Il y a des joueurs qui gagnent des tournois, et puis il y a ceux qui marquent un pays entier. Nicola Pietrangeli appartenait clairement à la seconde catégorie. Quand la nouvelle de son décès à 92 ans est tombée ce 1er décembre 2025, c’est tout un pan du tennis italien qui s’est éteignait avec lui.
Je me souviens encore de la première fois où j’ai entendu parler de lui. J’étais gamin, on me racontait qu’avant Jannik Sinner, il y avait eu « Nico ». Un type capable de battre n’importe qui sur terre battue, de faire vibrer Rome comme personne, et surtout de porter la Coupe Davis pendant presque vingt ans sur ses épaules. À l’époque, ça paraissait presque irréel.
L’homme qui a donné son nom au plus beau court du monde
En 2006, les autorités italiennes ont décidé de rebaptiser le court central du Foro Italico « Stadio Nicola Pietrangeli ». Lui, avec son éternel sourire en coin, avait lâché : « Ce n’est pas le plus grand, ni le plus moderne, mais c’est de loin le plus beau court du monde. » Et franchement, qui pourrait le contredire ?
Ces statues de marbre, ces gradins qui semblent sortir de l’Antiquité, cette terre battue rouge sang… Tout respire l’histoire. Et au milieu de tout ça, son nom. Pour l’éternité.
Un destin pas comme les autres
Nicola Pietrangeli n’est pas né en Italie. Il voit le jour en 1933 à Tunis, d’un père italien et d’une mère russe. Le français est sa langue maternelle – il le parlera d’ailleurs toute sa vie avec cet accent chantant si particulier. C’est seulement à l’adolescence qu’il pose vraiment les pieds en Italie et découvre le tennis presque par hasard.
Mais quand il touche une raquette, c’est la révélation. Droitier, jeu d’attaque, volées assassines, revers à une main élégant : il a tout du joueur d’une autre époque. Et pourtant, il va dominer la sienne.
Roland-Garros, son jardin
1959 et 1960. Deux années magiques. Deux titres à Paris. Le premier Italien à remporter un tournoi du Grand Chelem. À l’époque, l’ère Open n’existe pas encore, les amateurs règnent en maîtres, mais ça n’enlève rien à l’exploit.
En finale 1959, il domine le Chilien Luis Ayala en trois sets. L’année suivante, il remet ça face à un autre Chilien, Nicola Pilar. Deux fois de suite. Impérial.
Mais ce que beaucoup oublient, c’est qu’il a aussi perdu deux finales Porte d’Auteuil : 1961 et 1964, à chaque fois contre Manuel Santana. Quatre finales consécutives à Roland-Garros. Qui dit mieux avant l’ère Open ? Personne.
« La terre battue, c’était mon élément. Là-bas, je me sentais invincible. »
Nicola Pietrangeli, dans une interview en 2022
Le roi incontesté de la Coupe Davis
Si on parle chiffres bruts, personne ne lui arrive à la cheville. 164 matchs joués. 120 victoires. C’est toujours, en 2025, le record absolu de victoires en Coupe Davis. Toutes époques confondues.
- 78 victoires en simple
- 42 en double
- Participations de 1954 à 1972 – soit 18 ans sous le maillot azzurro
Il amène l’Italie en finale en 1960 et 1961, mais perd à chaque fois contre l’Australie de Laver et Rosewall. Le Saladier d’Argent lui échappera comme joueur.
Mais en 1976, devenu capitaine non-joueur, il prend sa revanche. Avec un certain Adriano Panatta en leader – le seul autre Italien vainqueur à Roland-Garros –, il guide l’équipe jusqu’au titre face au Chili de Pinochet. Une victoire lourde de sens, aussi sur le plan politique.
Un style, une personnalité
Pietrangeli, ce n’était pas qu’un palmarès. C’était un look. Costume impeccable même sur un court d’entraînement, cheveux gominés, lunettes de soleil, cigarette au bec entre deux points (oui, à l’époque c’était autorisé). Il incarnait l’élégance méditerranéenne.
Sur le court, il provoquait, chambrant, parlait sans cesse. Les arbitres le détestaient, les spectateurs l’adoraient. Il avait ce petit côté « mauvais garçon chic » qui faisait craquer tout le monde.
Après la raquette : télé, cinéma et franc-parler
Quand il raccroche en 1974, il ne disparaît pas. Bien au contraire. Il anime pendant des années l’émission sportive dominicale la plus regardée d’Italie. Il joue dans quelques films – oui, vraiment –, côtoie Virna Lisi et Margot Kidder. Il devient une figure publique à part entière.
Et surtout, il n’a jamais mâché ses mots. Sur les jeunes, sur le tennis moderne, sur tout. Jusqu’au bout, il est resté fidèle à lui-même : cash, drôle, parfois grinçant.
L’héritage, au-delà des chiffres
Avant Jannik Sinner, il était le référent. Celui dont on disait : « Oui mais attends, tu connais Pietrangeli quand même ? » Il a prouvé qu’un Italien pouvait dominer le monde sur terre battue. Qu’on pouvait rêver grand, même quand l’Australie et les États-Unis trustaient tout.
Aujourd’hui, quand Sinner soulève des trophées ou que l’Italie remporte sa troisième Coupe Davis d’affilée, c’est un peu grâce à lui. Parce qu’il a ouvert la voie. Parce qu’il a montré que c’était possible.
« Avec lui, on a compris que nous pouvions nous aussi concurrencer le reste du monde, que rêver en grand n’était plus un hasard. »
Angelo Binaghi, président de la Fédération italienne de tennis
Rafael Nadal a tweeté : « Un grand nom du tennis italien et mondial. » Fabio Fognini a ajouté : « Il nous a appris à tous ce que gagner veut dire. » Même les plus grands ont salué le maestro.
Et maintenant ?
Le tennis italien est au sommet. Sinner numéro 1 mondial, Musetti, Berrettini, une équipe de Coupe Davis intouchable. Mais il y a cinquante ans, tout ça semblait impossible.
Nicola Pietrangeli a été le premier à y croire vraiment. Et à le faire croire à tout un pays.
Alors oui, il est parti. Mais son nom restera gravé dans le marbre du Foro Italico. Et dans le cœur de tous ceux qui aiment ce sport.
Ciao Nico. Et merci pour tout.
PS : La prochaine fois que vous regarderez un match sur le court Pietrangeli à Rome, levez un peu les yeux vers les tribunes. Vous sentirez presque sa présence. Légende éternelle.
