Vous êtes-vous déjà demandé ce que deviennent les gardiens de but quand les projecteurs s’éteignent ? Quand les contrats pros ne se renouvellent plus et que l’âge commence à peser sur les articulations ? La plupart raccrochent les gants, deviennent agents, consultants ou ouvrent un bar à thème foot. Et puis il y a ceux, rares, qui refusent de tourner la page. Oumar Sissoko, lui, a décidé de vivre le football à 200 km/h, même à 38 ans.
Une vie rythmée par trois terrains et un seul amour
Imaginez la semaine type. Lundi, il est à Poissy, au Campus PSG, à corriger la position des mains des gamins de 12-13 ans qui rêvent de devenir le prochain Donnarumma. Mercredi, il saute dans un avion pour Bamako ou Jakarta avec les U23 du Mali, où on l’appelle « coach » même s’il porte encore les gants à l’entraînement. Et le soir, quand d’autres pensent à leur canapé, lui enfile le maillot rouge du FC Montreuil en Régional 1 et plonge dans la boue du stade Robert Legros. Franchement, qui fait encore ça à cet âge-là ?
Je l’ai croisé un soir d’entraînement en novembre, sous une pluie fine qui rendait le synthétique glissant comme une patinoire. Il sortait tout juste d’Indonésie, décalage horaire dans les jambes, mais il était là, à crier des « replace-toi ! » à ses défenseurs et à sauter comme un cadet sur chaque centre. À un moment, il a arrêté un tir en lucarne d’un réflexe hallucinant et tout le banc a applaudi. Un mec de 25 ans a lâché : « T’es pas humain coach… » Oumar a juste souri. C’est ça, le personnage.
Des souvenirs plein les gants
Pour comprendre l’énergie du bonhomme, il faut remonter un peu. Oumar Sissoko, c’est d’abord une carrière pro discrète mais solide. Metz, où il a joué plus de 100 matchs de Ligue 1 et Ligue 2. Des passages à Ajaccio, au Havre, en Grèce, en Roumanie… Pas le genre de CV qui fait la une de la presse, mais le genre de gardien sur qui les entraîneurs comptent quand ça sent le roussi. Un mec fiable, propre sur ses appuis, bon dans les duels.
Et puis il y a la famille. Cousin de Mohamed Sissoko, l’ancien milieu du PSG et de Liverpool, il a grandi avec le foot dans le sang. Les matchs de quartier à Bamako, les sélections jeunes maliennes, l’arrivée en France… Tout ça forge un caractère. Il me confiera plus tard qu’il a toujours eu cette mentalité : « Tant que mes jambes répondent, je joue. »
« J’ai arrêté le pro à 34 ans, mais arrêter le foot ? Jamais. Le foot, c’est ma drogue. »
Oumar Sissoko, un soir d’entraînement à Montreuil
Montreuil, l’autre famille
Arrivé au FC Montreuil il y a quelques saisons, il aurait pu se contenter du rôle de « grand frère » qui vient dépanner. Non. Il est titulaire indiscutable. Et quand tu vois le niveau en R1 en Île-de-France, tu comprends que ce n’est pas un cadeau. Les attaquants tapent fort, les pelouses sont parfois limites, les arbitres… disons qu’ils ne font pas de cadeaux. Pourtant, il est là, semaine après semaine.
Samedi 29 novembre, le club vit le plus grand match de son histoire récente : 8e tour de Coupe de France contre Granville, pensionnaire de National 2. Le stade Delaune de Bobigny sera plein, les gamins du quartier vont hurler, et au milieu des buts, il y aura ce gardien de 38 ans qui a déjà tout vécu… ou presque.
- Objectif : qualifier Montreuil pour les 32es de finale
- Adversaire : Granville, deux divisions au-dessus
- Enjeu : écrire une page d’histoire pour tout un quartier
- Atout numéro 1 : l’expérience d’un ancien pro entre les poteaux
Dans le vestiaire, on sent que les joueurs y croient. Un jeune défenseur me glissait avant l’entraînement : « Avec Oumar derrière, on a moins peur des un contre un. Il parle tout le temps, il nous calme. » C’est exactement ça le rôle d’un gardien expérimenté : transformer la peur en confiance.
Transmettre, le nouveau défi
Mais ce qui frappe le plus, c’est sa casquette de formateur. Au PSG, dans le centre de préformation, il travaille avec les gardiens de 11 à 14 ans. Il leur apprend les bases, mais surtout la mentalité. Comment rester concentré 95 minutes. Comment encaisser un but sans s’effondrer. Comment parler à ses défenseurs sans les braquer.
En parallèle, il accompagne les U23 du Mali. Des gamins ultra talentueux, parfois un peu trop confiants. Lui apporte le recul, la rigueur. Il me racontait un jour une séance à Bamako où il avait fait répéter 50 fois la même sortie aérienne à un jeune jusqu’à ce qu’il pleure. « Il m’a détesté ce jour-là, mais aujourd’hui il me remercie. » C’est tout Oumar.
« Un bon gardien, ce n’est pas seulement des réflexes. C’est 70 % de tête, 30 % de physique. »
Et demain ?
Quand je lui demande s’il arrêtera un jour, il rit. « Arrêter quoi ? Jouer ? Peut-être à 45 ans si mes genoux lâchent. Mais le foot, jamais. » Il rêve déjà de passer ses diplômes d’entraîneur, pourquoi pas gardien spécifique dans un centre de formation de haut niveau. Ou rester à Montreuil, devenir président, qui sait.
Ce qui est sûr, c’est que des gars comme Oumar, on n’en croise pas tous les jours. Des anciens pros qui refusent la retraite dorée pour continuer à bouffer du foot par tous les pores. Qui acceptent de jouer sous la pluie en R1 le vendredi soir après avoir coaché des gamins au Campus PSG le matin.
Samedi soir, quand le coup de sifflet final retentira à Bobigny, peu importe le résultat, une chose est certaine : Oumar Sissoko aura encore prouvé que l’amour du foot n’a pas d’âge. Et ça, franchement, ça fait du bien dans un monde où tout va trop vite et où on oublie parfois pourquoi on aime ce sport.
Alors si vous passez du côté de Delaune, venez voir. Vous assisterez peut-être à un petit bout d’histoire du foot amateur francilien. Et surtout, vous verrez un mec de 38 ans qui court encore après son ballon comme un gamin. C’est beau, non ?
PS : Si Montreuil passe, je vous promets un nouvel article après les 32es. Parce que là, ça deviendrait vraiment dingue.
