Vous arrivez sur l’autoroute, il fait nuit, la circulation est fluide, et d’un coup, ce que vous voyez dans le rétroviseur vous glace le sang. Une voiture de police qui fonce, qui se décale brutalement, et qui percute un motard comme si elle voulait le dégager de la route. Pas un accrochage. Un choc franc, violent, à plus de 130 km/h. La scène a eu lieu mi-octtobre sur l’A4 et, depuis, elle hante les réseaux.
Moi, la première fois que j’ai vu la vidéo, j’ai dû la repasser trois fois pour être sûr de ce que je venais de voir. Et pourtant, elle est limpide. Filmée par la caméra d’une voiture qui suivait, elle ne laisse aucune place au doute… ou presque. Car devant le tribunal correctionnel de Créteil, ce lundi 1er décembre 2025, les deux fonctionnaires ont continué à nier l’évidence.
Un procès sous très haute tension
Dès l’ouverture de l’audience, l’atmosphère est lourde. Les deux policiers, la trentaine, sont là, en civil. L’un semble à deux doigts de défaillir, l’autre parle d’une voix qui tremble. On leur propose même un siège en cours d’audience, tant la pression est palpable. Et on les comprend : ils risquent gros.
Ils sont poursuivis pour violences volontaires aggravées par personne dépositaire de l’autorité publique, en réunion, avec arme par destination (le véhicule de service). En clair : avoir utilisé leur voiture comme une arme. Le parquet n’y va pas avec le dos de la cuiller et requiert de la prison avec sursis et une interdiction temporaire de porter une arme et d’exercer.
Que s’est-il réellement passé le 14 octobre ?
Retour en arrière. Il est un peu plus de 22 heures. Hugo, 28 ans, roule sur l’A4 direction Paris, sur sa grosse cylindrée. Il est en compagnie d’un autre motard. Les deux hommes reconnaissent avoir roulé vite, très vite même, entre 160 et 180 km/h selon leurs propres aveux. Mais rien qui justifie, selon eux, ce qui va suivre.
Une voiture de police banalisée les prend en chasse. Gyrophares allumés, deux tons hurlants. Les motards ralentissent, se rabattent sur la voie de droite, lèvent même la main pour signifier qu’ils ont compris. Mais au lieu de les dépasser pour les contrôler plus loin, le véhicule de police reste collé derrière, puis se décale brusquement sur la gauche… et revient percuter la moto d’Hugo de plein fouet.
Le choc est terrible. Hugo est projeté au sol, sa moto glisse sur des dizaines de mètres. Il s’en sort avec de multiples fractures, un traumatisme crânien et des séquelles qui le suivront longtemps. Sans la vidéo tournée par un automobiliste qui suivait, l’affaire aurait probablement été classée comme un simple accident de la route.
« Sans cette vidéo, on nous aurait dit que c’était une erreur de conduite, un motard qui a freiné trop fort. Point final. »
– L’avocat de la victime, à la sortie de l’audience
La version des policiers : « une simple erreur de trajectoire »
À la barre, les deux agents campent sur leur position : il n’y a jamais eu d’intention de percuter. Le conducteur explique qu’il voulait dépasser les motos par la gauche pour les obliger à s’arrêter plus loin, mais que le motard aurait « serré » à gauche au dernier moment. Résultat : un contact inévitable.
Problème : la vidéo montre autre chose. On voit très clairement la voiture de police qui se décale franchement à gauche, puis qui revient violemment à droite pour couper la route de la moto. Pas l’ombre d’une hésitation, pas de freinage brusque du motard. Juste un geste net, presque chirurgical.
Quand le président du tribunal projette la vidéo, lentement, image par image, le silence dans la salle est total. On entend presque les respirations. Et pourtant, les policiers persistent : « J’ai mal négocié mon dépassement », « J’ai paniqué », « Je n’ai jamais voulu le toucher ».
Une défense qui peine à convaincre
Franchement, à écouter les explications, on a parfois l’impression d’assister à deux réalités parallèles. D’un côté la vidéo, froide, implacable. De l’autre, des fonctionnaires qui s’enfoncent dans un récit qui ne colle pas avec les images.
- Ils disent que le motard roulait en full gauche → la vidéo montre qu’il était bien sur la voie du milieu.
- Ils affirment avoir tenté un dépassement → on voit la voiture rester derrière pendant de longues secondes avant le choc.
- Ils parlent d’un « mouvement brusque » du motard → aucun mouvement visible à l’écran.
Le procureur, lui, n’y va pas par quatre chemins : « Ce n’est pas une erreur, c’est un acte volontaire. Vous avez utilisé votre véhicule comme une arme pour punir quelqu’un qui vous avait manqué de respect plus tôt. » Car oui, il y a un contexte : quelques minutes avant, les motards auraient doublé la voiture de police en faisant rugir leur moteur et en levant le majeur. Un geste provocateur, certes. Mais qui ne justifie en rien une réponse aussi disproportionnée.
Les réquisitions : du sursis et une sanction professionnelle
À l’issue des débats, le parquet tape fort. Il demande :
- 8 mois de prison avec sursis pour le conducteur
- 6 mois avec sursis pour son collègue
- Une interdiction de porter une arme pendant 3 ans
- Une interdiction d’exercer des missions sur la voie publique pendant 2 ans
Des peines lourdes, mais qui restent dans le cadre correctionnel. L’avocate de la défense, elle, plaide la relaxe ou, à défaut, une simple contravention pour maladresse. Elle insiste sur le stress, la fatigue, la dangerosité des motards qui roulent trop vite. Des arguments qui font grincer des dents dans la salle.
Un débat qui dépasse largement l’affaire
Ce qui rend ce procès passionnant, et en même temps glaçant, c’est qu’il touche à des sujets bien plus larges. La question de l’usage de la force par la police sur la voie publique. La frontière entre contrôle routier et sanction immédiate. Le sentiment d’impunité que certains reprochent aux forces de l’ordre quand elles commettent des erreurs… ou pire.
Et puis il y a cette vidéo. Une preuve irréfutable qui change tout. Sans elle, l’histoire aurait été enterrée en deux lignes dans un procès-verbal : « perte de contrôle lors d’un dépassement ». Avec elle, c’est une affaire nationale qui met en lumière les dérives possibles quand la colère prend le dessus sur le professionnalisme.
On attend maintenant la décision, qui sera rendue le 26 janvier prochain. D’ici là, une chose est sûre : cette affaire laissera des traces. Chez les motards, bien sûr, qui se sentent plus que jamais ciblés. Mais aussi dans les rangs de la police, où certains commencent à se demander si ce genre de comportement n’est pas en train de discréditer toute une profession.
Parce qu’au fond, ce n’est pas seulement l’histoire d’un motard percuté. C’est l’histoire d’un système qui vacille quand ceux qui sont censés protéger décident, un soir d’octobre, de faire justice eux-mêmes.
Et vous, qu’en pensez-vous ? Une erreur dramatique ou un acte délibéré ? La vidéo parle d’elle-même, mais le tribunal tranchera. En attendant, roulez prudemment… on ne sait jamais qui vous suit.
