Il y a des nouvelles qui vous tombent dessus comme un rideau de fer en pleine représentation. On pense connaître un artiste, on a applaudi ses spectacles, ri ou pleuré avec lui sur scène, et puis un jour, la lumière crue de la justice vient tout balayer. C’est exactement ce qui se passe en ce moment avec Philippe Caubère.
À 75 ans, le comédien et metteur en scène, célèbre pour ses one-man-shows autobiographiques et son passé au Théâtre du Soleil, fait face à des accusations d’une extrême gravité. Et cette fois, on ne parle plus « seulement » de viols sur mineures (déjà terriblement lourd), mais d’une mise en examen pour proxénétisme aggravé. Le mot est lâché. Et il pèse des tonnes.
Une escalade judiciaire qui laisse sans voix
Reprenons depuis le début, parce que l’affaire est complexe et qu’on a parfois l’impression de lire un scénario qu’aucun dramaturge n’aurait osé écrire.
Tout commence vraiment à prendre forme publique en février 2024. À l’époque, on apprend que Philippe Caubère a été mis en examen pour des faits de viols, agressions sexuelles et corruption de mineurs sur trois jeunes filles alors âgées de moins de 15 ans. Les faits reprochés se seraient déroulés sur plusieurs années. L’information avait déjà provoqué un choc dans le milieu théâtral.
Mais voilà que près de deux ans plus tard, en novembre 2025, une nouvelle procédure s’ouvre. Et pas des moindres.
Proxénétisme : de quoi parle-t-on exactement ?
Le proxénétisme, en droit français, c’est le fait de tirer profit de la prostitution d’autrui, de l’organiser, de la faciliter ou d’y pousser quelqu’un. Quand il est qualifié d’aggravé, c’est encore plus lourd : victime mineure, violence, contrainte, abus d’autorité, bande organisée… Les peines peuvent grimper jusqu’à 20 ans de prison et des millions d’euros d’amende.
Dans le cas présent, la plaignante (qui semble être l’une des victimes déjà présentes dans le premier dossier) affirme que le comédien l’aurait contrainte à avoir des relations sexuelles tarifées avec des centaines d’hommes. Le mot « centaines » donne le vertige. On parle là d’un système qui aurait duré dans le temps, avec une emprise psychologique et une organisation apparente.
Elle décrit une descente aux enfers progressive, où la séduction aurait laissé place à la menace, puis à l’obligation.
Selon les éléments rapportés par la partie civile
Un profil de prédateur ou un énorme malentendu ?
C’est là que tout devient terriblement clivant. D’un côté, ceux qui connaissaient Philippe Caubère parlent d’un homme excentrique, excessif, mais passionné et généreux. De l’autre, les témoignages qui émergent dessinent le portrait d’un homme possessif, manipulateur, capable d’utiliser son aura artistique pour créer une emprise totale sur de très jeunes femmes.
J’ai personnellement vu plusieurs de ses spectacles dans les années 2000. Il avait cette capacité rare à remplir une salle pendant quatre heures avec un simple tabouret et une bouteille d’eau. Charismatique, oui. Mais aujourd’hui, on se demande si ce charisme n’a pas parfois servi de piège.
- Des rencontres qui commencent dans le cadre artistique (stages, ateliers théâtre)
- Une idéalisation rapide de la jeune femme par l’artiste expérimenté
- Une relation qui se transforme en dépendance affective et matérielle
- Puis des demandes de plus en plus intrusives, jusqu’à la prostitution forcée
Ce schéma, hélas, on l’a déjà vu ailleurs. Il rappelle étrangement certaines affaires qui ont secoué le cinéma ou la mode ces dernières années.
Le milieu théâtral sous le choc… ou pas vraiment
Ce qui me frappe, c’est le silence assourdissant d’une partie du monde du spectacle. Quelques voix se sont élevées pour rappeler la présomption d’innocence (ce qui est normal), mais très peu pour apporter un soutien franc aux victimes potentielles.
Est-ce la peur de froisser un « grand nom » ? La crainte que ça éclabousse tout le théâtre ? Ou simplement cette vieille habitude française de séparer l’homme de l’artiste ? Toujours est-il que le contraste est saisissant avec l’après #MeToo dans le cinéma, où les prises de position avaient été plus rapides.
Pourtant, le théâtre n’a jamais été épargné par les affaires de mœurs. Des années 70 aux années 2000, les témoignages de jeunes comédiennes sur les « castings canapé » ou les « répétitions tardives » dans des appartements privés ont toujours circulé. Mais on fermait les yeux. Parce que « c’était l’époque », parce que « c’était pour l’art ».
Aujourd’hui, cette époque est révolue. Et tant mieux.
Quelles suites possibles ?
La justice suit son cours. La mise en examen pour proxénétisme date du 24 novembre 2025. L’enquête est confiée à un juge d’instruction. Cela veut dire que les investigations vont être longues et approfondies : auditions, confrontations, expertises psychologiques, analyse des téléphones et comptes bancaires…
Plusieurs scénarios sont possibles :
- Un renvoi devant une cour d’assises pour l’ensemble des faits (viols + proxénétisme), ce qui serait extrêmement lourd
- Une disjonction des procédures, avec deux procès séparés
- Un éventuel classement sans suite sur certaines qualifications (peu probable vu la gravité)
- Ou, last but not least, une relaxe si les preuves ne sont pas jugées suffisantes
Mais dans tous les cas, l’image de Philippe Caubère est durablement abîmée. Les théâtres qui l’accueillaient encore ses spectacles ces dernières années risquent de se faire discrets. Et le public, lui, a déjà commencé à se détourner.
Et nous, dans tout ça ?
Je crois que cette affaire nous renvoie à une question brutale : jusqu’où est-on prêt à admirer quelqu’un au point d’ignorer les signaux d’alerte ?
On a tous en tête des artistes immenses dont on a fermé les yeux sur les « rumeurs ». Polanski, Woody Allen, et maintenant Caubère… La liste est longue. Et elle fait mal.
Peut-être que le vrai tournant de #MeToo, ce n’est pas seulement de croire les victimes. C’est aussi d’accepter qu’un génie peut être un monstre. Et que l’art ne lave rien.
Au moment où j’écris ces lignes, Philippe Caubère est présumé innocent. C’est la loi, et c’est bien ainsi. Mais les témoignages s’accumulent, les mises en examen aussi. Et quelque chose me dit que cette histoire est loin d’être terminée.
Alors oui, le rideau est tombé sur une certaine idée du théâtre à l’ancienne. Reste à savoir si on saura en écrire un nouveau, plus sain, plus juste. Où les jeunes artistes, surtout les femmes, pourront travailler sans craindre de payer de leur corps le prix de leur passion.
Parce qu’en fin de compte, c’est peut-être ça le vrai drame : non pas qu’un homme de 75 ans soit poursuivi, mais que des jeunes femmes aient pu vivre l’enfer pendant des années avant que quelqu’un ne les écoute vraiment.
