Vous êtes-vous déjà réveillé en pleine nuit parce que vos pieds étaient littéralement gelés ? Moi oui, lors d’un hiver particulièrement rude dans un vieil appartement mal isolé. Mais quand on a 85, 90 ou même 99 ans, cette sensation n’est plus une anecdote : elle devient une menace vitale.
Dans une petite commune de l’Ain, à deux pas de la frontière suisse, soixante-dix personnes âgées vivent exactement cela depuis le 14 novembre. Pas un jour, pas une semaine : trois longues semaines sans chauffage central. Et presque sans eau chaude. Trois semaines où le thermomètre oscille entre 14 et 19 degrés dans les appartements. Trois semaines où l’on dort habillé, où l’on mange froid, où l’on renonce parfois à se laver.
Un hiver qui commence comme un cauchemar
Tout a commencé bien avant le vrai froid. La première chaudière a lâché dès octobre. Une pièce majeure, le corps de chauffe, était hors service. On a promis une réparation rapide. Puis la seconde chaudière, celle censée prendre le relais en cas de panne, a elle aussi rendu l’âme. Résultat : plus rien. Zéro chauffage collectif pour tout l’immeuble.
Le bailleur, une société d’économie mixte bien connue dans le département, a réagi… en distribuant deux radiateurs électriques d’appoint par logement. Vous savez, ces petits « grille-pain » qui font grimper la facture d’électricité plus vite que le mercure ne descend. Et pour l’eau chaude ? Un ballon de 500 litres installé en urgence. Autant dire une goutte d’eau pour soixante-dix appartements.
« Le matin, on est congelés ! À peine 19°C dans le salon quand on laisse les radiateurs allumés jour et nuit. Dans la chambre, c’est 14°C. »
– Une locataire de la résidence
L’eau chaude au compte-gouttes, un luxe devenu rare
L’histoire de l’eau chaude est presque comique si elle n’était pas tragique. Il faut se lever tôt, très tôt, pour espérer une douche tiède. Passé 8 heures, c’est fini. Beaucoup ont tout simplement arrêté de se laver correctement. D’autres remplissent des casseroles d’eau à peine chaude pour faire une toilette de chat. À 90 ans.
Et le risque n’est pas seulement hygienique. Transporter des casseroles d’eau brûlante quand on marche difficilement, quand on a des troubles de l’équilibre, c’est jouer à la roulette russe. Une locataire le dit sans détour : « Un jour, quelqu’un va s’ébouillanter. » Et ce jour-là, on parlera d’accident. Alors qu’il s’agira d’une conséquence directe d’une gestion défaillante.
La facture qui fait peur autant que le froid
Parce qu’il y a plus cruel encore que le froid : la note qui arrive à la fin. Ces radiateurs d’appoint tournent non-stop. Certains résidents estiment déjà plusieurs centaines d’euros de surconsommation. Avec des retraites qui tournent autour de 1 200 à 1 500 euros par mois, c’est une catastrophe.
- Ils puisent dans leurs économies
- Ils réduisent déjà le chauffage la nuit pour limiter la casse
- Ils attendent une « régularisation » promise… mais quand ?
Le bailleur assure qu’il y aura compensation. Mais entre la promesse et le virement, il y a parfois un gouffre. Et en attendant, c’est la peur au ventre que l’on ouvre les relevés de compteur.
Une médiation qui tourne court
Lundi dernier, face à la colère qui montait, une « médiatrice » a été dépêchée sur place. Les résidents attendaient des réponses concrètes, des dates, des excuses peut-être. Elle est arrivée sans dossier, sans calendrier précis, sans solution immédiate. L’échange a duré vingt minutes. Ambiance glaciale, dans tous les sens du terme.
« Elle ne connaissait même pas le problème. Aucune date, rien. On s’est sentis pris pour des idiots. »
Le maire monte au créneau
Le maire de la commune, lui, ne mâche pas ses mots. Il parle ouvertement de « maltraitance de personnes âgées ». Il a visité la résidence, vu l’état des lieux, constaté le manque criant d’entretien. Pour lui, le problème n’est pas seulement technique : il est structurel. Une gestion patrimoniale défaillante, des priorités mal placées, un mépris à peine voilé pour des locataires qu’on considère parfois comme une charge plus qu’une priorité.
Et il n’est pas seul à le penser. Dans le département, d’autres résidences gérées par le même organisme commencent à murmurer. Des problèmes récurrents d’ascenseurs, de toitures, de chauffages… Comme si l’entretien courant était relégué au second plan au profit de nouvelles constructions plus rentables.
Des personnes fragiles, pas des numéros de dossier
Ce qui frappe le plus dans cette histoire, c’est la fragilité extrême des personnes concernées. On parle d’un doyen de 99 ans. De personnes qui ne sortent presque plus, qui dépendent du maintien à domicile, qui n’ont parfois plus famille proche pour les héberger temporairement. Pour eux, la résidence n’est pas juste un logement : c’est leur ultime rempart contre la maison de retraite ou l’hôpital.
Et ce rempart craque de partout.
L’hiver n’a même pas vraiment commencé. Les vraies vagues de froid arrivent souvent en janvier-février. Si la situation n’est pas réglée d’ici là, on passera du drame social au drame sanitaire. Hypothermie, infections respiratoires, chutes liées au froid… les médecins savent très bien ce qui arrive aux organismes âgés quand la température corporelle baisse durablement.
Et maintenant ?
Officiellement, on promet une réparation « semaine 50 », c’est-à-dire celle qui vient. On promet aussi le retour de l’eau chaude « dans les prochains jours ». Mais les résidents n’y croient plus vraiment. Les dates ont déjà été repoussées plusieurs fois. Et à chaque annonce, le froid continue de s’installer.
Noël approche. L’idée de passer les fêtes emmitouflés sous trois couvertures, avec un petit radiateur qui ronronne inutilement, est insupportable. Certains parlent déjà de bloquer la résidence, d’alerter la presse nationale, de saisir le défenseur des droits. D’autres, plus fatigués, baissent les bras.
Ce qui est sûr, c’est que cette histoire dépasse largement les frontières de cette petite commune de l’Ain. Elle pose une question brutale : comment traite-t-on nos aînés dans ce pays ? Quand le logement social devient indigne, quand le bailleur se cache derrière des « aléas techniques » et des sous-traitants, quand l’urgence vitale est traitée comme un désagrément administratif… quelque chose ne va plus.
J’ai froid rien que d’y penser. Et vous ?
Parce qu’au fond, ces soixante-dix personnes pourraient être nos parents, nos grands-parents. Ou nous, dans quelques décennies. Et personne ne devrait avoir à se battre pour un droit aussi élémentaire que celui d’avoir chaud chez soi quand on a passé sa vie à travailler et à cotiser.
Cette histoire est en cours. Elle mérite qu’on la suive. Qu’on la relaie. Qu’on exige des comptes. Parce que le silence, lui aussi, peut geler.
