Vous arrivez parfois à un moment où l’on se dit que l’histoire devrait déjà être terminée, et pourtant elle traîne encore, comme une note qui refuse de s’éteindre. Deux ans et deux mois après l’horreur du 7 octobre 2023, il reste encore deux noms, deux visages, deux corps qui n’ont pas retrouvé leur terre. Ran Gvili, Israélien, et Sudthisak Rinthalak, ouvrier agricole thaïlandais. Les deux derniers otages dont les dépouilles sont toujours retenues dans la bande de Gaza.
Ce mardi matin, un communiqué laconique du bureau du Premier ministre a fait basculer des milliers de cœurs : Israël s’apprête à recevoir de la Croix-Rouge des « éléments » retrouvés à Gaza. Le mot est froid, presque administratif. Mais pour les familles, c’est peut-être la fin d’une attente qui ronge depuis 787 jours.
Un cessez-le-feu qui rend presque tout, mais pas encore tout
Revenons un peu en arrière, parce que c’est important de se rappeler le chemin parcouru. Le 10 octobre dernier, après des négociations marathon sous égide américaine, un accord de cessez-le-feu est enfin entré en vigueur. Dans les clauses figuraient la restitution progressive des otages encore aux mains du Hamas et de ses alliés.
Sur les 48 personnes retenues à ce moment-là, 20 étaient encore en vie. Le reste… déjà parti. Le Hamas s’était engagé à rendre tout le monde, vivants ou morts. À ce jour, 46 ont été remis. Il en manque deux. Juste deux. Mais ces deux-là pèsent une tonne.
« Ran et Sudthisak doivent rentrer chez eux. Point final.
Communiqué du Forum des familles d’otages, 29 novembre 2025
Qui étaient Ran Gvili et Sudthisak Rinthalak ?
Ran Gvili avait 24 ans. Il était en service militaire près de la frontière lorsqu’il a été enlevé. On l’a vu sur une vidéo, blessé, traîné de force dans une jeep. Les images ont fait le tour du monde avant d’être censurées partout. Sa mère répète depuis deux ans la même phrase dans toutes les interviews : « Je veux juste pouvoir l’enterrer dignement. »
Sudthisak Rinthalak, lui, n’avait rien à voir avec le conflit. Ouvrier agricole thaïlandais venu gagner sa vie dans les champs du Néguev, il travaillait ce matin-là quand les assaillants ont déboulé. Il n’a jamais compris ce qui lui arrivait. Sa femme, en Thaïlande, a accouché de leur deuxième enfant six mois après sa disparition. L’enfant ne connaîtra jamais son père autrement que par des photos.
Ces deux hommes n’avaient rien en commun, si ce n’est d’avoir croisé la route du malheur absolu le même jour.
La mécanique glaçante des « éléments »
Le communiqué parle d’« éléments » remis par la Croix-Rouge. En langage diplomatique, ça veut tout dire et rien dire à la fois. Des fragments osseux ? Des effets personnels permettant l’identification ADN ? Des corps entiers ? Personne ne veut spéculer publiquement.
Ce qui est sûr, c’est que tout sera transféré à l’Institut national de médecine légale d’Abou Kabir, à Tel-Aviv. Là-bas, les experts bossent 24 h/24 depuis deux ans. Ils connaissent chaque dossier par cœur. Ils savent que la moindre erreur peut briser une famille à jamais.
- Prélèvements ADN comparés aux échantillons familiaux
- Analyse dentaire et radiologique
- Reconstitution éventuelle du visage si nécessaire
- Rapport remis aux familles en présence d’un psychologue et d’un rabbin (ou d’un moine bouddhiste pour Sudthisak)
Le processus est rodé, presque industriel. Et c’est ça qui glace le sang.
Tel-Aviv, place des Otages : l’ultime rassemblement ?
Chaque samedi soir depuis deux ans, ils sont des milliers à se retrouver sur cette place rebaptisée « place des Otages ». Des portraits géants, des bougies, des chansons. L’ambiance oscille entre espoir fou et résignation profonde.
Samedi dernier, les organisateurs avaient déjà prévu que ce serait peut-être le dernier grand rassemblement. Les deux photos restantes – celles de Ran et Sudthisak – trônaient au centre, entourées de fleurs blanches. Beaucoup pleuraient déjà en imaginant la suite.
Si les « éléments » reçus confirment bien qu’il s’agit de leurs proches, les obsèques auront lieu dans les jours qui viennent. Nationales pour Ran, plus discrètes mais avec honneurs militaires pour Sudthisak, comme les autres travailleurs étrangers tombés ce jour-là.
Et après ? La fermeture d’une plaie ouverte
J’ai couvert beaucoup de conflits, mais celui-ci laisse une marque différente. Parce qu’il s’est passé chez nous, dans des kibboutzim où l’on dansait encore la veille. Parce que des civils du monde entier – Thaïlandais, Népalais, Tanzaniens – se sont retrouvés pris dans une guerre qui ne les concernait pas.
Quand ces deux derniers rentreront enfin, Israël pourra tourner une page. Pas oublier – personne n’oubliera jamais – mais au moins refermer le chapitre des otages. Les familles pourront faire leur deuil. Les survivants pourront peut-être, un jour, dormir sans cauchemars.
Mais on sait tous que d’autres chapitres s’ouvriront. Reconstruction de Gaza, procès des responsables, enquêtes internes en Israël, tensions régionales… Le Proche-Orient ne connaît jamais vraiment la paix. Il connaît juste des pauses.
Un symbole plus grand que deux noms
Ce qui me frappe le plus dans cette histoire, c’est la solidarité transfrontalière. Un Israélien et un Thaïlandais, unis dans la mort et dans l’attente de leurs proches. Des ambassades qui ont travaillé main dans la main. Des manifestations où l’on brandissait les deux portraits côte à côte.
C’est bête à dire, mais parfois il faut une tragédie pour rappeler qu’on appartient tous à la même humanité. Ran et Sudthisak ne se souciaient peu de géopolitique. L’un faisait son service, l’autre ramassait des avocats. Et pourtant, leurs destins sont devenus le symbole d’un conflit qui dépasse largement les frontières d’Israël et de Gaza.
On ne laissera personne derrière. Jamais.
Promesse répétée par tous les Premiers ministres israéliens depuis 2023
Aujourd’hui, cette promesse est sur le point d’être tenue jusqu’au bout.
Je ne sais pas vous, mais moi, j’ai la gorge serrée rien que d’y penser. Parce que derrière les communiqués froids et les négociations secrètes, il y a des mamans qui n’ont pas dormi depuis deux ans, des enfants qui grandissent sans père, des frères qui refusent de fêter leurs anniversaires tant que « tout le monde n’est pas rentré ».
Si tout se passe comme prévu dans les prochaines heures ou les prochains jours, on pourra enfin écrire la dernière ligne de ce chapitre interminable.
Ils rentrent à la maison.
Enfin.
