Imaginez la scène : un mardi soir d’hiver. Lyon dort à moitié, les lumières de la fête des Lumières sont encore dans toutes les têtes, et soudain, boum, un séisme politique secoue la droite locale. Jean-Michel Aulas, l’homme qui a fait trembler l’Europe du foot pendant trois décennies, sort un carton rouge. Pas sur un terrain, mais en politique. Et la cible, c’est Étienne Blanc, sénateur et poids lourd LR du Rhône. Motif ? Avoir osé dire tout haut ce que certains chuchotent dans les couloirs : pour battre les écologistes, il faudrait peut-être parler à tout le monde, y compris à l’extrême droite.
Et là, Aulas, avec la fermeté d’un président qui a l’habitude de trancher dans le vif, dégaine un communiqué qui claque comme un coup de sifflet final. Exclusion immédiate. Pas de demi-mesure. J’ai lu le texte trois fois, et franchement, on sent l’homme blessé dans ses valeurs plus que le tacticien électoral.
Un carton rouge qui fait trembler toute la droite lyonnaise
Retour en arrière de vingt-quatre heures. Étienne Blanc est invité sur une chaîne info. La question tombe : « Une alliance avec l’extrême droite, c’est envisageable ? » Sa réponse fait l’effet d’une petite bombe : « Pour moi, c’est une évidence. Le terme extrême droite ne veut plus rien dire. » Il parle d’une « alliance programmatique », pas d’appareils, mais le message est clair : pour gagner, il faut additionner toutes les droites.
Moins de douze heures plus tard, le groupe « Cœur lyonnais », qui porte la candidature Aulas à la mairie, annonce l’exclusion du sénateur. Le timing est parfait, presque trop. Comme si tout était prêt à dégainer au moindre dérapage.
« Toute ma vie, j’ai construit sans jamais céder aux extrêmes. C’est une question de cohérence, d’histoire familiale et personnelle, d’engagements. »
Jean-Michel Aulas
Quand on connaît le parcours de l’homme, on comprend mieux la violence de la réaction. Son père, résistant, lui-même élevé dans le souvenir de Jean Moulin, Lyon comme ville-symbole de la Résistance… Accepter ne serait-ce qu’un début de discussion avec le RN, c’est pour lui ouvrir une porte qu’il a juré de maintenir fermée à jamais.
Pourquoi cette exclusion change tout (ou presque)
Sur le papier, perdre Étienne Blanc peut sembler anodin. Il reste soutien d’Aulas, il ne fait toujours campagne pour lui. Mais symboliquement, c’est énorme.
- Ça pose une ligne rouge claire : pas d’accord, même tactique, même local, même « programmatique » avec le RN.
- Ça rassure l’électorat centriste et macron-compatible qui commençait à se tordre le nez devant certaines ambiguïtés.
- Ça met la pression sur tous les autres élus LR ou divers droite du coin : vous êtes avec moi ou contre moi.
Et pourtant… on sent aussi la fragilité. Parce que dans les sondages, Aulas caracole en tête, oui, mais une partie de ses voix potentielles vient précisément de cet électorat populaire, déçu par la gauche et les Verts, qui vote parfois RN au second tour des présidentielles. En claquant la porte aussi fort, ne risque-t-il pas de les faire fuir ?
Étienne Blanc, l’assume, et il n’est pas tout à fait seul
Le lendemain matin, le sénateur est invité sur une radio locale. Il aurait pu faire profil bas. Au contraire, il en remet une couche :
« Parfois en politique, il faut savoir s’éclipser devant les génies insoupçonnés… J’ai pris acte de cette exclusion. Ça ne change rien sur le fond de mes convictions. »
Tacle au passage, mais surtout confirmation : il continue de penser que sans élargissement, la victoire sera compliquée. Et il n’est pas totalement isolé. Dans les couloirs de la Métropole, plusieurs élus de droite hochent la tête en privé. Certains ont même déjà commencé à discuter discrètement avec des cadres locaux du RN.
Même Béatrice de Montille, pourtant très proche d’Aulas, prend ses distances avec les propos de Blanc tout en restant extrêmement prudente dans la formulation. On sent la gymnastique : condamner sans rompre, désapprouver sans exclure.
Lyon, ville de Jean Moulin, peut-elle accepter le moindre compromis ?
Aulas a sorti l’argument massue : Lyon, terre de résistance. C’est puissant. C’est légitime. C’est aussi un peu facile, diront certains. Parce que dans les faits, la ville a déjà vu des alliances improbables par le passé.
Mais là, c’est différent. On n’est plus dans les arrangements discrets d’autrefois. On est en 2026, en pleine vague de normalisation du RN, et chaque mot est scruté, amplifié, commenté. Dire « extrême droite ne veut plus rien dire » aujourd’hui, c’est offrir un boulevard aux adversaires pour vous coller l’étiquette « compromis avec l’inacceptable ».
Et pourtant… regardons les chiffres. Les derniers sondages donnent Aulas autour de 38-42 % au premier tour, loin devant Grégory Doucet (autour de 22-25 %). Au second, il gagne dans presque tous les scénarios. Même sans les voix RN. Alors pourquoi prendre le risque de tendre la main à ce moment-là ?
La stratégie Aulas : le centre élargi ou le risque du splendide isolement
D’après ce que j’ai pu glaner auprès de plusieurs sources dans son entourage, l’idée est simple : on gagne en séduisant les déçus de Macron, les modérés de gauche échaudés par les Verts, les chefs d’entreprise qui en ont marre des embouteillages et des zones à faible émission. Pas besoin du RN. Voire : le RN fait fuir ces électeurs-là.
C’est un pari. Audacieux. Peut-être génial. Peut-être suicidaire. Parce que dans certaines villes de la Métropole, l’addition des voix de droite + extrême droite dépasse largement les 50 %. Refuser catégoriquement tout report peut coûter cher.
Mais Aulas a l’habitude des paris fous. Il a construit un empire footballistique en partant de presque rien. Il sait que parfois, la cohérence paie plus que le compromis.
Et maintenant ? Quelles conséquences d’ici mars 2026
- Short terme : renforcement de l’image d’homme d’État intègre. Les médias nationaux adorent. Les réseaux sociaux aussi (le post d’Aulas a fait des millions de vues).
- Moyen terme : risque de voir certains élus locaux de droite prendre leurs distances, créer une liste dissidente ou négocier directement avec d’autres forces.
- Long terme : si Aulas gagne sans les voix RN, il aura écrit une page politique majeure : oui, on peut battre la gauche et les Verts en restant républicain pur jus.
Mais s’il perd de justesse… on ressortira cette exclusion comme la décision qui a fait basculer l’élection.
Quatre mois. C’est à la fois une éternité et un claquement de doigts en politique. Tout peut encore arriver. Des alliances se défont, se refont, des ego explosent, des trahisons se préparent dans l’ombre.
Une chose est sûre : Jean-Michel Aulas vient de poser sa patte sur cette campagne comme il posait son empreinte sur le foot français : avec autorité, panache, et une bonne dose de théâtralité. Reste à savoir si le public lyonnais, lassé des Verts mais méfiant envers les extrêmes, suivra jusqu’au bout.
Le match ne fait que commencer. Et cette fois, ce n’est pas du foot. C’est du très haut niveau politique.
