Imaginez-vous en plein mois d’août, 42 °C à l’ombre, le bitume qui fond sous les semelles. Et puis, d’un coup, vous traversez une petite poche de fraîcheur où la température chute brutalement de quatre degrés. C’est exactement l’effet que la mairie de Paris promet avec ses « forêts urbaines ». Ce vendredi 5 décembre 2025, la quatrième et dernière de la mandature Hidalgo a commencé à pousser place du Colonel-Fabien, entre le 10e et le 19e. Et franchement, le timing est… intéressant, à quatre mois des municipales.
Quand Paris veut se transformer en jungle de béton armé… mais vert
Ce matin-là, il faisait un froid de canard. Pourtant, une petite foule s’était massée autour d’un trou fraîchement creusé. Costume impeccable, écharpe rouge, Anne Hidalgo a pris la pelle, quelques pelletées symboliques, un sourire éclatant devant les photographes. Les 79 arbres qui rejoignent les 41 platanes déjà présents ne sont pas des bébés : certains ont trente ans et pèsent plusieurs tonnes. Des chênes de Bourgogne, des ormes résistants au graphiose, des amélanchiers qui donneront des petites baies comestibles… Tout un écosystème miniature qui doit, en théorie, recréer l’ambiance d’une vraie forêt.
Le concept n’est pas né à Paris. Il vient surtout de Tokyo et de ses micro-forêts Miyawaki, ces parcelles ultra-denses censées grandir dix fois plus vite qu’une plantation classique. La maire le répète à l’envi : « Nous avons été visionnaires ». Visionnaires, vraiment ? Disons qu’on a surtout été les premiers en Europe à baptiser « forêt » ce qui ressemble davantage à un gros bosquet très cher.
6,7 millions d’euros pour 79 arbres : le calcul qui fait grincer
Faisons le calcul rapidement : 6,7 millions d’euros divisés par 79 arbres, ça fait environ 85 000 € par arbre. Oui, vous avez bien lu. Évidemment, le coût inclut la semi-piétonnisation de la place, la réfection des voiries, les cheminements cyclables, le nouveau mobilier urbain… Mais quand même. À ce prix-là, on pourrait presque offrir un appartement à chaque arbre dans le quartier.
« Dans une ville aussi minérale que Paris, il fallait des grands sujets immédiatement opérationnels pour créer tout de suite de l’ombre et de la fraîcheur »
Christophe Rosa, directeur des espaces verts de la Ville de Paris
L’argument se défend. Planter des arbrisseaux de un mètre et attendre trente ans que l’effet fraîcheur arrive, très peu pour la municipalité sortante. On veut du résultat tout de suite, surtout quand le mandat touche à sa fin.
Les précédentes « forêts » : un bilan en demi-teinte
Retour en arrière. Printemps 2024 : la première forêt urbaine voit le jour place de Catalogne (14e) avec 478 arbres. L’effet visuel est indéniable, les photos font le tour des réseaux. Puis vient le parvis de l’Hôtel de Ville (150 arbres), le bois de Charonne le long de la Petite Ceinture (2 000 sujets), et maintenant Colonel-Fabien.
Mais derrière les belles images, certains spécialistes froncent les sourcils. Plus un arbre est âgé quand on le transplante, plus il a de mal à reprendre. Les racines ont été massacrées en pépinière pour le préparer au déplacement, il arrive stressé, parfois blessé. Et dans un sol parisien souvent compacté, pollué, avec peu de volume de terre exploitable… ce n’est pas gagné.
- Place de Catalogne : quelques pertes signalées dès le premier été
- Hôtel de Ville : des sujets qui peinent à démarrer malgré l’arrosage intensif
- Bois de Charonne : trop récent pour juger
La mairie assure que « les pertes sont minimes, voire nulles ». On demande à voir dans cinq ans.
L’appellation « forêt urbaine » : marketing ou mensonge ?
C’est peut-être le point qui agace le plus les écologues. Une forêt, ce n’est pas juste beaucoup d’arbres plantés côte à côte. C’est un écosystème complexe avec des strates (herbacées, arbustives, canopée), une vraie vie du sol, des champignons mycorhiziens, des interactions sur des décennies. Ce que Paris installe, ce sont plutôt des parcs linéaires denses ou des bosquets rafraîchissants. Efficaces, oui. Des forêts ? Clairement pas.
J’ai discuté avec un ingénieur paysagiste qui préfère rester anonyme : « On vend du rêve avec un mot magique. Les Parisiens adorent l’idée de forêt, ça fait sauvage, libre, propre. Mais on est très loin d’une dynamique forestière naturelle. » Il n’a pas complètement tort.
Et les Parisiens, ils en pensent quoi ?
Sur place, les avis sont partagés. Les riverains du quartier Colonel-Fabien que j’ai croisés étaient plutôt contents : moins de voitures, plus de vert, des bancs neufs. Une dame d’un certain âge me glisse : « Avant c’était un rond-point infernal, là on va pouvoir traverser sans risquer sa vie. »
Mais sur les réseaux et dans les conseils de quartier, ça chauffe. On parle de « verdure de luxe », de « greenwashing à la française ». Certains habitants du 19e aimeraient surtout que l’argent serve à entretenir les squares existants plutôt qu’à créer des vitrines politiques.
Un héritage pour le prochain maire
Le chantier doit être terminé au printemps 2026. Pile après les élections municipales. Anne Hidalgo, qui ne se représente pas, laissera donc probablement à son successeur le plaisir de couper le ruban. Pratique. Si tout va bien, le prochain maire récoltera les lauriers (et les photos avec les arbres en fleurs). Si ça tourne mal – arbres morts, budget explosé, place toujours en travaux – il héritera aussi de la patate chaude.
Entre nous, c’est un grand classique de la politique parisienne : lancer les gros chantiers en fin de mandat pour marquer le paysage. On se souvient des pistes cyclables Covid, des terrasses éphémères devenues permanentes… La forêt urbaine entre dans la même logique.
Alors, visionnaire ou coup de com’ ?
Soyons honnêtes : l’idée d’apporter de la fraîcheur et de la nature en pleine ville est excellente. Paris est l’une des capitales européennes les plus minérales et les plus chaudes en été. Chaque arbre compte. Mais le faire à ce prix, avec cette communication triomphante et ce nom un peu usurpé de « forêt », ça laisse un goût bizarre.
Personnellement, je trouve que Paris a raison de végétaliser à marche forcée. Mais j’aurais préféré qu’on commence par planter massivement dans les cours d’école, le long des boulevards périphériques, dans les quartiers populaires où l’accès au vert est le plus faible. Plutôt que de concentrer des budgets énormes sur quatre places emblématiques.
Parce qu’au final, la vraie question n’est pas de savoir si Colonel-Fabien deviendra une oasis. C’est de savoir si, dans dix ans, les Parisiens se diront : « Merci Anne Hidalgo, on respire mieux » ou « Encore un projet pharaonique qui aurait pu être fait autrement. »
Le temps, et surtout le prochain été caniculaire, nous le diront.
