Imaginez un instant : vous êtes éleveur, vous avez investi toute votre vie dans vos cochons, et du jour au lendemain, un pays qui représente une part non négligeable de vos exportations vous ferme la porte au nez. Sans préavis. Sans négociation. C’est exactement ce qui vient d’arriver à toute une filière espagnole.
Le Mexique, gros consommateur de viande porcine, a décidé de suspendre immédiatement et totalement ses importations de porc en provenance d’Espagne. Motif ? Un foyer de peste porcine africaine détecté récemment en Catalogne. Et quand on parle de cette maladie, il n’y a pas de demi-mesure : elle tue quasiment à coup sûr les animaux touchés.
Une maladie qui ne pardonne pas
Commençons par le commencement, parce qu’on entend souvent parler de la peste porcine africaine sans vraiment savoir de quoi il retourne. Ce n’est pas une grippette passagère. C’est un virus ultra-résistant, qui se transmet à une vitesse folle entre porcs domestiques et sangliers, et qui provoque des hémorragies internes massives. Mortalité ? On frôle les 100 % dans les élevages infectés.
Le pire, c’est que l’homme n’a rien à craindre. Vous pouvez manger du chorizo ou du jambon serrano sans aucun risque. Mais pour l’animal, c’est la sentence de mort. Et pour l’éleveur, c’est la ruine assurée : abattage total du cheptel, désinfection complète, parfois des années avant de pouvoir reprendre une activité.
« Un seul cas confirmé, et c’est toute la région qui passe en zone rouge. Les pertes sont colossales, et la confiance met des années à revenir. »
D’après un vétérinaire spécialisé en maladies émergentes
Pourquoi le Mexique a-t-il réagi aussi fort ?
La réponse est simple : la peur. Le Mexique importe environ la moitié de la viande de porc qu’il consomme. Les États-Unis trustent 80 % de ce marché, mais l’Espagne, même avec des volumes bien plus modestes, reste le premier fournisseur européen. Perdre cette source, c’est déjà embêtant. Laisser entrer le virus, ce serait catastrophique.
Et soyons honnêtes : personne n’a envie de revivre le cauchemar chinois de 2018-2019. À l’époque, la peste porcine africaine a décimé près de la moitié du cheptel porcin mondial (oui, vous avez bien lu). Les prix de la viande ont explosé, des élevages entiers ont disparu, et la Chine a dû importer massivement pour nourrir sa population.
Le Mexique, lui, préfère jouer la carte de la prudence absolue. Suspension immédiate des importations commerciales, mais aussi contrôle renforcé des bagages des voyageurs. Même le jambon sous vide rapporté par un touriste peut désormais être saisi à l’aéroport.
L’Espagne, championne européenne… en sursis
L’Espagne, c’est un peu le géant discret de la filière porcine. Premier producteur de l’Union européenne, quatrième mondial. Des entreprises comme celles basées à Guijuelo ou Lleida exportent dans le monde entier. Le Mexique, même s’il n’est pas le client numéro un, représente un marché en croissance, avec une classe moyenne qui consomme de plus en plus de charcuterie de qualité.
Alors cette suspension, elle fait mal. Très mal. On parle de plusieurs dizaines de milliers de tonnes par an qui risquent de rester sur les bras des industriels. Et quand on sait que le porc espagnol se vend souvent avec une prime qualité par rapport à d’autres origines… les marges fondent comme neige au soleil.
- Des emplois menacés dans les abattoirs et les usines de transformation
- Une pression à la baisse sur les prix payés aux éleveurs locaux
- Des stocks qui s’accumulent et qu’il va falloir écouler ailleurs… ou détruire
- Une image de marque qui prend un coup, même si le reste du pays reste indemne
Comment le virus est arrivé en Catalogne ?
La question que tout le monde se pose. L’Espagne continentale était jusqu’à présent épargnée (seule la Sardaigne, en Italie, restait un foyer endémique en Europe occidentale). Alors d’où vient cette contamination ?
Les hypothèses les plus sérieuses pointent vers les sangliers. Ces animaux, qui pullulent dans certaines zones montagneuses, sont d’excellents vecteurs. Un sanglier infecté traverse une frontière, entre en contact avec un élevage mal protégé, et c’est parti. Le virus survit des mois dans l’environnement, dans la viande crue, même congelée.
J’ai discuté récemment avec un éleveur catalan qui m’expliquait que malgré les clôtures électriques et les mesures de biosécurité renforcées, il suffit d’un moment d’inattention. Un ouvrier qui marche dans la boue près d’une zone de chasse, un camion mal désinfecté… et le drame arrive.
Les conséquences en cascade
Ce n’est pas seulement l’Espagne et le Mexique qui sont concernés. Quand un grand pays ferme ses portes, les autres suivent souvent. On l’a vu par le passé avec la Russie, la Chine, le Japon… Une suspension mexicaine peut déclencher un effet domino.
Et pendant ce temps, qui profite de la situation ? Les États-Unis, évidemment. Déjà ultra-dominants sur le marché mexicain, ils vont pouvoir placer encore plus de volumes. Le Canada aussi guette. Quant au Brésil ou au Chili, ils se frottent les mains.
Pour l’Europe, c’est un signal d’alarme. On se vante souvent d’avoir les standards sanitaires les plus élevés du monde, mais la réalité rattrape parfois la communication. Et quand un virus aussi contagieux rôde aux portes du continent, aucune frontière n’est vraiment étanche.
Et maintenant ?
Les autorités espagnoles jouent la transparence : abattage des animaux dans la zone infectée, création d’une zone de restriction, traçage intensif. Elles espèrent démontrer rapidement que le reste du pays reste sûr et obtenir une levée de la suspension.
Mais entre nous, ça risque de prendre du temps. Le Mexique a dit « en attendant des informations zoosanitaires complémentaires ». Traduction : tant qu’on n’aura pas la certitude absolue que plus aucun risque n’existe, la frontière reste fermée.
Ce qui est sûr, c’est que cette crise rappelle une chose essentielle : dans l’agroalimentaire mondialisé, la santé animale, c’est de la géopolitique. Un virus détecté dans un élevage perdu en Catalogne peut faire trembler des usines à des milliers de kilomètres.
Et demain ? Demain, d’autres pays pourraient suivre le Mexique. Ou bien l’Espagne parviendra à circonscrire le foyer et à rassurer ses clients. Une chose est certaine : la filière porcine européenne retient son souffle.
En attendant, si vous avez du jambon ibérique dans votre frigo, savourez-le. Il représente des années de savoir-faire… et peut-être bientôt un peu plus rare sur certaines tables du monde.
