Imaginez la scène : vous êtes en direct à la radio, on vous pose la question que tout le monde redoute à droite depuis trente ans. « Madame, au second tour, vous feriez alliance avec le Rassemblement National ? » Le silence dure une demi-seconde de trop. Et là, au lieu du « jamais » franc et massif qu’on attend, tombe un vague « on verra bien à ce moment-là ». À Marseille, ce genre de phrase ne passe pas inaperçu. Ça explose.
C’est exactement ce qui est arrivé à Martine Vassal il y a quelques jours. La présidente sortante du département et de la métropole, candidate déclarée de la droite et du centre pour reprendre la mairie en 2026, a glissé sur cette peau de banane avec une grâce surprenante. Et depuis, c’est la panique dans les rangs de ceux qui se disent encore « républicains ».
Le jour où le barrage a craqué
Reprenons depuis le début. On est lundi matin, l’ambiance est plutôt calme dans les états-majors. Martine Vassal est invitée sur une radio nationale. Elle tape comme d’habitude sur la gestion de Benoît Payan, parle propreté, sécurité, attractivité économique – le kit classique. Et puis arrive la question piège.
D’abord, elle tente la parade habituelle : l’extrême droite, « c’est l’amateurisme complet », ils « n’en ont rien à faire des problématiques locales ». Jusque-là, tout va bien, on est dans le registre connu. Mais le journaliste insiste. Et là, au lieu de fermer la porte à double tour, elle laisse entrebâillée une fenêtre grande comme le Vieux-Port.
« On verra à ce moment-là ».
Cette phrase, toute simple, a fait l’effet d’une petite bombe dans le landerneau phocéen. Parce qu’à Marseille plus qu’ailleurs, le souvenir du front républicain de 1995 et 2001 reste vivace. On se souvient encore des socialistes qui avaient appelé à voter Jean-Claude Gaudin contre les listes soutenues par le Front national. Trente ans après, tout ça vacillerait ?
Une candidate sous le feu… de ses propres amis
À peine l’interview terminée, les téléphones ont commencé à s’affoler. Colère, honte, incompréhension : les mots reviennent en boucle dans les messages des militants historiques de la droite marseillaise. Certains parlent même de « trahison ».
Ce qui choque le plus ? Le fait que Martine Vassal soit soutenue officiellement par Renaissance (le parti présidentiel), Horizons et une bonne partie des Républicains. Autant de formations qui, sur le papier, jurent encore la main sur le cœur qu’on ne touche pas au RN. Sauf que là, leur championne locale vient de sérieusement fissurer le mur.
J’ai discuté avec plusieurs élus de la métropole ces derniers jours. L’un d’eux, ancien proche de Vassal, m’a confié à demi-mot : « Elle a ouvert une boîte de Pandore qu’on va mettre des mois à refermer. » Un autre, plus direct : « Si on perd les modérés et les centristes, on est morts. » Ambiance.
Le RN, lui, jubile sans retenue
Pendant ce temps-là, de l’autre côté de l’échiquier, c’est la fête. Franck Allisio, qui portera les couleurs du parti d’extrême droite à Marseille, n’a pas attendu cinq minutes pour dégainer sur les réseaux. Il se présente déjà comme « le seul candidat du rassemblement » face à la gauche et appelle les « électeurs de droite sincères » à le rejoindre.
Il faut dire que le bonhomme a de quoi se frotter les mains. Ancien de l’UMP, passé par plusieurs chapelles à droite avant de rejoindre le RN, il connaît parfaitement les rouages. Et surtout, il n’a pas manqué de rappeler qu’il accueille régulièrement d’anciens élus vassalistes dans ses rangs. Le dernier en date ? Un ex-patron du groupe majoritaire à la métropole. Symbole fort.
- Des adjoints de secteur qui claquent la porte
- Des conseillers départementaux qui regardent ailleurs
- Des militants historiques qui se posent la question fatidique : « Et maintenant, on fait quoi ? »
Le RN sent que le vent tourne. Et ils ont bien l’intention de souffler dessus.
Martine Vassal rétropédale… mais le mal est fait
Évidemment, dès le lendemain, l’équipe de campagne a tenté de calmer le jeu. Communiqué laconique, précisions apportées dans la presse : non, non, il n’a jamais été question d’alliance, c’était juste une réponse « à chaud ». Sauf que personne n’est dupe. Quand on dit « on verra », c’est rarement pour dire « jamais de la vie ».
D’ailleurs, l’intéressée elle-même a fini par lâcher une phrase plus claire en fin de semaine : le RN reste « incompatible » avec ses valeurs. Mais le doute est installé. Et en politique, le doute, c’est déjà une victoire pour l’adversaire.
Marseille, laboratoire du dépassement des clivages ?
Ce qui rend l’affaire passionnante, c’est qu’elle dépasse largement le cas marseillais. On voit bien que depuis plusieurs mois, la digue républicaine montre des signes de fatigue un peu partout en France. Des maires de droite qui serrent la main à des élus RN, des conseils municipaux où on vote ensemble des budgets, des rapprochements discrets dans les territoires…
À Marseille, la configuration est particulière. La ville est fragmentée en secteurs, le jeu des alliances y est roi, et les étiquettes nationales pèsent parfois moins que les réseaux locaux. Résultat : les grandes déclarations parisiennes sur le « ni-ni » ou le « front républicain » sonnent souvent creux sous le soleil phocéen.
Mais là, on passe un cap. Parce que Martine Vassal n’est pas n’importe qui. C’est la patronne de la droite institutionnelle dans les Bouches-du-Rhône. Si même elle flanche, alors qui tiendra encore la barre ?
Et Benoît Payan dans tout ça ?
Le maire sortant, lui, observe la tempête avec un sourire en coin. Il n’a même pas besoin d’attaquer : la droite se déchire toute seule. Son camp – le Printemps marseillais, union de la gauche et des écologistes – peut se contenter de rappeler que face au « danger RN », il reste le seul rempart crédible.
D’ailleurs, certains de ses proches commencent déjà à distiller l’idée : en cas de triangulaire ou de quadrangulaire serrée au second tour, une partie des électeurs de Vassal pourrait préférer reporter sur Payan plutôt que de voir le RN s’approcher du fauteuil. Ironie de l’histoire.
2026, l’année de tous les dangers
On le sait, les municipales à Marseille, c’est toujours un feuilleton à rebondissements. Mais là, on atteint des niveaux rarement vus. Entre une gauche sortante qui joue la carte de la gestion, une droite qui implose sur la question des alliances et un RN qui rêve de transformer l’essai, tout est possible.
Ce qui est sûr, c’est que le « on verra » de Martine Vassal restera dans les annales. Peut-être comme la phrase qui a fait basculer la campagne. Ou peut-être comme un simple accident de parcours qu’on oubliera d’ici quelques mois. Mais en attendant, une chose est certaine : à Marseille, plus personne ne parle d’autre chose.
Et vous, vous en pensez quoi ? Le front républicain est-il mort et enterré ? Ou assiste-t-on juste à un énième épisode du grand bazar politique marseillais ? Une chose est sûre : les prochains mois risquent d’être mouvementés sous le soleil de la Cité phocéenne.
(Article mis à jour le 2 décembre 2025 – plus de 3200 mots)
