Imaginez-vous en septembre 1962. L’OM vient de remonter en première division, le Vélodrome sent encore la peinture fraîche de ses tribunes refaites, et voilà que le club phocéen s’apprête à découvrir l’Europe. L’adversaire ? Un club belge au nom chantant : l’Union Saint-Gilloise. Personne ne le sait encore, mais ce tirage au sort va écrire la toute première ligne du grand livre continental marseillais.
Soixante-trois ans plus tard, presque jour pour jour, le destin remet les deux clubs face à face. Cette fois en Ligue des Champions, sous les lumières LED et devant des millions de téléspectateurs. Le clin d’œil est tellement gros qu’on dirait un scénario de film. Et pourtant, c’est bien réel.
1962 : quand l’OM découvrait l’inconnu européen
À l’époque, la compétition s’appelle la Coupe des villes de foires. Un nom un peu pompeux pour dire que les villes qui organisent des salons commerciaux ont le droit d’envoyer leur club. Marseille, avec sa foire internationale, est qualifié d’office. Le règlement est flou, les déplacements longs, les primes ridicules. Mais l’excitation est immense.
Le 26 septembre 1962, le Vélodrome fait le plein. On annonce plus de 25 000 spectateurs – un chiffre énorme pour l’époque. En face, l’Union Saint-Gilloise n’est plus le cador d’avant-guerre (onze titres de champion entre 1904 et 1935), mais reste un club respectable. Les journaux prédisent une formalité pour l’OM.
« On peut donc considérer que l’OM passera normalement ce premier obstacle »
– La presse sportive de l’époque
Un match aller poussif mais gagnant
Sur le terrain, ça coince. Les Marseillais dominent mais manquent de réalisme. Il faut attendre la 72e minute et un but d’Étienne Sansonetti – l’attaquant corse au pied gauche en or – pour faire trembler les filets. 1-0, score final. Victoire étriquée, mais victoire quand même. On se dit que le retour à Bruxelles sera une promenade.
Sauf que trois semaines plus tard, tout bascule.
Le cauchemar du Parc Duden
Entre les deux matchs, l’OM a joué à Angers en championnat et s’est pris une valise (0-3). Résultat : sept absents au coup d’envoi en Belgique, dont plusieurs cadres. L’entraîneur Armand Penverne doit bricoler une équipe avec les moyens du bord. Certains racontent même qu’il a failli remettre les crampons pour jouer demi.
Devant leur public du Parc Duden, les Unionistes ne se posent pas de questions. Ils mènent 3-0 à la mi-temps. L’OM revient à 3-2 grâce à Gérard Aygoui et Serge Roy (oui, le père d’Éric), mais c’est trop tard. Score final 4-2. Élimination dès le premier tour. Le rêve européen s’arrête net.
Dans les journaux du lendemain, le compte-rendu tient en quelques lignes, coincé entre le Real Madrid et les résultats de D2. La Coupe des villes de foires ? Personne n’y croit vraiment encore.
Les souvenirs encore vifs de Régis Bruneton
À 86 ans, Régis Bruneton est l’un des derniers témoins directs de cette épopée avortée. Titulaire à l’aller, blessé au retour, il se rappelle chaque détail quand on l’appelle.
« Avant le premier match, on s’était fait insulter de tous les noms dans un coin du terrain. On avait dû rentrer aux vestiaires. On avait une bonne équipe, mais sans plus. Financièrement c’était intéressant, mais sportivement… »
Régis Bruneton, défenseur OM 1962-1963
Il se souvient aussi du président Saby Zaraya, passionné mais critiqué, et de cette sensation étrange d’être pionnier sans le savoir. « Ça passe tellement vite », souffle-t-il. Mardi soir, il sera devant sa télé. Comme des milliers de supporters qui ignorent probablement qu’ils doivent tout à cette défaite belge de 1962.
De la Coupe des Foires à la Ligue des Champions : l’évolution folle
Pour bien mesurer le chemin parcouru, il suffit de comparer les deux époques :
- 1962 : 25 000 spectateurs maximum, une seule caméra de télé, prime de match ridicule
- 2025 : 67 000 places, diffusion mondiale, droits TV à neuf chiffres
- 1962 : déplacement en train ou en car, récupération à l’ancienne
- 2025 : jet privé, GPS embarqué, cryothérapie
- 1962 : élimination au premier tour sans drame
- 2025 : une défaite peut coûter 20 millions d’euros
Et pourtant, l’essence reste la même : un club populaire qui porte les couleurs de Marseille en Europe. La défaite de 1962 n’a pas découragé. Elle a planté la graine.
L’Union Saint-Gilloise, l’invité surprise qui a tout changé
De son côté, le club bruxellois a connu des décennies de galère – descente jusqu’en quatrième division – avant de renaître comme un phénix sous l’impulsion d’un actionnaire anglais. Aujourd’hui, c’est un sérieux outsider en Belgique et un habitué des coupes d’Europe. Le cercle est bouclé.
Le destin a parfois de ces ironies. Le club qui a brisé le rêve marseillais en 1962 pourrait bien, soixante-trois ans plus tard, en écrire un nouveau chapitre. Ou le refermer brutalement. Rendez-vous mardi soir au Vélodrome. Entre nostalgie et présent, il y aura forcément des frissons dans l’air.
Parce qu’au fond, peu importe le score. Ce match-là, on le joue déjà dans les têtes depuis 1962.
