Vous arrivez place des États-Unis un matin d’hiver, le froid pique un peu, et là, quelque chose cloche. Les platanes centenaires qui bordent cette place cossue du 16e arrondissement portent tous la même blessure. Une bande d’écorce arrachée nette, à hauteur de poitrine, comme si quelqu’un avait passé la nuit à les « déshabiller » un par un. Franchement, ça fait un choc.
Ce n’est pas un accident, ni l’œuvre d’un animal. C’est propre, méthodique, presque chirurgical. Et ça concerne 79 arbres entre la place des États-Unis et l’avenue d’Iéna. Quand on sait qu’un arbre adulte en pleine ville représente parfois plusieurs dizaines de milliers d’euros, on comprend vite pourquoi le préjudice frôle les 400 000 euros. Autant dire que quelqu’un a vraiment voulu faire mal.
Un vandalisme qui laisse tout le monde sans voix
Je marche souvent dans ce quartier. C’est calme, résidentiel, presque hors du temps. Voir ces troncs abîmés, c’est comme découvrir des cicatrices sur le visage d’un proche. On se sent presque personnellement touché.
Et pourtant, personne n’a rien vu. Ni les habitants des immeubles haussmanniens, ni les employés des ambassades toutes proches, ni même les joggeurs du matin. L’acte a été commis fin novembre, probablement sur plusieurs nuits, avec une discrétion effrayante.
Comment on tue un arbre sans l’abattre
Pour ceux qui ne sont pas familiers de la biologie végétale (j’avoue que je me suis replongé dans mes cours de SVT), retirer l’écorce sur tout le tour du tronc, c’est ce qu’on appelle l’annélation. On sectionne le cambium, cette fine couche vivante juste sous l’écorce qui transporte la sève élaborée des feuilles vers les racines.
Résultat ? L’arbre meurt lentement, de faim. Il peut tenir encore quelques années en apparence, mais il est condamné. Et dans un quartier où chaque sujet a été planté il y a parfois plus d’un siècle, c’est une perte irréparable.
- Les coups sont portés à environ 60 cm du sol, hauteur idéale pour frapper fort sans se baisser trop.
- Les marques suggèrent un outil contondant – marteau, hachette, peut-être une barre à mine.
- L’écorce est littéralement déchirée sur 30 à 50 cm de haut, parfois sur toute la circonférence.
Un agent des espaces verts qui a requis l’anonymat m’a confié que c’était « la première fois qu’il voyait une dégradation aussi systématique et aussi proprement exécutée ».
400 000 euros, pas une exagération
On a parfois tendance à lever les yeux au ciel quand on entend des chiffres pareils. Mais quand on détaille :
- Abattage et dessouchage d’un arbre mature : entre 3 000 et 8 000 € par sujet
- Achat d’un nouvel arbre de belle taille (pas un jeune pousse) : 1 500 à 5 000 €
- Transport, plantation, tuteurage, suivi les premières années : encore plusieurs milliers d’euros
- Sans parler de la valeur patrimoniale et écologique impossible à chiffrer
Faites le calcul sur 79 arbres… on arrive très vite à une addition qui donne le vertige.
« Remplacer ces arbres, ce n’est pas juste planter un nouveau sujet. C’est attendre cent ans pour retrouver la même majesté. »
Un arboriste parisien expérimenté
L’enquête piétine, les caméras restent muettes
La mairie du 16e a porté plainte dès le 22 novembre. Une enquête est ouverte pour dégradations volontaires de biens publics. Mais pour l’instant, les bandes de vidéosurveillance n’ont rien donné d’exploitable.
Soit l’auteur a parfaitement repéré les angles morts (ce qui suppose une préparation sérieuse), soit il a agi à des horaires où les caméras sont moins scrutées, soit… il connaissait les failles du système. Dans un quartier aussi surveillé, ça fait froid dans le dos.
Le maire de l’arrondissement espère que le maillage très dense de caméras finira par parler. En attendant, les habitants oscillent entre colère et inquiétude.
Qui pourrait en vouloir aux arbres ?
C’est la grande question. Et plus on creuse, plus les hypothèses se multiplient.
- Un riverain excédé par les racines qui soulèvent son trottoir ? Peu probable sur 79 arbres.
- Un acte écologique radical (style « libérer l’espace pour d’autres essences ») ? Ça ressemblerait plutôt à l’inverse.
- Une vengeance personnelle contre la mairie ou un promoteur ? Rien ne l’indique pour l’instant.
- Un défi TikTok débile ou un « challenge » nocturne ? On a vu pire, hélas.
- Ou tout simplement un individu souffrant de troubles psychiatriques qui trouve dans ces arbres une cible idéale ?
Aucun mobile clair, aucun tag, aucun message. Juste la volonté de faire mal à quelque chose de vivant et de beau. C’est peut-être ça le plus glaçant.
Les précédents existent… mais jamais à cette échelle
On se souvient de ces arbres sciés au tronçonneuse dans le 7e il y a quelques années, ou des injections de produits toxiques dans les troncs à Lyon. Mais là, on passe à un niveau industriel. 79 arbres, c’est une opération qui demande du temps, de l’énergie, et une sacrée dose de détermination.
Certains spécialistes parlent même d’une forme de terrorisme végétal. Le terme est fort, mais il traduit bien le sentiment d’impuissance face à une attaque ciblée contre le vivant.
Et maintenant ?
Les services des espaces verts tentent de sauver ce qui peut encore l’être. On applique du mastic cicatrisant, on protège les plaies avec des bâches, on surveille l’apparition de champignons. Mais pour beaucoup d’arbres, le verdict est déjà tombé.
Dans les prochaines années, il faudra abattre et remplacer. La place des États-Unis perdra une partie de son âme le temps que les nouveaux sujets grandissent. Et ça, aucune caméra de surveillance ne pourra le filmer.
Je repense souvent à cette phrase d’un vieux jardinier que j’avais croisé aux Tuileries : « Un arbre, c’est la seule chose qu’on plante en sachant qu’on n’en profitera jamais pleinement. » Quelqu’un, quelque part, a décidé de priver plusieurs générations de Parisiens de cet héritage.
Si vous avez des informations, même anodines – un comportement suspect, une silhouette qui revenait souvent la nuit – contactez les autorités. Parce qu’au-delà de l’argent, c’est un peu de notre ville qui a été abîmée.
Et quelque part, ça fait mal.
(Article mis à jour le 3 décembre 2025 – l’enquête est toujours en cours)
