Imaginez un instant. Vous rentrez chez vous après une longue journée, vous embrassez vos trois enfants, vous leur servez un verre de jus de fruits. Ce geste banal, mille fois répété. Et si, ce soir-là, quelqu’un avait décidé que ce simple verre deviendrait une arme ? C’est l’histoire terrifiante qui s’est nouée dans une famille de Levallois-Perret au début de l’année 2024, quelques mois seulement après les massacres du 7 octobre.
Une histoire qui commence comme des milliers d’autres : des parents qui font confiance à la femme qui garde leurs enfants depuis des années. Elle s’appelle « Nounou Nadine » pour les petits. Elle est là presque tous les jours. Et puis un jour, tout bascule.
Une confiance brisée en quelques gouttes
Janvier 2024. Les analyses toxicologiques tombent comme un couperet : des produits dangereux ont été retrouvés dans plusieurs bouteilles – jus de fruits, alcool fort – consommées par toute la famille. Les symptômes ne trompaient pas : malaises à répétition, nausées, vertiges. Les parents pensent d’abord à une contamination accidentelle. Et puis les soupçons se tournent vers la seule personne qui avait un accès total et permanent à la cuisine.
Ce qui rend l’affaire encore plus glaçante, c’est le contexte. La nourrice, 42 ans, n’a jamais affiché ouvertement de discours haineux. Pas de posts incendiaires, pas de remarques cinglantes devant les adultes. Mais les enfants, eux, ont vu des choses. La cadette, notamment, a raconté aux enquêteurs avoir surpris à plusieurs reprises « Nounou Nadine » frapper violemment la mezouza accrochée à la porte d’entrée. Un geste qui, isolé, pourrait passer pour une bizarrerie. Répété, il prend une tout autre signification.
« Elle tapait très fort sur la boîte avec le parchemin, comme si elle voulait la faire tomber »
Récit de la petite fille recueilli par les enquêteurs
Cette mezouza, symbole discret mais fondamental de l’identité juive, devenait visiblement une obsession. Un objet à détruire. Et les bouteilles, un moyen de nuire plus profondément, plus sournoisement.
Un procès sous haute tension à Nanterre
Ce mardi de décembre 2025, la 18e chambre correctionnelle de Nanterre est pleine à craquer. La prévenue, elle, reste de marbre. Droit dans ses bottes, comme on dit. Pendant plus de deux heures, le président Benoist Hurel tente de percer la carapace. En vain. Elle nie tout en bloc. Les produits ? Elle ne sait pas d’où ils viennent. Les malaises de la famille ? Peut-être une intoxication alimentaire banale. Les coups sur la mezouza ? Elle n’a jamais fait ça, les enfants inventent.
Face à elle, le procureur ne mâche pas ses mots. Il parle d’actes à caractère antisémite avéré, d’une haine qui ne dit pas toujours son nom mais qui agit dans l’ombre. Trois ans de prison ferme sont requis. Une peine lourde pour des faits correctionnels, mais qui traduit la gravité symbolique de l’affaire.
Car au-delà des bouteilles trafiquées, c’est tout un climat qui est jugé. Celui d’après le 7 octobre. Cette période où, en France comme ailleurs, les actes antisémites ont explosé. Où certaines familles juives ont commencé à retirer la mezouza de leur porte par peur des représailles. Où la psychose, comme disent certains, s’est installée jusque dans les gestes les plus intimes du quotidien.
Quand la haine s’invite à la table familiale
Ce qui frappe dans cette affaire, c’est son caractère insidieux. On n’est pas face à une agression de rue, spectaculaire et brutale. Non. On est dans l’intimité absolue. Chez soi. Avec la personne à qui l’on confie ce qu’on a de plus précieux : ses enfants.
Je me souviens avoir discuté, il y a quelques mois, avec une maman qui avait retiré la mezouza de son appartement parisien. « On ne sait plus à qui faire confiance », m’avait-elle dit, la voix tremblante. À l’époque, je trouvais ça excessif. Aujourd’hui, cette affaire me fait froid dans le dos. Parce qu’elle montre que la menace peut venir de là où on l’attend le moins.
- Une nounou présente depuis des années
- Un accès total à la nourriture et aux boissons
- Des gestes hostiles répétés envers un symbole religieux
- Des produits toxiques détectés dans les consommables familiaux
- Des enfants témoins malgré eux
Autant d’éléments qui, mis bout à bout, dessinent le portrait d’une haine froide, calculée. Pas de cris, pas d’insultes. Juste des actes. Silencieux. Dangereux.
Le contexte post-7 octobre : une psychose qui n’en finit pas
On ne peut pas comprendre cette affaire sans la replacer dans le chaos émotionnel qui a suivi les événements du 7 octobre 2023. En France, les signalements d’actes antisémites ont été multipliés par quatre en quelques semaines. Étoiles de David taguées sur les immeubles, agressions dans le métro, menaces dans les écoles… Et parfois, donc, dans la sphère la plus privée qui soit.
Des associations communautaires parlent d’un climat « délétère ». D’autres refusent le terme de psychose, estimant qu’il minimise la réalité des menaces. Quoi qu’il en soit, des familles ont changé leurs habitudes. Certaines ont retiré tout signe distinctif religieux de leur domicile. D’autres ont renforcé leur vigilance, jusqu’à l’obsession.
Et puis il y a ces affaires comme celle-ci. Qui ne font pas la une pendant des semaines, mais qui marquent durablement. Parce qu’elles touchent au cœur même de la sécurité familiale.
Que dit la justice face à la haine ordinaire ?
Le procureur, lors de ses réquisitions, a insisté sur un point crucial : l’antisémitisme latent. Celui qui ne hurle pas dans les manifestations, qui ne brandit pas de pancartes. Celui qui agit en douce, dans l’ombre d’une cuisine ou d’un couloir. C’est peut-être le plus difficile à combattre. Parce qu’il est invisible jusqu’au moment où il frappe.
La défense, elle, a tenté de déconstruire le dossier. Pas de preuves matérielles directes reliant la nourrice aux produits toxiques, selon l’avocate. Des témoignages d’enfants fragiles par nature. Un contexte communautaire qui pousserait à voir du complot partout. Des arguments classiques, mais qui peinent à convaincre quand on regarde l’ensemble du tableau.
« Ce n’est pas parce qu’on est parano qu’on n’a pas d’ennemis »
Une phrase entendue dans les couloirs du tribunal, murmurée par un proche de la famille
Le délibéré sera rendu début 2026. Mais au-delà de la peine, c’est tout un signal que la justice doit envoyer. Que la haine, même discrète, même domestique, a un prix.
Et nous, dans tout ça ?
Je ne vais pas vous faire le coup du « et vous, comment réagiriez-vous ? ». On sait tous qu’on ne sait pas. Mais cette affaire pose une question brutale : jusqu’où la peur peut-elle s’immiscer dans nos vies ? Jusqu’à soupçonner la personne qui change les couches de notre bébé depuis trois ans ?
Il y a quelque chose de profondément triste là-dedans. Pas seulement pour cette famille – qui va mettre des années à reconstruire la confiance. Mais pour nous tous. Parce que quand la haine parvient à transformer un verre de jus de pomme en menace mortelle, c’est toute la société qui trinque.
En attendant le jugement, une chose est sûre : dans certaines maisons, on regardera désormais la mezouza différemment. Et on vérifiera peut-être deux fois l’étiquette des bouteilles avant de servir les enfants.
Triste époque.
(Article rédigé à partir des éléments publics du dossier et des débats d’audience – environ 3200 mots)
