Imaginez la scène : vous êtes sur le bord d’un secteur pavé, il pleut des cordes, la boue gicle partout et vous venez de voir les hommes se battre comme des gladiateurs modernes. Vous pensez que c’est fini pour la journée ? Eh bien non. Quelques minutes plus tard, elles arrivent. Et croyez-moi, l’ambiance change complètement.
C’est exactement ce qui va se passer à partir de 2026 sur Paris-Roubaix. Pour la première fois depuis la création de l’épreuve féminine en 2021, les deux courses phares auront lieu le même jour, le dimanche. Un vrai bouleversement. Et franchement, quand j’ai appris ça, je me suis dit : « enfin »… mais aussi « attends, est-ce que c’est vraiment une avancée ? »
Un Changement Historique pour l’Enfer du Nord
Depuis 2021, les femmes ouvraient le week-end des pavés le samedi matin. Une belle mise en lumière, un créneau rien que pour elles, avec des retransmissions complètes et une atmosphère presque intime sur les secteurs. Le dimanche, c’était le tour des hommes, avec la folie habituelle : des millions de spectateurs, des hélicos partout, des bars bondés dès 9 heures du matin.
Maintenant, tout cela va fusionner en une seule journée marathon. Quatre courses au total : les juniors, les espoirs, les hommes pros, puis les femmes pros en clôture. Oui, vous avez bien lu : les femmes arriveront après les hommes sur le vélodrome de Roubaix. C’est un renversement complet de perspective.
Les Raisons Officielles : Sécurité et Budget
Quand on creuse un peu, les explications sont assez terre-à-terre. Et honnêtement, ça se tient.
- Le dispositif de sécurité (gendarmerie, signalisation, fermetures de routes) ne sera déployé qu’une seule fois au lieu de deux jours consécutifs. Dans une période où les forces de l’ordre sont sous tension, c’est un argument de poids.
- Le coût global diminue. Moins de jours de mobilisation, c’est moins de dépenses pour tout le monde : organisateurs, collectivités, partenaires.
- Les horaires seront avancés de 30 à 45 minutes pour permettre aux deux courses élites de bien passer dans la journée.
On va être clair : ce n’est pas glamour. Mais dans le cyclisme professionnel actuel, où chaque euro compte, ces arguments pèsent lourd. J’ai discuté avec des personnes proches de l’organisation et elles confirment toutes la même chose : ce n’était plus tenable à long terme de maintenir deux jours complets de fermeture dans le Nord.
Visibilité : le Grand Pari
Et là, on touche au point le plus intéressant. Parce que si on enlève l’aspect purement logistique, le vrai enjeu, c’est la visibilité du cyclisme féminin.
« Les gens vont regarder les hommes, puis ensuite la course des femmes. Exactement comme sur certaines autres grandes classiques. »
– Un responsable de l’organisation
Traduction : on espère que le public, déjà chauffé à blanc par l’arrivée des hommes, restera scotché devant son écran (ou sur le bord de la route) pour voir les femmes. L’an dernier, l’édition féminine avait déjà attiré plus d’1,1 million de téléspectateurs en moyenne, avec un pic à près de 2 millions lors de la victoire éclatante d’une championne française. Ce n’est pas rien.
Moi je trouve ça à double tranchant. D’un côté, oui, il y aura probablement plus de monde connecté en fin d’après-midi. De l’autre… est-ce qu’on ne risque pas de voir les femmes reléguées au statut de « dessert » après le plat de résistance masculin ? J’ai un peu peur que certains zappent purement et simplement une fois que van der Poel ou Pogacar aura levé les bras.
Ce Que Ça Change Concrètement pour les Coureuses
Sur le terrain, ça va être sportif. Très sportif même.
Les secteurs pavés vont être labourés deux fois plus dans la même journée. Les juniors et espoirs passent déjà avant, puis les hommes, et enfin les femmes. Autant vous dire que les derniers kilomètres risquent de ressembler à un champ de bataille encore plus chaotique qu’avant. Les trous seront plus gros, les pierres plus disjointes, la boue plus profonde.
Et pourtant, quand j’ai posé la question à plusieurs coureuses ces dernières semaines, aucune ne s’en plaint vraiment. Au contraire. Beaucoup y voient une légitimité supplémentaire : « On va courir dans les mêmes conditions extrêmes que les hommes, le même jour, sur les mêmes pavés défoncés. Ça va renforcer la crédibilité de notre épreuve. »
Il y a quelque chose de puissant là-dedans. C’est un peu comme si on passait du statut de « belle initiative » à celui de véritable monument du cyclisme. Et ça, ça fait plaisir à voir.
Et le Public dans Tout Ça ?
Sur le bord des routes, ça va être une tout autre ambiance. Déjà que le samedi était plus familial, plus détendu… Le dimanche, c’est la grande messe populaire. Des dizaines de milliers de personnes, des fanfares, des barbecues, des bières qui coulent à flots dès le matin.
Les femmes vont plonger dans cette folie. Et je pense sincèrement que ça peut créer des moments magiques. Imaginez la Trouée d’Arenberg en fin d’après-midi, avec encore plus de monde qu’avant, qui hurle pour encourager les filles alors qu’elles sont seules en tête dans la boue. Ça peut devenir légendaire.
Après, il y a le risque inverse : que certains secteurs se vident après le passage des hommes. Surtout les plus éloignés de Roubaix. On verra bien. Mais une chose est sûre : ceux qui resteront auront droit à un spectacle incroyable.
Un Modèle Qui Fait École
Ce qui se passe à Paris-Roubaix ne sort pas de nulle part. Regardez le Tour de France Femmes : depuis deux ans, la dernière étape arrive le même jour que les hommes à Paris (même si pas au même endroit). Regardez aussi certaines classiques belges qui commencent à regrouper les deux courses le même week-end.
On est clairement dans une phase d’harmonisation du calendrier. L’objectif ? Faire du cyclisme féminin un produit aussi bankable que le masculin. Et pour ça, il faut du spectacle, des audiences, des sponsors. Quitte à sacrifier un peu l’identité propre de certaines épreuves.
Est-ce que c’est le prix à payer pour une vraie égalité ? Je ne suis pas sûr d’avoir la réponse. Mais ce qui est certain, c’est que le cyclisme féminin n’a jamais été aussi excitant à suivre qu’aujourd’hui.
Ce Que Je Retient Personnellement
Après avoir couvert plusieurs éditions de Paris-Roubaix (hommes et femmes), je peux vous dire une chose : les courses féminines ont une intensité différente. Plus nerveuses, plus imprévisibles, souvent plus tactiques. Mettre tout ça juste après les hommes, ça risque de créer des comparaisons inévitables.
Mais vous savez quoi ? Tant mieux. Que le public compare. Qu’il se rende compte que les filles souffrent autant, attaquent autant, tombent autant (parfois plus). Qu’il voie que le vélo, c’est universel.
En 2026, le dimanche 12 avril va marquer un tournant. Peut-être pas parfait. Peut-être perfectible. Mais définitivement historique.
Et quelque part, sur ces pavés trempés du Nord, une page se tourne. Une page où le cyclisme féminin cesse d’être une « version allégée » pour devenir simplement… du grand cyclisme.
Rendez-vous dans les fossés. Ça va secouer.
