Imaginez la scène. Vous êtes au cœur d’une fête de mariage, rires, musique, parfums d’épices et de henné. Et d’un seul coup, la nuit bascule. Des hommes armés surgissent, crient, tirent en l’air, et emportent la mariée, ses amies, un bébé… C’est exactement ce qui s’est passé il y a quelques heures dans un petit village près de Sokoto, dans le nord-ouest du Nigeria. Quatorze personnes volatilisées. Et ce n’est malheureusement pas un cas isolé.
Une nuit de noces qui tourne au cauchemar
Dans cette région, la tradition veut que la jeune mariée passe sa première nuit dans sa nouvelle maison avec ses demoiselles d’honneur. Le marié, lui, rejoindra plus tard. C’est un moment de joie, de complicité féminine, de préparation avant le grand jour officiel. Sauf que, dans le village de Chacho, cette nuit-là a viré à l’horreur.
Vers 2 heures du matin, des dizaines d’hommes armés ont fait irruption. Ils connaissaient parfaitement les lieux. En quelques minutes, ils ont raflé tout le monde : la mariée, dix de ses proches amies toutes vêtues de leurs plus beaux atours, une mère et son nourrisson, plus une autre femme du quartier. Quatorze personnes au total. Les habitants, terrorisés, n’ont rien pu faire.
« Ils sont arrivés à moto, ils ont cassé les portes, tiré en l’air. On a tous couru nous cacher. Quand on est sortis… plus personne. »
– Un habitant du village, contacté par téléphone
Ce qui rend l’histoire encore plus glaçante, c’est que le même village avait déjà vécu ça en octobre. Treize personnes enlevées. Les familles avaient rassemblé des millions de nairas pour les libérer. Et là, rebelote. Comme si payer une fois donnait le droit aux bandits de revenir à volonté.
Les « bandits » : ni jihadistes, ni simples voleurs
On les appelle localement les bandits. Le mot peut paraître léger, presque folklorique. En réalité, il s’agit de groupes criminels ultra-organisés qui écument le nord-ouest et le centre du Nigeria depuis plus de dix ans. Ils ne revendiquent aucune idéologie politique ou religieuse comme Boko Haram à l’est, leur moteur est clair : l’argent. Des rançons colossales.
Ces dernières années, le phénomène a explosé. Des villages entiers se vident, les routes deviennent impraticables, les écoles ferment par peur des enlèvements massifs d’élèves. On parle parfois de centaines de millions de nairas par opération (plusieurs centaines de milliers d’euros). L’argent sert à acheter armes, motos, essence, et à entretenir un réseau impressionnant.
- Ils installent des camps quasi permanents dans l’immense forêt de Rugu qui s’étend sur six États
- Ils disposent d’informateurs dans chaque village
- Ils connaissent les dates de mariages, de baptêmes, de marchés – les moments où les familles ont de l’argent liquide
- Ils n’hésitent pas à tuer quand une communauté résiste
Le plus révoltant ? Certains États ont tenté de négocier des « accords de paix » avec eux. Résultat : les bandes acceptent de ne plus attaquer localement… mais vont juste déplacer leurs opérations chez le voisin. C’est exactement ce que redoutent les services de renseignement : la pression militaire et les accords dans le Katsina et le Zamfara poussent les groupes à migrer vers Sokoto et Kebbi.
Un État d’urgence qui peine à produire des effets
Face à la recrudescence, le président a déclaré mercredi un « état d’urgence sécuritaire national ». Des mots forts. Sur le terrain, les habitants attendent toujours de voir du concret. L’armée est déployée, oui, mais les forêts sont immenses, les moyens limités, et les bandits connaissent chaque sentier.
J’ai discuté il y a quelques mois avec un humanitaire qui travaille dans l’État de Zamfara. Il me disait : On a l’impression que l’État a abandonné toute une partie du pays. Les gens paient désormais une « taxe » informelle aux bandits pour pouvoir cultiver leurs champs. »>
Et là, on touche le cœur du problème : l’économie parallèle des enlèvements est devenue plus rentable que l’agriculture ou l’élevage. Certains jeunes désœuvrés rejoignent même les bandes, attirés par l’argent rapide. Un cercle vicieux terrifiant.
Les mariages, cibles privilégiées
Pourquoi s’attaquer à un mariage ? Tout simplement parce que c’est le moment où une famille sort le plus d’argent d’un coup. Tenues, bijoux, nourriture, cadeaux… Sans parler de la dot qui peut représenter des années d’économies. Les bandits le savent parfaitement.
Dans certaines zones, les familles reportent désormais les cérémonies ou les organisent en secret. D’autres paient des « escorts » armés pour surveiller la fête. Vous vous rendez compte ? Assurer la sécurité d’un mariage comme on le fait pour un convoi humanitaire.
Et quand l’enlèvement a lieu, commence l’angoisse des négociations. Des jours, des semaines de discussions par téléphone. Les bandits demandent des sommes folles, puis baissent petit à petit. Les familles vendent bétail, terres, bijoux. Certaines s’endettent pour des générations.
Que faire quand l’État semble dépassé ?
Franchement, je ne suis pas sûr qu’il existe de solution miracle. Renforcer l’armée ? Oui, mais avec quels moyens face à des centaines de milliers de kilomètres carrés de brousse ? Couper les financements ? Compliqué quand l’argent des rançons reste en grande partie dans l’économie locale.
Certains experts proposent de s’attaquer aux causes profondes : pauvreté extrême, absence d’écoles, chômage des jeunes. D’autres prônent la manner dure : opérations militaires massives, drones, état de siège. Entre les deux, les populations continuent de vivre dans la peur.
Ce qui me frappe le plus dans cette histoire, c’est le sentiment d’abandon. Une mariée qui devrait être en train de rêver à son avenir se retrouve otage dans une forêt, avec un bébé qui pleure et des amies terrifiées. Et pendant ce temps, le monde continue de tourner ailleurs.
On parle beaucoup moins de ces drames que de ceux causés par Boko Haram ou les conflits intercommunautaires. Pourtant, les bandits du nord-ouest ont fait bien plus de victimes ces dernières années. C’est une guerre silencieuse, quotidienne, qui ronge le Nigeria de l’intérieur.
Je croise les doigts pour que ces quatorze personnes rentrent chez elles rapidement. Mais je sais aussi que, demain, un autre village vivra la même chose. Et après-demain un autre encore. Tant qu’on n’aura pas trouvé le moyen de briser ce cycle infernal.
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