Imaginez la scène. Il est un peu plus de dix heures du matin, la lumière mediterranéenne est déjà franche, presque brutale. Et là, au milieu des carcasses de béton et d’acier tordus, surgit une papamobile blindée. À l’intérieur, un homme en blanc qui sourit, lève le pouce à l’américaine et semble dire : « On va s’en sortir. » À cet instant précis, Beyrouth a retenu son souffle avant d’exploser de joie. Cinq ans après la catastrophe du port, Léon XIV choisissait le lieu le plus douloureux du pays pour y célébrer la résurrection.
Un symbole plus fort que mille discours
Choisir le port de Beyrouth pour une messe papale, ce n’est pas anodin. C’est même un coup de génie symbolique. Le 4 août 2020, 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium stockées n’importe comment avaient transformé le cœur de la capitale en champ de ruines. Plus de 200 morts, 7 000 blessés, 300 000 personnes sans abri. Les immenses silos à grain, éventrés, dominent encore la baie comme un mémorial vivant de la tragédie.
En posant le pied là, Léon XIV ne faisait pas qu’une visite pastorale. Il plantait un drapeau d’espérance sur le terrain même de la désespérance libanaise. Et franchement, on en avait besoin.
Une foule qui dépasse toutes les confessions
Ce qui m’a marqué, c’est la composition de la foule. Oui, il y avait beaucoup de chrétiens maronites, habitués des grandes célébrations. Mais il y avait aussi des sunnites, des chiites, des druzes, des orthodoxes, des arméniens… Des gens qui, dans la vie quotidienne, se regardent parfois en chiens de faïence. Là, ils étaient épaule contre épaule, certains avec le keffieh, d’autres avec la croix autour du cou, tous en train de crier la même chose : « Viva el Papa ! »
« Aujourd’hui, on n’est pas chiite, sunnite ou chrétien. On est libanais. »
– Une femme voilée rencontrée dans la foule, les larmes aux yeux
Cette phrase, je l’ai entendue dix fois dans la matinée. Elle résume tout.
Le style Léon XIV : entre Chicago et Vatican
On l’attendait solennel, un peu distant peut-être. On a eu droit à un pape qui tape dans le dos des gardes du corps, qui attrape les bébés qu’on lui tend, qui fait des blagues en arabe approximatif et qui, surtout, parle cash. Son pouce levé façon « everything’s gonna be alright », c’est du pur Chicago. Les Libanais ont adoré. Pour une fois qu’un leader mondial ne leur fait pas la leçon avec l’air grave…
D’ailleurs, dans l’avion retour, il paraît qu’il a confié à des journalistes : « J’ai vu pire à South Side quand j’étais gamin. Si eux s’en sont sortis, vous allez y arriver aussi. » Typique.
Le message : « Relève-toi » adressé à tout le Moyen-Orient
Mais attention, Léon XIV n’est pas venu seulement consoler le Liban. Son message dépasse largement les frontières du petit pays cedré. Quand il dit « Liban, relève-toi », il parle à toute la région. À Gaza, à la Syrie, au Yémen, à l’Irak… Partout où les gens se demandent si demain sera pire qu’hier.
- Relève-toi après l’explosion
- Relève-toi après la crise économique
- Relève-toi après les divisions communautaires
- Relève-toi après les guerres par procuration
Quatre « relève-toi » qui sonnent comme un programme politique autant que spirituel.
Pourquoi ce pape change la donne au Moyen-Orient
Depuis son élection, Léon XIV cultive une approche radicalement différente de ses prédécesseurs. Là où certains parlaient de « protéger les chrétiens d’Orient », lui parle d’humanité commune. Il refuse le vocabulaire de la forteresse assiégée. Il préfère celui de la rencontre.
Résultat ? Des leaders musulmans qui, il y a cinq ans, auraient snobé une visite papale, se battent aujourd’hui pour être reçus. Parce qu’ils savent qu’il ne vient pas convertir, il vient construire des ponts.
« La paix ne se fera pas entre religions, mais entre croyants qui refusent que leur foi serve de prétexte à la haine. »
– Extrait de l’homélie prononcée sur le port
Franchement, dans le contexte actuel, entendre ça sur les ruines du port de Beyrouth, ça donne des frissons.
Et maintenant ? L’espoir peut-il vraiment renaître ?
On sort de là avec une question lancinante : est-ce que cette journée va changer quelque chose concrètement ? Les silos ne vont pas se reconstruire tout seuls. La corruption non plus. L’inflation à trois chiffres non plus.
Mais parfois, il faut un déclic. Un moment où tout un peuple se regarde dans le miroir et se dit : « On touche le fond, maintenant on remonte. » Léon XIV a peut-être allumé cette étincelle.
J’ai croisé un vieux monsieur, ancien commerçant du quartier Gemmayzé détruit en 2020. Il m’a dit : « Depuis cinq ans, je n’avais plus pleuré. Aujourd’hui, j’ai pleuré deux fois. Une fois de tristesse en arrivant. Une fois d’espoir en repartant. » Si même les cœurs les plus durs recommencent à battre, c’est que quelque chose bouge.
En quittant Beyrouth, Léon XIV a embrassé un à un les enfants qui lui tendaient des dessins. Sur l’un d’eux, on voyait les silos explosés avec, au-dessus, un immense cœur et l’inscription « Merci d’être venu nous relever ».
Ce dessin, il l’a gardé. Il paraît qu’il l’a accroché dans ses appartements au Vatican.
Preuve que, parfois, les gestes les plus simples sont les plus puissants.
Et nous, on continue à espérer que ce « Liban, relève-toi » ne restera pas un slogan. Mais devienne, enfin, une réalité.
