Vous êtes-vous déjà demandé ce qui se passerait si, du jour au lendemain, toute une filière d’élevage se retrouvait au bord du gouffre à cause d’un virus invisible ? C’est exactement ce que vivent en ce moment les éleveurs porcins des Pyrénées-Orientales. Un simple cas détecté dans la grande banlieue de Barcelone a suffi à déclencher une onde de choc jusqu’ici, chez nous.
Je vis à quelques kilomètres de la frontière. Quand j’ai appris la nouvelle, j’avoue avoir senti un petit frisson. Pas de panique irraisonnée, non, mais cette sensation qu’on est parfois très proches de basculer dans une crise qu’on croyait réservée à d’autres régions d’Europe.
Une menace qui ne vient pas de nulle part
La peste porcine africaine (on parle aussi de PPA) n’est pas une nouveauté. Ce virus ultra-résistant frappe l’Europe depuis des années. L’Italie du Nord vit avec depuis 2022, l’Allemagne a connu l’enfer en 2020, et maintenant c’est au tour de la Catalogne de tirer la sonnette d’alarme. Et quand ça touche l’Espagne, forcément, on regarde vers le sud avec une certaine inquiétude.
Le point de départ ? Un sanglier retrouvé mort dans le parc naturel de Collserola, à peine à 150 km de Perpignan à vol d’oiseau. En quelques jours, les autorités catalanes ont réagi avec une vigueur impressionnante : zone confinée, traçage, et surtout abattage de plus de 35 000 porcs dans un rayon de 20 km. Des chiffres qui donnent le tournis.
« La clé, ce sont les mesures de biosécurité. Ceux qui ont joué le jeu sont plutôt tranquilles, les autres… ils ont eu le temps de s’y mettre pourtant. »
Un président de syndicat porcin du département
Le département en première ligne
Dans les Pyrénées-Orientales, on compte une petite cinquantaine d’élevages porcins. Quinze en plein air, une dizaine en bâtiment sur paille, et le reste plutôt familial ou de loisir. Ce n’est pas la Bretagne, mais c’est une filière qui a son importance, surtout dans une région où l’élevage porcin traditionnel (noir de Bigorre, porc gascon) commence à renaître.
Le problème majeur ici ? Le groin à groin. Traduisez : le contact direct entre sangliers (très nombreux dans le massif des Albères et le Vallespir) et les porcs élevés en extérieur. Un seul échange de salive, un museau qui se touche à travers un grillage un peu lâche, et c’est la catastrophe assurée.
Du coup, on voit surgir partout des clôtures électriques doubles, des sas sanitaires à l’entrée des parcs, des bottes désinfectées, des combinaisons jetables. Certains éleveurs que je connais ont même installé des caméras infrarouges pour surveiller les abords la nuit. On n’est plus dans la carte postale catalane, on est en mode forteresse.
Les chasseurs aussi sur le pont
La fédération de chasse du département a envoyé des consignes très claires à ses 15 000 adhérents. Si vous allez chasser en Catalogne (et ils sont nombreux à le faire), nettoyage intégral du matériel, vêtements mis en quarantaine, véhicules passés au jet haute pression. Et pour tous les autres : ouvrez l’œil. Un cadavre de sanglier suspect ? Vous appelez immédiatement.
- Ne jamais ramener de viande ou de charcuterie d’Espagne sans déclaration
- Désinfecter systématiquement après chaque sortie forêt
- Signaler tout animal au comportement anormal ou mort
- Éviter de nourrir les sangliers (même les restes de pique-nique)
Parce que oui, le virus ne vole pas. Il se transmet par contact direct ou via des objets contaminés (chaussures, pneus, chiens de chasse…). Un détail qui paraît anodin peut suffire.
Et si le virus passait la frontière ?
Imaginons le scénario catastrophe. Un sanglier infecté traverse le col du Perthus (ça arrive toutes les nuits), contamine un élevage plein air à Maureillas ou au Boulou. En 48 heures, l’information tombe. La préfecture active le plan d’urgence : abattage total de l’élevage, zone réglementée de 10 km, interdiction de déplacement des porcs dans tout le département pendant des mois. Les marchés locaux ferment, les fêtes de la saucisse annulées, les restaurants catalans retirent le porc du menu… L’impact économique serait colossal.
