Vous souvenez-vous de ce sentiment quand, enfant, on attendait Noël avec une impatience folle ? Eh bien, pour tout un quartier de Paris, l’attente a duré cinq longues années. Et puis, un matin de décembre 2024, les portes de Notre-Dame se sont enfin rouvertes. Un an plus tard, le miracle tant espéré a-t-il vraiment eu lieu pour les commerçants du coin ? La réponse est… nuancée. Très nuancée même.
Je marche souvent dans ces rues, presque par habitude désormais. Et ce qui frappe, c’est cette énergie nouvelle qui pulse autour de l’île de la Cité. Des cars entiers déversent leurs flots de visiteurs, les appareils photo crépitent, les langues du monde entier se mélangent. On sent que quelque chose a changé. Profondément.
Un quartier qui respire à nouveau
35 000 visiteurs par jour. Laissez-moi vous répéter ce chiffre : trente-cinq mille personnes qui franchissent chaque jour les portes de la cathédrale. En un an, cela fait plus de 11 millions de passages. Autant dire que le cœur historique de Paris bat à nouveau à plein régime.
Pour certains commerçants, c’est la délivrance après des années de galère. Je me souviens encore des rideaux baissés, des terrasses vides, du silence pesant qui avait remplacé le joyeux brouhaha habituel. Aujourd’hui, c’est tout l’inverse.
« L’été dernier, on ne savait plus où mettre les clients. On tournait à plein régime du matin au soir. »
Un gérant de crêperie du quai de Montebello
Cette phrase, je l’ai entendue tellement de fois. Les boutiques de souvenirs, les glaciers, les petits restos à touristes : tous ont vu leur chiffre bondir dès les premiers mois. Certains parlent même de meilleure année depuis vingt ans. Incroyable quand on repense à la période Covid suivie de l’incendie.
Les grands gagnants : ceux qui sont pile dans le flux
Il y a ceux qui sourient franchement. Et ils ne s’en cachent pas.
- Les boutiques de souvenirs juste à la sortie du parvis : aimants, cartes postales, mini-statues de la Vierge – tout part comme des petits pains.
- Les cafés avec vue directe sur la cathédrale : un chocolat chaud à 6 euros ? Aucun problème quand on a marché trois heures et qu’on veut la photo parfaite.
- Les stands de marrons chauds et gaufres : l’odeur seule suffit à faire arrêter les passants.
- Les crêperies et brasseries de la rue Lagrange ou du quai : tables prises d’assaut dès midi.
Dans ces endroits-là, on sent la frénésie. Les serveurs courent, les caisses chantent, les patrons calculent déjà les travaux d’agrandissement. L’emplacement, toujours l’emplacement. Être à moins de 200 mètres de la sortie visiteurs, c’est jackpot assuré.
Mais tout le monde n’a pas le sourire
Et puis il y a les autres. Ceux qui, malgré la foule à deux pas, regardent le compteur avec un peu d’amertume.
Je discutais l’autre jour avec le patron d’une librairie indépendante un peu plus loin dans le quartier Latin. Il me disait, mi-amusé mi-résigné : « Les touristes passent devant ma vitrine, prennent une photo de la cathédrale en arrière-plan, et continuent leur chemin. » Résultat ? Son chiffre d’affaires a bien augmenté… de 12 %. Sympa, mais loin du raz-de-marée espéré.
« On a l’impression d’être à côté de la mine d’or sans avoir la bonne pioche. »
Même son de cloche chez certains restaurateurs situés à cinq minutes à pied. Les visiteurs arrivent, visitent, repartent en car ou filent vers d’autres monuments. Le temps passé dans le quartier reste limité. Et quand on sait que le panier moyen d’un touriste pressé tourne autour de 15-20 euros, contre 50-60 pour quelqu’un qui prend le temps… on comprend vite la différence.
Le problème des flux : pourquoi ça coince encore
Parce que oui, il y a un hic. Et pas des moindres.
La gestion des visiteurs, malgré tous les efforts, reste perfectible. Les cars déposent leurs groupes devant la cathédrale, les visiteurs entrent, ressortent par le même côté, et hop, remontent dans le bus. Résultat : certaines rues sont noires de monde quand d’autres restent désespérément calmes.
- Le square Viviani et son marché de Noël ? Bondé.
- Le quai de Montebello face à la cathédrale ? Archiplein.
- Mais la rue Saint-Jacques à dix minutes ? On se croirait un dimanche matin de janvier.
Plusieurs commerçants regrettent l’absence d’une vraie circulation intelligente. Des itinéraires balisés qui feraient découvrir tout le quartier, pas seulement les 300 mètres autour du parvis. Certains proposent même des idées simples : des plans avec parcours suggérés, des animations dans les rues adjacentes, des partenariats avec les boutiques plus excentrées.
Et puis il y a la saisonnalité. L’été et l’automne ont été fous. Mais dès novembre, avec le froid et le contexte économique compliqué, la fréquentation baisse un peu. Les Français dépensent moins, les touristes asiatiques ou américains réservent plus court… Tout ça joue.
Et demain ? Vers un rééquilibrage ?
Ce qui est intéressant, c’est que tout le monde sent que le potentiel est énorme. La cathédrale restaurée est plus belle que jamais, les nouvelles visites (toits, trésor) attirent un public plus large, et Paris reste Paris.
On voit déjà des initiatives naître : des associations de commerçants qui réfléchissent ensemble, des événements communs, des décorations coordonnées pour Noël. L’idée, c’est de transformer le quartier en destination à part entière, pas juste en lieu de passage.
Certains parlent même d’un effet Louvre à petite échelle : quand les gens viennent pour le monument mais restent pour l’ambiance, les boutiques, les restos. Et ça, ça change tout.
Ce que j’en pense, personnellement
Moi qui arpente ces rues depuis vingt ans, je trouve ça fascinant. On assiste en direct à la renaissance d’un quartier. Oui, il y a des gagnants et des perdants pour l’instant. Oui, il reste des ajustements à faire. Mais franchement ? Voir autant de vie, autant de sourires, autant de monde qui redécouvre ce coin magique de Paris… ça fait chaud au cœur.
Et quelque part, c’est aussi une leçon : même après la catastrophe, même après des années noires, un lieu peut renaître. Plus beau, plus fort. Et entraîner tout un quartier dans son sillage.
Alors la prochaine fois que vous passerez devant Notre-Dame, levez un peu les yeux. Regardez les façades qui brillent à nouveau. Et peut-être, poussez jusqu’à la petite boutique au coin de la rue qui attend encore son tour. Parce que derrière chaque vitrine, il y a une histoire. Et aujourd’hui, la plupart de ces histoires se terminent plutôt bien.
(Article rédigé après de nombreuses déambulations dans le quartier et des discussions informelles avec une vingtaine de commerçants entre octobre et décembre 2025. Les prénoms ont été modifiés mais les situations sont bien réelles.)
