gorge. Pas parce qu’elle est ambiguë – au contraire, elle est limpide – mais parce qu’elle enterre officiellement trente ans de doctrine.
Pourquoi LFI est devenue la bête noire absolue
Il faut comprendre le raisonnement – ou du moins la lecture qu’en fait la droite dure actuelle. Pour Laurent Wauquiez et une bonne partie de son aile, La France insoumise représente le premier danger pour la République. Plus que le RN ? Apparemment oui.
Les arguments reviennent en boucle :
- Une ligne internationale jugée « anti-française » (soutien affiché à certaines causes palestiniennes, critiques virulentes de la politique israélienne)
- Un discours économique perçu comme irréaliste et confiscatoire
- Des positions sociétales (wokisme, écriture inclusive, etc.) qui hérissent l’électorat conservateur
- Et surtout, une forme d’outrance verbale qui rappelle… les années 1930 à certains
Est-ce que tout cela est juste ? C’est une autre question. Ce qui est sûr, c’est que le storytelling fonctionne à droite. Et quand on répète dix fois que LFI est le diable, une partie de l’électorat finit par y croire dur comme fer.
Bruno Retailleau allait déjà plus loin
Ce qui est amusant – ou inquiétant, selon le point de vue – c’est que Laurent Wauquiez n’est même pas le plus radical dans son propre camp. Le président du groupe au Sénat, Bruno Retailleau, avait déjà franchi le Rubicon il y a quelques mois.
Remember la législative partielle dans le Tarn-et-Garonne ? Un duel PS contre un candidat soutenu par Éric Ciotti et le RN. Retailleau avait carrément appelé à ne pas voter socialiste. Autrement dit : laissez passer l’extrême droite plutôt que la gauche modérée.
On était déjà dans le « ni-ni » puissance 10. Aujourd’hui, on passe au « tout sauf LFI ». La pente est raide.
Concrètement, ça change quoi pour 2026 ?
Imaginons des scénarios réalistes dans les grandes villes :
- À Paris, un duel LFI (ex-Nupes) contre une liste indépendante ou RN dans certains arrondissements → les électeurs LR savent désormais quoi faire
- À Marseille, où le Printemps marseillais reste fort, un second tour LFI contre une liste de droite dure → barrage inversé
- Dans des villes moyennes du Nord ou du Sud-Est, triangulaire LR/RN/LFI → le RN peut devenir le bénéficiaire direct
En clair, le RN n’a même plus besoin de faire campagne pour récupérer des mairies : il suffit que LFI soit en position de gagner pour que l’appel de LR tombe.
Et ça, croyez-moi, Jordan Bardella doit se frotter les mains tous les matins.
Le vote blanc : la nouvelle hypocrisie ?
Wauquiez glisse habilement le vote blanc dans son package. C’est la petite porte de sortie morale : « Vous voyez, on ne vous demande pas forcément de voter RN, hein… »
Sauf que dans un duel à 50/50, le vote blanc fait exactement le jeu du candidat le plus mobilisé. Et on sait lequel des deux électorats est le plus discipliné entre LFI et RN.
Donc soyons clairs : dire « votez blanc ou l’adversaire » quand on sait que le vote blanc sera minoritaire, c’est une manière élégante de dire « votez RN » sans l’assumer complètement.
Et la gauche dans tout ça ?
Du côté de la gauche, on crie à la trahison historique. Certains parlent même de « pacte avec le diable ». Mais soyons honnêtes deux minutes : la gauche a aussi sa part de responsabilité.
Quand on laisse LFI devenir le porte-voix dominant de la gauche (ou du moins le plus audible), quand on refuse de clarifier les lignes sur des sujets clivants, on offre sur un plateau l’argument à la droite : « Vous voyez, ils sont tous pareils ».
Le PS, les écologistes, les restes de Renaissance vont devoir sérieusement se poser la question : continuer à faire comme si de rien n’était ou tenter une clarification idéologique avant 2026 ?
Vers une droitisation définitive de LR ?
Ce qui me frappe le plus, c’est la vitesse à laquelle tout cela arrive. Il y a encore cinq ans, un responsable LR qui aurait tenu ces propos aurait été exclu dans l’heure.
Aujourd’hui, c’est la ligne officielle. Et personne ne moufte au sein du parti. Ou presque.
Les modérés – s’il en reste – sont soit partis, soit réduits au silence. La primaire qui s’annonce pour 2027 sera un festival de surenchère sur le thème « qui est le plus à droite ».
Et les électeurs, eux, qu’en pensent-ils vraiment ?
Parce qu’au fond, c’est peut-être là que tout se joue. Les sondages récents montrent une droitisation sensible de l’électorat traditionnel LR, notamment chez les plus de 50 ans et les catholiques pratiquants.
Beaucoup se disent : « Entre la peste et le choléra, je préfère encore celui qui parle d’ordre et de sécurité plutôt que de révolution permanente ».
Est-ce que ça va jusqu’à voter RN ? Pas forcément. Mais refuser de faire barrage à LFI, oui, ça passe crème.
2026, le grand test
Les municipales ont toujours été le terrain de jeu favori de la droite. C’est là qu’on gagne (ou qu’on conserve) les baronnies locales, les réseaux, le clientélisme doux. Perdre ce bastion serait une catastrophe.
Du coup, la nouvelle doctrine « tout sauf LFI » est aussi une stratégie de survie. Quitte à faire des compromis qui auraient fait hurler Alain Juppé ou François Baroin il y a dix ans.
On verra bien si les électeurs suivent. Mais une chose est sûre : le paysage politique français ne ressemblera plus à celui qu’on a connu.
Le front républicain, ce vieux machin, est en train de rendre l’âme. Et personne ne semble prêt à lui faire du bouche-à-bouche.
Alors oui, 2026 s’annonce explosive. Et quelque part, c’est fascinant à observer – même si ça fait peur.
Parce qu’en politique, quand les digues sautent, ça ne se passe jamais comme prévu.
