Il y a des phrases qui claquent plus fort qu’un 49.3 en pleine nuit. Quand Agnès Pannier-Runacher, ancienne ministre et fidèle parmi les fidèles du macronisme originel, déclare tout de go « Je ne comprends plus Édouard Philippe », on sent que quelque chose vient de se casser définitivement dans la maison majoritaire. Et franchement, on était nombreux à attendre ce moment-là.
Parce que, soyons honnêtes, ça faisait des mois que ça grinçait. Mais là, on est passé au stade du bruit de verre brisé.
La goutte d’eau qui fait déborder le budget de la Sécu
Tout part d’une décision apparemment technique : le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2026. Un texte déjà ultra-sensible, négocié dans la douleur avec les socialistes pour éviter la censure, qui inclut notamment la suspension temporaire de la réforme des retraites et quelques hausses fiscales ciblées.
Et puis arrive Édouard Philippe, costume impeccable et air déterminé, qui annonce tranquillement qu’en l’état, Horizons ne votera pas le budget de la Sécu. Boom. Dans une majorité relative où chaque voix compte, c’est une bombe à fragmentation.
« Je trouve que ses prises de position sont totalement décalées avec l’esprit de responsabilité qu’on est en droit d’attendre aujourd’hui d’un responsable politique qui prétend être candidat à la présidentielle »
Agnès Pannier-Runacher, franceinfo, 6 décembre 2025
Le ton est donné. Et il est glacial.
Quand l’ex-bras droit devient l’opposant numéro 1
Ce qui rend la sortie de Pannier-Runacher si piquante, c’est qu’elle a servi sous Édouard Philippe à Matignon. Elle connaît l’homme, ses méthodes, son sens supposé du compromis. Et là, elle ne le reconnaît plus. Comme beaucoup dans l’ancienne garde philippiste d’ailleurs, qui se retrouvent orphelins d’un leader qu’ils pensaient éternellement raisonnable.
J’ai discuté avec plusieurs députés de la majorité ces derniers jours. Le sentiment dominant ? Une forme de trahison douce-amère. L’un d’eux m’a glissé : « On a tout fait pour tenir la baraque, et lui joue sa partition solo pour 2027 ». Difficile de lui donner totalement tort.
- Horizons compte 34 députés
- Seulement 4 ont voté pour la partie recettes du PLFSS
- 15 se sont abstenus (ce qui revient presque à voter contre dans le contexte actuel)
- Le reste a fui ou voté contre
Autrement dit, même dans son propre camp, Philippe peine à embarquer tout le monde. Preuve que la ligne « responsable mais ferme » qu’il veut incarner commence à sentir le souffre.
Les autres voix qui montent dans la majorité
Et Pannier-Runacher n’est pas seule. Loin de là.
Gabriel Attal, toujours aussi cash, a appelé Édouard Philippe à garder son sang-froid et ses nerfs solides. Traduction : arrête de nous faire du chantage permanent, on a déjà assez de problèmes comme ça.
Yaël Braun-Pivet, présidente de l’Assemblée, a été plus douce mais tout aussi claire : « Laisse le débat parlementaire se faire ! ». Sous-entendu : ton timing est dégueulasse, on est en train de négocier dans le feu.
Même Xavier Bertrand, pourtant LR, en a rajouté une couche en parlant de « vengeance personnelle ». Quand la droite traditionnelle te tombe dessus, c’est que tu as vraiment réussi à énerver tout le monde.
Pourquoi Philippe joue-t-il ce coup maintenant ?
La question que tout le monde se pose dans les couloirs de l’Assemblée.
Plusieurs hypothèses circulent :
- Se démarquer clairement avant 2027 en incarnant la rigueur budgétaire face à un gouvernement accusé de laxisme
- Forcer l’exécutif à durcir le texte (suppression de la suspension retraites, moins de hausses d’impôts)
- Préparer le terrain à un éventuel recours au 49.3… qu’il pourra ensuite dénoncer comme anti-démocratique
- Tout simplement rappeler qui reste le patron du camp modéré de droite
Personnellement, je penche pour un mélange des quatre. Philippe a toujours été un stratège. Il sait que dans l’opinion, l’image du « responsable qui dit non aux dépenses folles » reste extrêmement rentable.
« Il n’est pas possible de voter un texte contraire à nos engagements »
Pierre-Yves Bournazel, secrétaire général d’Horizons
Traduction : on préfère faire tomber le budget plutôt que de cautionner des reculs idéologiques. Quitte à faire le jeu du RN et de LFI qui, eux, voteront contre sans état d’âme.
Et Macron dans tout ça ?
Silence radio, pour l’instant. Classique.
Mais on sent que la rupture, déjà consommée depuis le départ forcé de Philippe de Matignon en juillet 2020, devient irréversible. L’appel à une présidentielle anticipée lancé par Philippe en octobre dernier avait déjà mis le feu aux poudres. Là, on passe au stade incendie.
Dans les sondages, Philippe reste largement devant dans le camp macroniste pour 2027, malgré une petite érosion récente. Mais à ce rythme, il risque de se retrouver seul avec ses 20-25 %… face à un RN à 35 %.
Quelles conséquences concrètes à court terme ?
Le vote définitif du PLFSS est prévu mardi. Sans les voix Horizons, le gouvernement va devoir soit :
- Faire encore plus de concessions (peu probable)
- Degainer le 49.3 (très probable)
- Assumer un rejet (impensable)
Dans tous les cas, la fracture est là. Et elle ne se refermera pas d’un claquement de doigts.
Ce qui est fascinant, c’est que cette crise révèle la faiblesse structurelle du macronisme : un mouvement né autour d’un homme, sans vrai parti, sans doctrine claire, et qui explose dès que les ego se libèrent.
Édouard Philippe a compris ça avant tout le monde. Il construit sa différence, coûte que coûte. Même si ça doit faire mal à ses anciens camarades.
Et quelque part, on ne peut pas lui reprocher d’être cohérent avec lui-même. Mais à force de jouer les premiers de la classe solitaires, il risque de se retrouver… tout seul dans la cour de récréation en 2027.
À suivre. De très près.
(Article mis à jour le 6 décembre 2025 à 23h17 – environ 3200 mots)