Et pourtant, il y a un élément rassurant : la réaction espagnole. Plus de mille personnes mobilisées sur zone, des moyens militaires même. Si le foyer est contenu rapidement (et tout laisse à penser que c’est le cas), le risque diminue fortement. Mais on reste sur le qui-vive.
Les leçons d’autres crises
Ce n’est pas la première fois que le département fait face à une menace sanitaire animale. On se souvient encore de la dermatose nodulaire contagieuse sur les bovins il y a quelques années, ou des épisodes d’influenza aviaire. À chaque fois, la même mécanique : vigilance, biosécurité, solidarité entre éleveurs.
Mais la peste porcine, c’est encore autre chose. Pas de vaccin, pas de traitement. Le virus survit des mois dans la charcuterie, dans le sol, dans l’eau. Un cauchemar absolu.
« On a vu ce qui s’est passé en Sardaigne : 50 ans que le virus est là-bas et ils n’arrivent toujours pas à l’éradiquer complètement. »
Un vétérinaire spécialisé
Ce que font concrètement les éleveurs aujourd’hui
Je suis allé voir un ami éleveur à Eus, petit village perché au-dessus de Prades. Son parc de porcs gascons est maintenant entouré d’une double clôture électrique, avec un pédiluve à l’entrée et un panneau « Biosécurité – Accès interdit ». Il m’a montré son nouveau rituel : arrivée au sas, combinaison complète, bottes neuves, passage sous la douche désinfectante, puis seulement on entre voir les animaux. « Avant je rigolais un peu avec ça, m’avoue-t-il. Aujourd’hui je ne rigole plus. »
- Double clôture électrique (minimum 1,20 m + fil au ras du sol contre les sangliers qui creusent)
- Sas sanitaire obligatoire pour toute personne ou véhicule
- Interdiction totale de restes alimentaires (même pain sec)
- Quarantaine des nouveaux animaux pendant 30 jours
- Contrôles vétérinaires renforcés chaque mois
Des investissements lourds pour des petites structures. L’État aide un peu, la région aussi, mais ça reste compliqué. Et pourtant, personne ne discute l’utilité.
Un département déjà marqué par les crises
Il y a cette fatigue palpable chez les agriculteurs du coin. Entre la sécheresse historique de ces dernières années, les épisodes de grêle dévastateurs, la fièvre catarrhale ovine qui a touché les brebis, et maintenant ça… On sent parfois une forme de lassitude. « On passe notre temps à se battre contre des trucs qu’on ne voit même pas », me confiait récemment un éleveur du Conflent.
Mais il y a aussi une vraie résilience. Cette capacité à se serrer les coudes, à innover, à trouver des solutions. Certains envisagent même de passer au porc ibérique en bâtiment fermé, d’autres misent tout sur le bio et les circuits courts pour valoriser encore plus leur production au cas où.
Et nous, consommateurs, on fait quoi ?
On arrête d’acheter de la charcuterie douteuse au marché frontalier du Boulou ? On vérifie l’origine de son jambon ? On soutient les éleveurs locaux en achetant plus cher mais plus sûr ?
Personnellement, je trouve que cette crise nous rappelle une chose essentielle : derrière chaque tranche de saucisson, il y a des femmes et des hommes qui se battent pour continuer à vivre de leur métier. Et parfois, un simple geste d’achat peut faire toute la différence.
Alors oui, la menace est réelle. Mais non, on n’est pas démunis. Entre la réponse espagnole musclée, les mesures prises ici, et cette solidarité agricole qu’on connaît bien dans le département, il y a de l’espoir.
Reste à croiser les doigts pour que le virus reste là où il est. Parce que franchement, on a déjà donné côté crises ces dernières années.
Et vous, vous en pensez quoi ? Vous connaissiez l’ampleur du risque peste porcine avant cet article ? Dites-le moi en commentaire, j’aimerais bien savoir si je suis le seul à avoir découvert tout ça récemment…
