Imaginez une soirée censée célébrer la générosité, avec smoking et robes de soirée, dans un théâtre mythique du 9e arrondissement. Et puis, d’un coup, le ciel qui s’embrase de mortiers d’artifice, des cris, des odeurs de poudre et de plastique brûlé. C’est exactement ce qui s’est passé jeudi soir à Paris, et franchement, ça laisse un goût bizarre.
Une soirée caritative qui fait polémique depuis des années
La « Nuit du bien commun » existe depuis 2017. L’idée de départ est simple : réunir des donateurs fortunés pour lever des fonds au profit d’associations. Jusque-là, rien de choquant. Sauf que l’organisateur principal n’est autre que Pierre-Édouard Stérin, fondateur de Smartbox et figure régulièrement qualifiée d’ultraconservatrice dans les milieux militants de gauche.
Pour certains, c’est un philanthrope discret qui donne des millions. Pour d’autres, c’est le financier d’un réseau de think-tanks et d’associations très à droite de l’échiquier, parfois même étiquetées extrême droite. Résultat : chaque édition de ce gala devient un aimant à contestation.
« On ne peut pas laisser un milliardaire imposer sa vision rétrograde de la société tout en se drapant dans la vertu caritative. »
– Un militant présent sur place, anonyme
Ce qui s’est passé minute par minute
19 h 30. Les invités commencent à arriver aux Folies Bergère. Costumes sur mesure, voitures avec chauffeur. Devant, un rassemblement déclaré réunit déjà quelques centaines de personnes : syndicats, collectifs féministes, antifas, associations LGBT+. L’ambiance est tendue mais maîtrisée.
Vers 21 heures, première alerte. Des individus à l’intérieur balconnent des boules nauséabondes à l’intérieur de la salle. Odeur insoutenable, invités qui toussent, panique légère. Trois personnes sont immédiatement remises aux forces de l’ordre par le service de sécurité privé.
Puis ça monte d’un cran. Depuis le toit du théâtre, des tirs de mortiers d’artifice visent directement les policiers postés en contrebas. Trois fonctionnaires sont légèrement blessés – rien de grave, mais assez pour que la préfecture communique rapidement.
Peu après, une quarantaine de personnes habillées en noir et masquées tentent de bloquer la rue avec des barrières de chantier. Poubelles en feu, pavés arrachés. Les CRS interviennent, charges, gaz lacrymogène. Le calme ne revient qu’autour de 23 h 30.
- 3 policiers légèrement blessés
- 7 interpellations (dégradations, rébellion, préparation de délits)
- Enquête ouverte par le commissariat du 9e arrondissement
- Aucun blessé grave parmi les invités ou les manifestants déclarés
Pourquoi tant de haine autour d’un gala caritatif ?
La réponse est à chercher dans le parcours de l’organisateur. Pierre-Édouard Stérin finance notamment le Fonds du Bien Commun, structure qui soutient des projets éducatifs, familiaux ou culturels souvent perçus comme très conservateurs. Certains y voient une tentative d’influencer discrètement la société française dans un sens traditionaliste, voire identitaire.
Et puis il y a les « lauréats » des années précédentes. Des associations parfois liées à la Manif pour tous, des médias classés à droite dure, ou même des clubs sportifs qui, ensuite, prennent leurs distances en découvrant le pedigree du donateur. L’affaire du Stade rochelais l’an dernier avait fait grand bruit.
Du coup, pour une partie de la gauche radicale, assister à cette soirée ou simplement la laisser se dérouler tranquillement, c’est accepter que l’argent d’un milliardaire « réactionnaire » irrigue des causes qu’ils combattent.
« On ne manifeste pas contre la charité, on manifeste contre l’instrumentalisation de la charité. »
La réponse des organisateurs : « Nous sommes apolitiques »
De leur côté, les responsables de la Nuit du bien commun répètent chaque année la même ligne : l’événement est strictement caritatif et n’a aucune couleur politique. Ils mettent en avant les millions d’euros récoltés et distribués à des dizaines d’associations, souvent petites et peu médiatisées.
Mais le fossé est tel que le dialogue semble impossible. D’un côté des ultra-riches qui font le bien à leur manière. De l’autre, des militants convaincus que cet argent sert avant tout une idéologie.
Et maintenant ?
L’enquête ouverte va tenter d’identifier les auteurs des tirs de mortier et des dégradations. Les sept personnes interpellées risquent des peines lourdes, surtout si les qualifications de « violences en réunion sur personnes dépositaires de l’autorité publique » sont retenues.
Côté organisateurs, on réfléchit déjà à renforcer la sécurité des prochaines éditions, voire à changer de lieu. Certains murmurent même que l’événement pourrait quitter Paris à l’avenir, tant la capitale semble devenue hostile.
Une chose est sûre : ce genre de soirée ne laissera jamais personne indifférent. Elle cristallise parfaitement les fractures françaises actuelles : argent, valeurs, visibilité médiatique, usage de la rue comme espace politique. Et quelque part, c’est triste, parce qu’on parle quand même de dons destinés à des gamins malades, des familles en difficulté ou des projets éducatifs.
Mais dans le climat d’aujourd’hui, même la générosité semble devenue un champ de bataille.
Personnellement, j’ai du mal à trancher. D’un côté, on ne peut pas laisser des individus tirer des mortiers sur des policiers, peu importe la cause défendue. De l’autre, on comprend la colère quand on voit certains profils invités ou récompensés. Peut-être que le vrai problème, c’est qu’on n’arrive plus à débattre sans en venir à la violence. Et ça, c’est valable des deux côtés de la barricade.
Paris, décembre 2025. Une ville magnifique, parfois épuisante.
